© Robert Adams
Jeu de Paume 1 Place de la Concorde 75008 Paris France
Robert Adams, « L’endroit où nous vivons »
Commissaires : Joshua Chuang, conservateur associé pour la photographie et les médias numériques, Yale University Art Gallery
Jock Reynolds, directeur Henry J. Heinz II, Yale University Art Gallery
Par Robert Adams :
« Comme beaucoup de photographes, j’ai commencé à prendre des photos par envie d’immortaliser des motifs d’espoir : le mystère et la beauté ineffables du monde. Mais, chemin faisant, mon objectif a aussi enregistré des motifs de désespoir et je me suis finalement dit qu’eux aussi devaient avoir leur place dans mes images si je voulais que celles-ci soient sincères, et donc utiles.
Les seuls, à ma connaissance, à avoir dans une certaine mesure résolu ce conflit furent des écrivains, comme Emily Dickinson, et des peintres, comme Edward Hopper, eux qui ont scruté le monde avec tant d’application qu’il leur est arrivé d’en entrevoir un autre. J’ai trouvé, dans les carnets du poète Theodore Roethke, le sésame que je cherchais : « Je vois ce que je crois. »
J’ai beau me défier des abstractions, je me pose souvent trois questions, que je vous livre en guise de porte d’entrée à cette exposition : qu’est-ce que notre géographie nous oblige à croire ? Que nous » autorise-t-elle à croire ? Et, le cas échéant, quelles obligations résultent de nos croyances ? »
Par Joshua chuang & Jock Reynolds, commissaires :
« Qu’il se penche sur la langueur douce-amère des banlieues ou sur la décimation de l’une des plus grandes forêts pluviales de la planète, Robert Adams aborde son travail de photographe dans un état d’esprit assez semblable à celui que l’on attend d’un témoin appelé à la barre : dire la vérité, toute la vérité. Mais la vérité a souvent de nombreuses facettes et la tâche n’est pas simple. Traiter d’un
sujet avec justesse suppose de le connaître intimement ; justement, Adams vit et travaille dans l’Ouest américain depuis quarante-cinq ans. Il a arpenté les rues de ses villes et les routes de ses campagnes, notant avec minutie combien les paysages, que tant d’entre nous disent chérir, ont été dégradés par la pollution, l’aménagement sauvage et le culte aveugle de la consommation. Il a aussi rencontré parmi cet environnement en mutation une beauté remarquable et durable, restant ébloui devant les vastes étendues de ciel, d’océan et de prairie, devant les bosquets de robustes peupliers d’Amérique et devant la lumière du soleil, si radieuse que son talent de révélatrice ne souffre aucune contestation.
Face aux paradoxes de notre époque et de notre milieu, Adams se demande à présent : que croire ? Et où aller pour rester fidèle à ses croyances ? À ces questions, il dit vouloir répondre plus en chantre qu’en prophète – plus par la louange que par la condamnation –, encore qu’aucune de ces deux voies ne semble être la bonne.
En d’autres termes, Adams photographie en citoyen. Il s’est ouvertement attaqué aux contradictions présentes au coeur de la société américaine, et de plus en plus au sein de la société planétaire, dénonçant une faillite morale à ce point répandue qu’elle justifierait de désespérer de l’avenir. Pour trouver néanmoins une amorce durable de promesse, nous pouvons compter sur les artistes et sur leur capacité à aller au-delà d’eux-mêmes et de leurs déceptions.
Comme Dorothea Lange, pour qui la photographie était un outil destiné à apprendre aux autres à voir sans photographie, Robert Adams cherche non seulement à restituer des vérités brutes et impérieuses, mais aussi à proposer une façon de s’en emparer. Pour ce faire, il témoigne d’une cohabitation complexe »
Né à Orange (New Jersey) en 1937, Robert Adams grandit dans le Wisconsin, puis dans le Colorado où il réside plus de trois décennies avant de s’installer en Oregon. Depuis ses débuts en photographie, au milieu des années 1960, Adams est considéré par beaucoup comme l’un des chroniqueurs les plus importants et les plus influents de l’Ouest américain. l’exposition « Robert Adams : l’endroit où nous vivons » reflète l’intérêt ancien d’Adams pour la relation tragique entre l’homme et la nature ainsi que sa quête d’une lumière et d’une beauté rédemptrices au sein de paysages dégradés. Ses images se distinguent par leur économie et leur lucidité, mais aussi par un mélange de déploration et d’espoir.
