© Algirdas S?es?kus
Galerie du Château d'Eau Place Laganne, 1 31300 Toulouse France
Exposition présentée dans le cadre de Graphéine 2013 organisé par Pink Pong en collaboration avec la Galerie de Photographie de Kaunas - Union des artistes photographes de Lituanie et avec le soutien de l’Ambassade de Lituanie en France.
Le 12 novembre à 18h00 : Rencontre-débat avec Gintaras Cesonis, Directeur de la Galerie de Photographie de Kaunas, qui éclairera le travail d’Algirdas Šeškus en le contextualisant dans la création photographique de son époque.
Algirdas Šeškus
«Variations en nuances de gris»
Né en 1945, Algirdas Šeškus est un artiste lituanien qui a marqué, dès ces premiers travaux expo- sés publiquement, un phénomène nouveau bousculant la culture photographique de l’époque. Ses photographies des années 70-80, n’ont pas été comprises durant ces temps subissant aussi la censure soviétique lorsqu’il avait eu la possibilté de montrer son travail à l’extérieur des frontières russes. Il se retira et resta dans l’ombre pendant trente ans, continuant néanmoins à creuser sa réflexion sur l’acte photographique et à développer sa démarche parallèlement à la pratique de son métier d’opérateur pour la télévision.
Mais son nom ne fut pas oublié, et son œuvre a fait l’objet en 2010 d’une rétrospective à la Ga- lerie Nationale d’Art de Lituanie. Aujourd’hui le Château d’Eau présente sa première grande exposition en France.
Dans sa photographie, on dirait que rien n’importe à Šeškus, il ne cherche pas à faire de jolies images, ni à être informatif. Son œil se ballade et saisit des émotions furtives. Il s’accommode de cadrages aléatoires où de grands espaces vides occupent le cadre, du «mal fait», et des ap- proximations. Lorsqu’il photographie des femmes nues, ses modèles sont des femmes ordinaires, ses paysages ne sont pas exceptionnels et les scènes de rue sont celles du quotidien. Au fil du temps sa photographie se délivrera aussi du motif, enregistrant avec son appareil des vues avec le moins d’intérêt possible. Il accepte aussi, par dessus la banalité des scènes cadrées, les défauts engendrés par un matériel défaillant ou des films mal fabriqués. Ainsi il s’approprie bords baveux, perforations rognant l’image, sur ou sous expositions involontaires, superpositions, griffures ou traces de gélatine arrachée comme autant matériaux graphiques et plastiques qui font la singu- larité d’une œuvre qui se veut avant tout poétique.
Afin de renforcer cette stylistique « amateur », l’auteur laisse ses photos sans titres, ne précise pas le temps où la date de la prise, et passe outre les principes standard de l’exposition des œuvres. C’est pourquoi cette exposition «Variations en nuances de gris», composée de nombreux vin- tages, croisera les époques
Ainsi avec ses images bancales et considérant que chaque instant se vaut, nous invitant pour cela à lacher prise, Šeškus ne cherche pas à garder une trace du monde, mais dire sa présence au monde. (JM Lacabe)
© Algirdas Šeškus
Texte de Margarita Matulyte
«Un gris tout sauf gris»
Dans la tentative de comprendre le phénomène du photographe lituanien Algirdas Šeškus, il vaut mieux ne pas se focaliser sur une carrière artistique standard dont la meilleure définition serait basée sur la liste annuelle des expositions et livres, complétée régulièrement. La biographie du créateur Šeškus a connu un développement assez compliqué - une ascension imperceptible, suivie de chutes visibles, des interruptions passagères, une pause de plusieurs années - au rebond inattendu et au progrès constant. Et même si son nom marque une étape cruciale dans le développement de la photographie lituanienne à l‘époque soviétique, sa première exposition rétrospective n‘a été organisée qu‘en 2010 1. En dépit du fait qu‘il est consi- déré comme un des photographes lituaniens classiques, ses œuvres n‘étaient pas réellement analysées et connues. Durant plusieurs décennies, tout le monde s‘est contenté de la possibilité de voir seulement quelques pièces remarquables. Toufefois, il apparaît que ces photographies bien connues sont loin d‘être les plus importantes – en réalité, les immenses archives qui ont été préservées dans les réserves de Šeškus sont spectaculaires. Après des essais infructueux pour entrer dans le champ artistique des photographes, avec son (anti)esthétique d‘avant-garde, l‘auteur s‘est retiré et a gardé le silence pendant trente ans. Pourtant, une fois revenu dans l‘espace artistique professionnel, il n‘a pas renoncé à ses stratégies d’expression, mais au contraire les a renforcées.
