© Stanislas Guigui
La Galerie Particulière 16 rue du Perche 75003 Paris France
Intéressé par les thématiques sociales de l’exclusion et des mondes marginaux, Stanislas Guigui construit depuis 1996 un travail photographique où son regard n’est jamais moralisateur mais interroge notre capacité d’indignation face aux injustices créées par nos sociétés. En 1996, il part vivre en Colombie. Conséquences de la guerre civile, des milliers de sans-abri hantent les rues de Bogota et plus précisément le quartier de El Cartucho, la plus grande cour des miracles d’Amérique du Sud. En 2003, Stanislas Guigui réussit à être accepté par les habitants du quartier qu’il photographiera pendant 3 ans : montrant les conditions de vie misérables, les fumeries de crack et les batailles au couteau.
Aujourd’hui installé à Marseille, dont il chronique le quotidien et la population, Stan Guigui entame un parcours photographique aux Etats-Unis, comme un contre-point à cette autre Amérique qu’il a quittée.
« Je suis allé au coeur du ravage pour montrer à quoi la vie ressemble de l’autre côté du mur. Pour montrer à quoi on ressemble quand on a tout perdu et qu’au-dessous de la crasse et de la misère, il y a simplement des gens dont les vies ont basculé un jour. Des gens comme vous et moi, comme moi, qui sont simplement malchanceux ou qui avaient moins de force pour faire face aux pièges de la vie. »
Stan Guigui
© Stanislas Guigui
© Stanislas Guigui
Des hommes et des femmes humiliés par la vie, dévorés par la drogue, font face. Ils se savent poursuivis par la police, pourchassés par les paramilitaires, et, par-dessus tout, traqués par l’agonie qui se présente. Cependant dans le Cartucho, au royaume des forces élémentaires, quelque chose de plus fort bondit ; un puissant désir d’être, de mener jusqu’au bout cette épreuve. Face à l’objectif, certains d’entre eux sourient, sachant pourtant que la chose est absurde. Un par un, alignés selon les prescriptions du photographe, ils jaillissent du fond lumineux, exacerbant formes et couleurs. En acceptant l’invitation du photographe, les exclus font preuve d’un orgueil et d’une lucidité qu’on ne trouve nulle part ailleurs, si ce n’est dans le désespoir.
Ces gens ont pour habitude de se tuer entre eux, aussi. Et leur fraternité est sans aucune mesure. Monde paroxystique où le repos ne connaît que deux états, l’hébétude de la fumée ou la mort. Le reste du temps se partage entre trafics, combines et bagarres. Le mur devant lequel pose le malheur s’appelle fatalité. Et son horizon est indépassable. Quand prédomine l’envie de demeurer dans le monde des vivants, quand le morbide se retire un instant, quand nous pensons que rien n’est inéluctable, nous entrevoyons une fin à la photographie. Ce ne sont pas des spectres qui rôdent mais des proies qui errent dans le non-sens. Leur histoire n’a plus d’intérêt. Ou plutôt, il est bien trop tard pour que l’on s’intéresse à leur destin. Ils ont échoué au Cartucho, ce mur sur lequel s’inscrit la fin, ce cul-de-sac dont on ne revient pas. Le Cartucho, c’est une certitude, ne croit en rien, si ce n’est en ses propres lois.
Nulle part on ne voit mieux qu’ici combien est difficile la relation entre l’empathie et la photographie. Nous sommes au bout du témoignage, au bout de la morale. Le moment est venu où les misérables se jouent de l’appareil et de son opérateur. Sans illusions, sans réel espoir, ils se montrent, s’exhibent même, dans l’attente d’une dignité retrouvée. Car derrière ce mur, où ils nous savent autour, ils nous envoient ces images silencieuses, arrachées au destin et volées à la mort.
Cette assemblée de vaincus portant, tant bien que mal, leurs corps émaciés, répète le chant que Villon nous faisait entendre. C’est ce même chant que Brecht reprit. Le royaume des voleurs, des mendiants, des miséreux apparaît là dans sa forme moderne. Il n’y a pas d’autres formes possibles à ce récit dantesque. Le photographe rejoint ici sa terre et ses amis. Il fait preuve de passion solidaire, sans plus.
François Cheval
© Stanislas Guigui