© Joel-Peter Witkin
Keitelman Gallery 44 rue Van Eyck 1000 Bruxelles France
La Keitelman Gallery a l’honneur de présenter une exposition exceptionelle des oeuvres de Joel-Peter Witkin, célèbre photographe et dessinateur américain né à Brooklyn en 1939.
Joel-Peter Witkin est l’un des chefs de file d’une veine très spécifique dans le champ de la photographie contemporaine qui est celle de la photographie composée. Ses images en effet ne doivent rien au hasard d’une prise de vue, aux circonstances d’une situation, passant en un éclair. Nous sommes ici à l’antithèse de l’instant décisif, soutenu par Cartier-Bresson., ou plutôt est-il question d’atteindre cet instant par des voies résolument artificielles. A l’instar de Duane Michals, ou de Jan Saudek, Joel Peter Witkin crée des images en studio ou en extérieur, dans des conditions de studio, pour lesquelles il convoque presque toujours des modèles dont il scrute les corps avec acuité, montrant leur sublime beauté comme leur irrémédiable décrépitude. Ce sont des images argentiques sur lesquelles il revient parfois avec des rehauts à l’encaustique.
Les images de Witkin s’affirment dans une forme de saturation: saturation des codes qu’elles sollicitent, des scènes qui sont dépeintes, des temps qui sont condensés dans l’image. (images de guerre, contemporaines, tableaux de l’histoire de l’art occidental, photographies anciennes, dans l’esprit du XIXe siècle). Elles sont puissament esthétiques. Elles sont esthétiques jusqu’à l’excès, au point qu’on comprend vite que l’originalité de Witkin réside justement dans sa faculté à faire d’un tel esthétisme une arme, une force d’interpellation.
Interpellation sur l’association, souvent ambigüe, qui existe dans les religions entre la souffrance et la beauté, entre le martyr et la beauté.
Interpellation sur la façon dont instrumentalise l’art à des fins tantôt esthétiques, tantôt éthiques. Interpellation sur la vanité qui nous guette et dont l’art se fait tout à la fois le témoin et l’intermédiaire.
Dans son exposition bruxelloise, à la Keitelman Gallery, Joel-Peter Witkin présente des images de différentes époques, réalisées pour l’essentiel lors de ses quinze dernières années.
Dans les titres de ces images, des lieux récurrents apparaissent, marquant tout autant l’endroit imaginaire ou réel de la prise de vue que l’univers entourant ces villes. Parmi elles, plus que toute autre, Paris et Bogota. Ces villes constituent les toiles de fond des prises de vue de Witkin, ne serait-ce que par le surgissement de quelques éléments qui entraînent l’imaginaire en un instant dans les dédales des catacombes de la ville lumière, des bas-fonds de la capitale colombienne, avec ses prostituées, et ses jeux de trompe-l’amour, de trompe-la-mort.
Outre les lieux, il y a aussi des personnages de l’histoire ou de la mytholohie qui se dressent dans les images comme des spectres. Il y a là Friedrich Nietzche, un soldat égaré d’un tableau de Jérôme Bosch, une muse émaciée semblant sortir tout droit d’un tableau de Picasso; Léda et son cygne; voire Frida Kahlo dont le fantôme doit bien rôder là quelque part. Tous ces personnages errent comme des âmes en peine dans l’univers de Witkin, tout comme dans notre imaginaire collectif. Ce sont des leitmotifs qui participent de la force incisive et récursive des photographies de Witkin. De leur impact coup de poing.
Biographie
Joel-Peter Witkin est né en 1939 à New York, d’un père immigré lituanien juif et d’une mère catholique d’origine italienne. Il a un frère jumeau, Jerome Paul Witkin, peintre renommé, et un fils.
Les parents de Witkin divorcent pendant son enfance, en raison de leurs différences de convictions religieuses. Après des études primaires à Brooklyn (Saint Cecilia School), Joel-Peter Witkin poursuit son cursus secondaire à la Grover Cleveland High School. Lors de son service militaire, il est chargé de diverses tâches de reportage et reçoit ainsi une formation technique à la photographie. Contrairement à une légende tenace, et bien que la guerre du Viêtnam fasse alors rage, il n’est pas envoyé comme reporter de guerre sur les champs de bataille, mais chargé de documenter la vie de régiments basés, entre autres, en Europe, et notamment les accidents et les suicides.
Une fois démobilisé, il suit les cours d’arts plastiques de la Cooper Union, où il obtient le diplôme de Bachelor of Arts. En 1974, l’université de Columbia lui attribue une bourse. Il s’installe ensuite à Albuquerque (Nouveau-Mexique), où il vit actuellement, et s’inscrit à l’université du Nouveau-Mexique. A l’issue de son cursus, il se voit décerner le grade de Master of Fine Arts.
C’est alors que commence véritablement sa carrière de photographe.
Witkin raconte longuement les débuts de sa recherche personnelle et la manière dont il commença à privilégier la photographie mise en scène et les modèles hors normes, recrutés par rencontres de hasard ou par petites annonces. Il fait en particulier le récit de son séjour dans une freak show et de l’amitié qu’il y noua avec les vedettes de ce spectacle. C’est à partir de cette période que s’élabore son style de prise de vue comme de tirage. Il tire lui-même ses épreuves, à peu d’exemplaires, et fait peu de prises de vues.
Bien que sa pratique photographique ne soit aucunement celle d’un reporter ou d’un photographe de l’événementiel, il voyage beaucoup. Sensible aux différentes cultures et aux atmosphères qu’elles engendrent, il photographie en maints pays, toujours selon le principe invariable d’une stricte et rigoureuse mise en scène, qu’il agence avec le plus grand souci du détail.
La culture artistique de Witkin est immense et sa connaissance tant du vocabulaire plastique que des thèmes de la grande peinture – classique et moderne – est clairement visible dans ses choix de sujets, de mises en scène et de prises de vue. Une partie de son oeuvre est en effet axée sur la réinterprétation des peintres classiques tels Goya, Courbet, Manet ... Que cette composante soit clairement affirmée dans les titres ou présente en filigrane, il s’agit là d’une constante de son œuvre.
Witkin ne travaille pas l’image avec les techniques numériques –que du reste il ne pratique pas -, il n’utilise pas de logiciels permettant de la modifier. S’il existe des collages, ils sont manuels, faits directement sur l’épreuve finale. L’image est d’emblée pensée, préparée le plus souvent pars des croquis précis au crayon ou au fusain. Le travail, si particulier, qui rend ses œuvres identifiables immédiatement se produit lors du tirage. Il fait en effet appel à des procédés techniques, personnels parfaitement maîtrisés (grattage, déchirure, abrasion du négatif, apposition de filtres et d’obstacles divers entre le support et l’agrandisseur).
Aucune audace ne le rebute dans la méthode de tirage. Il entre dans la chambre noire et y mène une recherche acharnée jusqu’à l’obtention du tirage parfait. Ce point est particulièrement crucial, car quantité de photographes délèguent cette phase de la création à un tireur il accorde, lui, une importance capitale au processus matériel de la création. Ce que Witkin donne à voir est certes un « sujet », mais aussi la matière même de la photographie, ce qu’elle est en tant qu’objet. Ce que fit Manet pour la peinture, c’est-à-dire montrer au-delà des thèmes et des anecdotes l’importance de sa matière et de son support, Witkin l’accomplit pour la photographie.