On pourrait souligner quelques points dans une trajectoire artistique complexe et quelque peu elliptique. Après des études de cinématographie à Moscou et tout en travaillant pour la Télévision lituanienne en tant qu’opérateur, Šeškus a affirmé sa création dans le monde de l‘art photogra- phique où il était entré avec ses idées innovantes en ignorant les traditions stylistiques du modernisme déjà épuisées à cette époque.
En 1980, la possibilité a été donnée à cet artiste atypique de débuter dans l‘exposition des jeunes photographes 3, organisée par la Société de l‘art photographique lituanien. Ses premières œuvres, montrées au grand public et qui dévoilaient un nouveau phénomène en inadéquation avec la culture soviètique, ont suscité une réaction assez réservée de la part des uns, voire hostile de la part des autres. Il y a bien eu des tentatives de l‘étudier ou de l‘analyser, cependant montrer une telle «anomalie» au public, surtout à l‘étranger, où l‘art photogra- phique lituanien représentait l‘Union Soviètique, était compliqué, pour ne pas dire impossible. Par exemple, pour le Salon du livre de Francfort, la Société de l‘art photographique lituanien avait réuni un ensemble de photographies qui, à côté de celles de photographes renommés, comprenait des œuvres de Šeškus. Toutefois, toutes ses photographies (17 pièces) ont été supprimées par le Glavlit - bureau central russe de la censure-, lui seul ayant été exclu de la longue liste des auteurs5.
Un autre événement frappant de la vie artistique de Šeškus eut lieu à Vilnius en 1983, lors d‘une exposition de photographie et de peinture, organisée en commun avec Raimundas Sližys. C‘est là que les deux artistes, partageant presque la même conception du monde, à l‘aide des moyens différents, ont présenté «tout ce qui n‘est pas si beau, voire banal, gris dans l‘univers de l‘homme et son environnement»6. Pour la première fois, en Lituanie, la juxtaposition des deux modes d’expression a installé l‘art photographique dans un champ interdisciplinaire. Alors qu‘en 1984, par la création de la série des portraits d‘acteurs, réalisateurs et peintres du Théâtre National Russe d‘art dramatique, Šeškus, en commun avec son ancien voisin Alfonsas Budvytis, porta le dernier coup au bastion de l‘art photographique «conventionnel». Ces auteurs, qui prônaient des idées progressistes, traitèrent d‘une manière innovante la commande de l‘administration qui consistait à faire les portraits des artistes du théâtre. En dépit des standards admis pour le portrait de personnes publiques, ils expérimentaient formellement avec la personnalité des protagonistes, leur genre, la composition des photo- graphies. Un ensemble inhabituel de 60 photos en tant que projet artistique a été présenté à Vilnius, et un an après à Moscou.
Toute l‘œuvre de Šeškus semble n‘avoir aucune direction : elle n‘a pas de thèmes, ni une démarche d‘auteur clairement définie. Le photographe adopte la position de l‘observateur passif et considère la représentation métaphorique de la réalité, articulée entre un nihilisme artistique et un fétichisme de l‘acte créatif. Son esthétique «de l‘amateur» se manifeste par des cadres brouillés et une composition aléatoire, de forme minimaliste, optant pour un sujet banal. Dans ses œuvres, l‘auteur ne montre aucune volonté de représenter la réalité d‘une manière artistique, au contraire – il la désorganise, en la simplifiant de sorte qu‘on ne prête plus attention au motif qui est photographié. «En photographiant, c‘est à dire en participant par réaction, je n‘échappe pas à l’empreinte en retour de l‘image, pourtant il semble qu‘une représentation exacte est presque inutile à la photographie»7. Par cette conception, Šeškus révèle son intention de dépasser l‘inertie de la photographie en tant que simple technique documentaire. Sa méthode est simple – «nul besoin de pratiques factices ou d‘abuser d‘une profusion de matériel, il suffit d‘écouter attentivement et de suivre son for intérieur». Il déclare que ce n‘est pas ce qui est photographié qui est immortalisé, mais l‘acte de photographier lui-même.