Avec plus de deux cent cinquante tirages choisis parmi vingt et une séries distinctes, cette rétrospective réunit pour la première fois les diverses facettes d’un corpus considérable. Composée et articulée en concertation avec le photographe lui-même, cette exposition offre un récit intime et cohérent de l’évolution de l’Ouest des États-unis à la fin du XXe siècle et au début du XXie siècle, mais aussi un regard stimulant sur la complexité et les contradictions de notre société contemporaine mondialisée. Dans son travail, Robert Adams montre la façon dont les paysages grandioses de l’Ouest américain, déjà arpentés au XIXe siècle par des photographes comme Timothy O’Sullivan ou William Henry Jackson, ont été transformés par l’activité humaine. Adams a tenté d’offrir une apparente neutralité d’approche. Même les titres de ses images les apparentent au registre documentaire. Il est surtout connu pour ses photographies austères et nuancées de l’aménagement suburbain dans le Colorado de la fin des années 1960 et du début des années 1970, images remarquées pour la première fois grâce à un livre fondateur, The New West (1974).
En 1975, Adams figurait dans une exposition qui fit date, « New Topographics ». Chacun des projets majeurs du photographe est représenté dans l’exposition, depuis ses premières images montrant les sobres constructions et monuments érigés par les anciens occupants de son Colorado natal jusqu’aux toutes dernières vues de forêts et d’oiseaux migrateurs prises dans le Nord-Ouest Pacifique. Parmi ses autres projets d’envergure présents, on trouve : From the Missouri West, vues lointaines sur des paysages majestueux témoignant de l’intervention humaine ; Our Lives and Our Children, portraits d’une tendresse désarmante de gens ordinaires vaquant à leur quotidien à l’ombre d’une centrale nucléaire ; Los Angeles Spring, images d’un paradis jadis verdoyant, victime de la violence et de la pollution ; Listening to the River, vues lyriques et fragmentaires de localités rurales ou suburbaines du Colorado qui évoquent les plaisirs sensoriels de la marche à pied ; et West from the Columbia et Turning Back, deux séries consacrées aux vestiges du patrimoine naturel du Nord-Ouest Pacifique où Adams réside désormais.
© Mathieu Pernot
Mathieu Pernot, « La traversée »
Commissaires : L’artiste et Marta Gili
Mathieu Pernot, né en 1970 à fréjus, vit et travaille à Paris. Après des études d’histoire de l’art à la faculté de Grenoble, il entre à l’École nationale de la photographie d’Arles, d’où il sort diplômé en 1996. Son œuvre s’inscrit dans la démarche de la photographie documentaire mais en détourne les protocoles afin d’explorer des formules alternatives et de construire un récit à plusieurs voix. L’artiste procède soit par la réalisation de séries – parfois en résonance entre elles à travers personnages, chronologies ou thèmes –, soit par la rencontre avec des images d’archives. Dans tous les cas, ce nomadisme d’images et de sujets souligne son souhait d’éviter un récit de l’histoire à sens unique. le déplacement perpétuel de ses images évoque donc une réalité qui est loin d’être figée ou immuable.
L’exposition du Jeu de Paume présente une sélection de séries réalisées par l’artiste au cours des vingt dernières années. elle met en espace un nouveau montage faisant dialoguer des corpus d’images et d’objets et établit une forme de traversée dans son œuvre, jusqu’à sa dernière pièce, Le Feu, produite spécialement pour l’exposition.
Que ce soit par son propre travail de prise de vue, par l’appropriation de photographies ou d’autres types de documents d’archives, Mathieu Pernot interroge ainsi la diversité des modes de représentation et la notion d’usage du médium photographique. Ce travail dialectique d’enquêtes, de recueils, de récits, d’images photographiques est caractéristique de toute l’œuvre de Mathieu Pernot.
L’idée de traversée, de déplacement et de passage, très présente dans son œuvre, est un élément récurrent de l’exposition présentée au Jeu de Paume. Elle s’incarne aussi bien dans la nature nomade et fragile des personnes photographiées – Tsiganes, migrants, etc. – que par la présence des mêmes individus au sein de corpus d’images différents. Ils deviennent ainsi comme des personnages traversés par ces histoires au fil du temps.
L’exposition « La Traversée » propose la mise en forme d’une histoire contemporaine incarnée par des personnages vivant à sa marge.
