
© Elsa Fabre et Gregory Combes
Cathedrale apostolique armenienne Saint Jean Baptiste 15 Rue Jean Goujon 75008 Paris France
Il y a 25 ans, un violent tremblement de terre frappait l’Arménie et dévastait toute la région de Spitak, faisant presque 30 000 morts, des dizaines de milliers de blessés et plus de 500 000 sans abris. 25 ans après cette tragédie, deux photographes Grégory Combes et Elsa Fabre mettent en place un travail photographique et documentaire avec les habitants de Gumri, deuxième plus grande ville d’Arménie, qui fut détruite à près de 60%. A l’aide d’une approche participative originale, qu’ils ont appelé “dialogue photographique”, les deux photographes abordent, avec les habitants, la question du temps et de la reconstruction dans leur exposition photographique Gumri (Leninakan): les temps du tremblement.
Pour y répondre, les deux photographes ont proposé à plusieurs habitants, de 18 à 81 ans, de photographier les sujets, lieux, personnes, objets ou idées qui leur semblent fondamentaux pour parler de leur reconstruction personnelle, dans un espace qui porte encore les stigmates de la fracture laissée par le séisme. Ensuite, sans voir la photographie prise par l’habitant, et sans connaitre ses motivations, Grégory Combes et Elsa Fabre sont allés photographier à leur tour ce même sujet, de leurs points de vue d’observateurs.
Cette relation entre deux photographies constitue un dialogue photographique qui n’est complet qu’à l’arrivée du troisième point de vue, celui du spectateur. On retrouve derrière chaque photographie une émotion, un attachement, un regard et une intention propre à chacun, avec deux propos différents entre les habitants et les photographes étrangers. La légende est constituée par un extrait de l’entretien filmé avec l’habitant dans lequel il raconte pourquoi le sujet qu’il a choisi de photographier a du sens dans sa reconstruction. Les divers matériaux recueillis, sonore et vidéo, enrichissent l’exposition photographique. L’aspect participatif n’est pas superficiel, pour répondre à une mode, mais il est bien ancré dans ce travail de dialogue photographique. Dans cette exposition, les photographies des habitants composent pour moitié l’exposition, et plus encore pour la réflexion et l’émotion qui en découlent. Voilà de quoi enrichir le regard sur la photographie documentaire.
L’exposition aura lieu dans plusieurs endroits dont la Cathédrale apostolique arménienne Saint Jean-Baptiste à Paris. Le 8 décembre à 12h, elle fera suite à la messe commémorative en mémoire des victimes du séisme 25 ans après cette catastrophe. Le moment et le lieu ont évidement une symbolique très forte et les photographes sont très émus de participer, par leur travail, au rassemblement commémoratif. L’exposition sera visible jusqu’au dimanche 15 décembre. Avant cela il a été possible de la voir à Paris tout le mois d’octobre à la péniche culturelle Anako.
Le petit Robert illustré de mon grand-père © Elsa Fabre et Gregory Combes
« C’est la bibliothèque familiale. Déjà toute petite elle m’intriguait. Je montais sur une chaise pour fouiller dans les vieux livres. C’est dans cette bibliothèque qu’était Le Petit Robert illustré de mon grand-père. Il l’avait rapporté du Liban où il avait vécu après le génocide. C’est là qu’il a appris le français. Ce dictionnaire me fascinait. Je me souviens de la première fois où j’ai eu le droit de le toucher. Ma mère ne voulait pas que je l’abîme, c’était un des derniers souvenirs de son père. Je l’ai ouvert et je n’ai rien compris. C’est ce qui m’a donné envie d’apprendre à mon tour le français. Aujourd’hui il est dans mon appartement d’étudiant à Erevan. »
Lusine
Ruines © Elsa Fabre et Gregory Combes
« Ce jour là, le matin du 7 décembre à 11h, je devais me rendre chez le dentiste mais je ne sais plus ce qui m’a poussé à rester. J’ai senti les premiers tremblements dans la maison. Mon garçon était dans mes bras. J’ai couru dans la pièce pour prendre ma fille pour sortir mais je n’y suis pas arrivée. La pièce s’est écroulée. On m’a retrouvée le 11 décembre dans les décombres en entendant ma voix. J’y suis restée pendant trois jours. J’ai perdu mes enfants et l’usage de mes deux jambes. Lorsque je vois cet immeuble qui n’a toujours pas été déblayé après tout ce temps, j’ai honte. Si j’avais l’argent pour qu’on le fasse... »
Armine
Mémoire de la pierre © Elsa Fabre et Gregory Combe
« Après le séisme, quand j’ai retrouvé mon père dans les ruines de l’école j’ai eu l’idée de lui faire un khatchkar* pour que ça me soulage un peu. Comme il n’y avait pas de machine pour couper la pierre j’ai fait tout ça à la main. J’ai fabriqué tous mes outils moi-même. Avant de finir le travail sur le khatchkar, mon père venait dans mes rêves chaque nuit et il me reprochait de ne pas encore avoir fini le travail. Le travail à duré presque un an. Dès le jour où j’ai fini de sculpter je ne l’ai plus vu dans mes rêves. »
Gagik
Photographies et vignette © Elsa Fabre et Gregory Combes