Pour accentuer la stylistique «amateur» de ses œuvres, l‘auteur ne leur attribue pas de titre, ni de lieu de création, ni de date. C‘est que son approche n‘est pas celle, naïve, d‘un dilletante mais plutôt une pensée conceptuelle, développée dans une démarche artistique constante et non par des idées disparates. Son style est proche de celui du journal cinématographique de Jonas Mekas – après tout il voit et pense comme un opérateur.
Toutefois l‘idéologie artistique de Šeškus résonne autrement qu‘il aurait pu le prévoir. Il est impossible de ne pas remarquer l‘empreinte nostalgique du quotidien - familles ou gens dans la rue - des scènes banales ou étonnantes, parfois provoquant le rire, scènes du passé dont la réalité et l‘actualité ont été capturées par le photographe. La réalité photographique évoque nos souvenirs. Elle est semblable à notre mémoire. Seulement accentuée et fixée. Nous ne la trions pas, ne l‘affinons pas, ne l‘embellissons pas, ne la manions pas – nous la laissons seule- ment entrer.
Quelles sont les couleurs des souvenirs de nos vies grises? Les photos de Šeškus sont grises. Parfois assombries, parfois plus claires, parfois éclatantes ou pétillantes. «Le moment crucial» de l‘artiste n‘a rien de commun avec le fait d‘être «au bon endroit au bon moment». C‘est parce que ce moment existe toujours qu‘il est «crucial» à n‘importe quel instant. Ainsi l‘appareil photographique, les révélateurs, la pellicule, le papier sensible, la saison, le temps, l‘éclairage perdent leur importance pour Šeškus. Il parvient toujours à saisir cette réalité qui passe, coule, court, échappe. Chemin faisant, il l‘installe dans une photographie où il neige en hiver et où on peut ressentir la fraîcheur qui vient après une pluie d‘été.
1- Exposition de photographie et de graphie de Algirdas Šeškus en 1975-1983. «Archives - (Pohulianka)» exposée dans la Galerie nationale des Beaux-arts du Musée national des Beaux-arts de Lituanie du 23 avril au 15 août 2010. Commissaire de l‘exposition – Margarita Matulyte 2 - Ce n‘est qu‘après l‘exposition retrospective et l‘édition de quatre livres sur la base des archives que le panorama de l‘œuvre de cet auteur a été révélé. Le photographe a offert la collection de ses œuvres renommées au Musée national des Beaux-arts de Lituanie.
3 - Suite à la décision du présidium de l‘administration du 4 décembre 1979, No 31, Algirdas Šeškus a été nommé membre de la So- ciété de l‘art photographique lituanien, in: Archives de la littérature et de l‘art de Lituanie, f. 503, ap. 1, b. 162, l. 50; b. 177, l. 51. 4Levas Aninskis, «Révolte de Šeškus», in: Saule šakose: (études sur la photographie lituanienne), Vilnius: Union des artistes photo- graphes de Lituanie, 2009, p. 90–94.
5 - La liste de l‘exposition pour la Foire du livre du Francfort-sur-le-Main, fait par la Société de l‘art photographique et visité par le Glavlit le 3 octobre 1980 (694 photos, auteurs des œuvres transportées: Jonas Kalvelis, Virgilijus Šonta, Rimantas Dichavicius, Alek- sandras Macijauskas, Romualdas Rakauskas, Romualdas Požerskis, Valerijus Koreškovas, Vitalijus Butyrinas, Vaclovas Straukas, Vitas Luckus, Alfonsas Budvytis, Algirdas Šeškus, Antanas Sutkus, Julius Vaicekauskas), in: Archives de la littérature et de l‘art de Lituanie, f. 503, ap. 1, b. 198, l. 162–170.