« Il y a une question spécifiquement photographique dans le fait de montrer des populations vivant à la marge. Comment photographier les « invisibles », comment faire une image de ceux qui revendiquent une forme d’opacité ? Comment inscrire ces images à la fois dans l’histoire de la photographie et dans celle de ces
communautés invisibles ? »
Mathieu Pernot, Les Prisons photographiques
© Nika Autor
Nika autor, Film d’actualités – l’actu est à nous
Commissaire : Nataša Petrešin-Bachelez
En accès libre, la programmation Satellite est confiée chaque année à un commissaire différent chargé de trois expositions au Jeu de Paume et d’une exposition à la Maison d’Art Bernard Anthonioz (Nogent-sur-Marne). Les artistes occupent les espaces interstitiels du Jeu de Paume (mezzanine, foyer), qui deviennent chacun un champ d’expérimentation, d’interrogation et d’échange. Pour la septième édition de cette programmation, le Jeu de Paume a convié la critique d’art et commissaire indépendante slovène Nataša Petrešin- Bachelez.
Intitulée « Histoires d’empathie », la proposition de Nataša Petrešin-Bachelez s’inscrit dans la continuité des projets qui, au sein de la programmation Satellite du Jeu de Paume, explorent de nouvelles formes d’expositions, comme en témoignent les éditions précédentes qui ont été réalisées, depuis 2007, successivement par Fabienne Fulchéri, María Inés Rodríguez, Elena Filipovic, Raimundas Malašauskas, Filipa Oliveira ou Mathieu Copeland. Cette année, « Histoires d’empathie » invite quatre artistes femmes, Nika Autor, Natascha Sadr Haghighian, Kapwani Kiwanga et Eszter Salamon.
Présentée du 11 février au 18 mai 2014, la première exposition de ce cycle intitulée « Film d’actualités – l’actu est à nous » est dédiée à Nika Autor, qui appartient à une nouvelle génération d’artistes et de documentaristes ayant vécu, tout au long de leur adolescence, les changements radicaux provoqués par la dislocation de la Yougoslavie. Dans cette exposition, Nika Autor travaille avec et autour de cette histoire personnelle obsédante. Elle sonde l’héritage de la forme cinématographique du film d’actualités et suit les méandres historiques de ses métamorphoses en superposant le lieu – la ville de Maribor, où elle est née et a grandi –, la présence incarnée et le savoir subjectif.
« Histoires d’empathie » rend compte de la spécificité de la recherche artistique réflexive de quatre femmes artistes et de leur investissement dans des rôles d’éducatrices, de chercheuses et de militantes. Ces quatre artistes ont été invitées à produire une œuvre, situation ou exposition nouvelle pour un espace précis – en l’occurrence, la programmation Satellite du Jeu de Paume – et dévoilent, à travers leur travail, les relations de pouvoir entre leur propre position, l’institution et les visiteurs.
Qu’est-ce que la réflexivité opère, révèle, dévoile ?
Depuis plusieurs décennies, l’anthropologie et les sciences sociales en général plaident en faveur de la réflexivité ou de l’observation participante, dans ce que l’on nomme le tournant réflexif. Étant admis que chacun a une subjectivité, les considérations locales et le rôle que l’on joue dans le travail de terrain sont devenus des paramètres à part entière, à l’initiative des mouvements féministes, constructivistes et autres qui, dans la production du savoir, prônent des perspectives situées. Le tournant réflexif a donné lieu, de la part des chercheurs/euses, à une divulgation systématique et rigoureuse de leur méthodologie et de leur propre point de vue subjectif puisque ces deux éléments sont des instruments de production de données. Il a aussi provoqué une nouvelle erreur d’interprétation de son potentiel en brouillant les comptes rendus des chercheurs/euses, en particulier en confondant réflexivité avec conscience de soi ou même avec récit autobiographique. L’analyse réflexive passe pour révéler des choix oubliés, dévoiler les alternatives cachées et les limites épistémologiques et légitimer des voix asservies par le discours objectif. Qu’est- ce que la réflexivité opère, révèle, dévoile ? Qui légitime-t-elle ? Tout dépend de qui la pratique et de la façon dont elle s’exerce.