6 - Alfonsas Andriuškevicius, «Oeuvre de A. Šeškaus et de R. Sližys – ensemble», in: Kulturos barai, 1983, Nr. 10, p. 79. 7 - Algirdas Šeškus, «Déclaration», in: Algirdas Šeškus, Archives (Pohulianka), fait par Margarita Matulyte, Vilnius: Musée des Beaux-
arts de Lituanie, 2010, p. 10.
© Algirdas Šeškus
[Note Biographique]
Algirdas Šeškus est né à Vilnius le 4 décembre 1945. Entre 1968 et 1970 il fait ses études à l‘école des Beaux arts de Vilnius. Après des études de cinéma à Moscou, il travailla pour la Télévision lituanienne en tant qu‘opérateur. Depuis 1979, il est membre de la Société d‘art photographique lituanien, depuis 1989 – membre de l‘Union des artistes photographes de Lituanie. En 2005, le titre du créateur d‘art lui a été attribué.
Expositions
1980 Début du photographe Algirdas Šeškus dans l‘exposition des œuvres des jeunes photographes, organisée par la Société d’art photographique lituanien, Galerie de photo de Vilnius, Vilnius.
1983 Exposition commune de la peinture et de la photographie de Raimundas Sližys et Algirdas Šeškus, Galerie de photo de Vilnius.
1984 Cycle de photos de Alfonsas Budvytis et Algirdas Šeškus : «Portraits des acteurs, réalisateurs, compositeurs et peintres du Théâtre national russe d‘art dramatique», Palais des artistes de Vilnius, Vilnius.
2008 Cycle de photos de Algirdas Šeškus «Drazdauskaité, Budvytis et moi» dans l‘exposition «Peinture lituanienne 2008. Photographie», «Test: 11 vs 1» (commissaire Margarita Matulyté), Centre d‘art contemporain, Vilnius
2010 Exposition de photographie et de graphie de Algirdas Šeškus en 1975–1983 «Archives (Pohulianka)» (commissaire Margarita Matulyté), Galerie nationale des Beaux-arts, Vilnius.
2012 Exposition de photographie de Algirdas Šeškus «Paroles de l‘amour» (commissaire Algirdas Šeškus et Malvina Jelinskaité), Galerie “White Space Gallery“, Londres
2013 Exposition de photographie de Algirdas Šeškus, dédiée à la 55ème biennale d‘art contemporain de Venise dans le projet «oO» des pavillons de la Lituanie et de Chypre (commissaire Raimundas Malašauskas), Palais des sports de Venise, Giobatta Gianquinto, Venise.
2013 Des photos de Algirdas Šeškus sont dans l‘exposition de photographie lituanienne «Dialogue des générations. La vie au quotidien» (Commissaire Gintaras Cesonis), Musée national géorgien, Tbilissi
2013 Exposition de photographie de Algirdas Šeškus (commissaires Algirdas Šeškus et Malvina Jelinskaité), Galerie des photos de Kaunas, Kaunas
2013 «Variations en nuances de gris» (commissaires Jean-Marc Lacabe et Gintaras Cesonis), Le Château d’Eau, Toulouse.
Livres
Algirdas Šeškus, «Archives (Pohulianka)»: [photos de la période 1975–1983], fait par Margarita Matulyté, Vilnius: Musée national des Beaux-arts de Lituanie, 2010, 310, [2] p.: illustr.
Algirdas Šeškus, «Paroles de l‘amour = Love lyrics» : [photos de la période 1975–1983], fait par Malvina Jelinskaité, Jüraté Karašauskiené, Margarita Matulyté, Kaunas: Édition Kitos knygos, 2011, [254] p.: illustr.
Algirdas Šeškus, « Chaman: Notes du photographe, Himalaya, 2012 = Shaman»: Notices of photographer, Himalayas, 2012, fait par Malvina Jelinskaité, Vilnius: TV play, 2013, 144 p.: illustr.
Algirdas Šeškus, «Variation sur le thème : être dehors = A Variation on the Theme of Being Outside»: [photos de la période 1975–1985], fait par Malvina Jelinskaité, Vilnius: TV play, 2013, 168 p.: illustr.
Algirdas Šeškus, «Le Pont vert»: [photos de la période 1975–1982], fait par Malvina Jelinskaité, Kaunas: Édition Kitos knygos, 2009, 239 p.: illustr.
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Photographies et vignette © Algirdas Šeškus