La démarche de l’artiste Nika Autor sous-entend l’impossibilité d’un savoir objectif dissocié du lieu incarné. Elle s’intéresse aussi à l’affect et à sa capacité à fournir un accès transformatif au savoir sur des événements précis et historiquement capitaux intervenus sur le sol de l’ex-Yougoslavie durant trois périodes : les années 1940, la fin des années 1980 et l’année 2012. Avec ses collaborateurs, elle a relevé le défi de ranimer les actualités – « cette forme cinématographique extrêmement résiliente », selon Ciril Oberstar –, tout en continuant, de ce fait, à questionner la place de l’engagement dans l’art contemporain. Pour Oberstar, la presse filmée constitue, « de par son caractère ouvert et propice à l’intervention et à la propagande politiques, le théâtre privilégié de la lutte des classes dans le cinéma. Paradoxalement, c’est bel et bien cette réalité « extrafilmique » des luttes sociales qui le révolutionne sans cesse et le maintient en vie ».
Le titre « Film d’actualités – l’actu est à nous » fait référence à deux œuvres cinématographiques notoires : Finally Got the News, film d’actualités américain réalisé en 1970 par le groupe Newsreel sur la Ligue des ouvriers révolutionnaires noirs, issus de l’industrie automobile de Detroit, et La Vie est à nous (1936), film d’actualités français commandité par le Parti communiste, traitant de l’opinion de la classe ouvrière sur la société de l’époque. Les deux films se servent du « montage » dans l’intention de susciter auprès des spectateurs une réflexion critique sur la société dont ils
font partie. À l’instar de ces actualités historiques, le choix des œuvres exposées vise à explorer l’interpénétration de l’image et de l’engagement social à l’intérieur du dispositif filmique ainsi que la dialectique du montage et de la réflexion. Alors qu’historiquement, cette forme servait d’arme psychologique à la propagande, elle est comprise ici en tant qu’outil de recherche et
de propagande.
L’exposition présente Newsreel 55, dernière œuvre collective en date de Nika Autor, Marko Bratina, Ciril Oberstar et Jurij Meden, ainsi qu’une sélection d’images documentaires issues des recherches de la plateforme artistique expérimentale Obzorniška Fronta (Front Actualités), qui se destine à la production sérielle de la presse filmée. La rencontre programmée à l’occasion de l’exposition constitue l’élément performatif et formateur de celle-ci.
Dans ce cadre, des critiques et des théoriciens et des artistes présentent, sous forme de projections commentées, l’histoire hétérogène et complexe de la presse filmée yougoslave et deux films d’actualités récents produits par Obzorniška Fronta. À travers les histoires et les sujets développés par ce collectif (histoire et dynamique économique de l’ancien pays commun, la Yougoslavie ; Maribor, ville de l’industrialisation/désindustrialisation ; la guerre des années 1990 ; la question de la lutte des classes aujourd’hui ; les mouvements illégaux/contestataires...), et la spécificité même des sujets abordés, l’exposition « Film d’actualités – l’actu est à nous » essaie de démontrer que l’on peut identifier, dans la sphère du mode de production capitaliste, certains traits communs et universels.
Newsreel 55 est un collage de citations, d’images d’archives et d’actualités relatives à la République fédérative socialiste de Yougoslavie, et tout particulièrement à Maribor, troisième ville industrielle de l’ancien pays. Par ces évocations, le film interroge les mutations sociales et politiques du XXe siècle qui ont forgé la dynamique économique, politique et sociale de cette ville. Maribor, ville occupée, ville industrialisée et désindustrialisée, marquée par l’effondrement de l’État yougoslave. Dans une démarche empathique, ces périodes sont représentées à travers le regard d’une génération qui a grandi au tournant de deux systèmes, ne pouvant être qu’un témoin silencieux de la montée du capitalisme dans toute sa dimension sinistre. Comment se servir de l’image, de son pouvoir et de ses effets pour soulever la question de la lutte des classes et la propager à aujourd’hui ?
Newsreel 55 est une œuvre collective de Nika Autor, Marko Bratina, Ciril Oberstar et Jurij Meden. Marko Bratina est philosophe et traducteur. Il vit et travaille à Ljubljana. Jurij Meden est cinéaste, responsable des programmes de la cinémathèque slovène de Ljubljana et fondateur de la revue KINO!, consacrée à la théorie cinématographique, à la politique et à la poésie.
Ciril Oberstar, titulaire d’un master de philosophie, est corédacteur en chef du magazine culturel slovène Dialogi. Il vit et travaille à Ljubljana.
Partenaires :
Exposition produite par la Yale University Art Gallery, en partenariat avec le Jeu de Paume
pour sa présentation à Paris.* Le Jeu de Paume est subventionné par le ministère de la Culture et de la Communication.
Il bénéficie du soutien de Neuflize Vie, mécène principal.
Partenaires médias :
A Nous, Time Out Paris, LCI et Fip