Anna & Bernhard Blume. Mahlzeit, 1989. Extrait d'une séquence de 9 photographies argentiques en N&B, 126 x 81 cm.
Le CAP Espace Léon Blum rue de la rachette Saint-Fons France
Anna et Bernhard Blume ont étudié à l’Académie de Düsseldorf (Allemagne) dans les années 60, à l’époque de l’enseignement de Joseph Beuys et de Hilla Becher, et en compagnie d’artistes comme Sigmar Polke, Imi Knoebel et Blinky Palermo, avant de poursuivre des études de philosophie à l’Université de Cologne où ils choisirent de résider. Précurseurs d’une certaine photographie mise en scène, à la frontière de la performance, leurs grands polyptyques ou séries induisent avec beaucoup d’humour, plusieurs niveaux de lecture : confrontation d’un couple d’artistes à la vie quotidienne, réflexion artistique et esthétique sur le modernisme, et, enfin, méditation plus complexe, philosophique et ontologique, sur l’existence humaine dans sa relation à son environnement.
Les Blume se mettent eux-mêmes en scènes dans les intérieurs petits bourgeois des années 50 et 60, étouffants à force de saturation mobilière et décorative. La prise de vue paraît intempestive, déclenchée par hasard avant ou après la scène prévue, pendant la préparation ou lors du démontage des décors. Au premierregard, on assiste tout simplement au combat quotidien mené par un couple contre le chaos ordinaire, ou engagé par tout artiste, en début de carrière surtout, pour survivre tout en poursuivant son propre travail artistique. Ce combat devient également la métaphore d’une lutte entreprise par toute une génération contre la réification bourgeoise du monde pour s’affranchir des valeurs portées par la société occidentale d’après-guerre. Mais ici la lutte semble inégale et toujours perdue d’avance : dans des séries comme Mahlzeit (1989) ou Vasenextase (1987), les objets ou la nourriture leur échappent, chutent, les meubles et les murs basculent. Cet environnement matérialiste si patiemment gagné et élaboré - les Blume construisent eux même leurs décors et leurs accessoires – se rebelle, acquiert une vie en propre et prend le pouvoir.
Dans les décors instables de ce théâtre du quotidien, les raccourcis de perspective, les lignes de fuite contradictoires, tout cet univers instable et oppressant, nous projettent aussi tout droit dans quelque tableau cubo-futuriste ou quelque décor cinématographique de l’époque expressionniste. L’histoire de la modernité artistique, sa prégnance, sont aussi au cœur des questionnements du travail des Blume. Une modernité d’ailleurs bien envahissante ! Dans d’autres séries, comme Transcendentaler Konstrucktivismus (1992-1994) ou Abstrakte Kunst (2002-2006), c’est au sujet transcendantal de Kant et à la modernité picturale la plus rigoriste que se confrontent les artistes, celle de l’abstraction de Mondrian, Malevitch ou Van Doesburg. Les accessoires qu’ils tentent de manipuler, de s’approprier – accessoires toujours fabriqués par eux – déclinent des motifs géométriques emblématiques de l’art concret. Usant d’un comique de situation digne du cinéma muet, les artistes tentent de faire un sort au modernisme et à ses présomptions démiurgiques, en ramenant, voire en rabaissant le répertoire vers sa matérialité première, vers son statut d’objet : les lignes de forces du tableau se métamorphosent en béquille ou en porte-manteau, en table ou en étagère chancelantes. Mais la modernité n’en résiste pas moins de toutes ses forces : le motif devient, littéralement, une croix bien lourde à porter, envahit ou paralyse jusqu’au corps même de l’artiste, sidère son œil exorbité, prolifère jusqu’à presque crever le tableau (Transzendentale Orthopädie, 2002-2006). Là encore, l’objet est incontrôlable, animé d’une volonté en propre, la créature se rebelle contre son créateur jusqu’à fusionner avec lui.
Dans les travaux des Blume, le motif de la croix n’est pas seulement l’emblème de la peinture abstraite géométrique. C’est aussi celui du catholicisme qui a bercé l’enfance de Bernhard Blume. Cette référence métaphysique, et plus précisément ici « transcendantale », suggère également un par-delà ou un au-delà de l’univers matérialiste. L’utilisation récurrente du flou provoqué par le mouvement des personnages ou des objets, cette maladresse honnie des photographes professionnels, rapproche leurs images de la pratique amateur, leur permet à la fin des années soixante de les rattacher au champ plus mouvant et vivant de la performance, d’intégrer une immédiateté quotidienne, et, surtout, des apparitions furtives, dans une pratique de production d’image a priori statique. Le traitement en noir et blanc, la grisaille qui dominera de plus en plus les séries photographiques1, vont quant à eux prévenir tout réalisme pour au contraire accentuer la teneure fantomatique des images. Car le flou et le noir et blanc sont aussi ceux de la photographie spirite de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, dont la naïveté fascina nombre d’artistes à la fin des années soixante (dont Sigmar Polke et Blinky Palermo dans l’entourage des Blume). Cet intérêt pour une photographie de l’invisible témoigne très tôt d’une remise en question de la valeur d’indexation de ce « médium » et de la recherche d’une analogie avec l’essence de l’abstraction dans sa négation de la mimésis. Combinée à l’entéléchie et aux rituels d’un Joseph Beuys, ainsi qu’aux théories sur les membres fantômes du psychiatre Max Mickorey2, les œuvres rejouent avec humour et ironie une « hystérie » de l’artiste3 dans son fantasme de régénération imaginaire, mais voilent aussi pudiquement des questionnements moins religieux qu’ontologiques sur la persistance des êtres et des choses, de leur présence et de leurs actes.
L’exposition d’Anna et Bernhard Blume au CAP de Saint-Fons proposera un véritable tour d’horizon de ce travail profondément inscrit dans l’histoire de l’art allemand mais très peu vu en France, en montrant des travaux compris entre les années 80 et les années 2000, ainsi qu’une grande série totalement inédite de dessins réalisés par Bernhard Blume au début des années 90.
Anne Giffon-Selle, Directrice CAP.
A. & B. Blume. Metaphysisches Bedürfnis, 2004. Triptyque 127 x 81 cm (chaque). Photographies numériques.
Anna und Bernhard Blume studierten in den 1960er Jahren zusammen mit Künstlern wie Bernd und Hilla Becher, Gerhard Richter, Sigmar Polke, Imi Knoebel und Blinky Palermo an der Staatlichen Kunstakademie in Düssel¬dorf. Blinky Palermo an der Staatlichen Kunstakademie in Düssel¬dorf. Damals lehrten dort u.a. Karl Otto-Götz und Joseph Beuys. Im Anschluss studierte Bernhard Blume Philosophie in Köln, wo sich die beiden auch niederließen. Ihre gro߬formatigen Polyptychen und Serien, Vorboten der inszenierten Fotographie, die sich an der Grenze zur Performance befinden, legen auf durchaus humor¬volle Art mehrere Lesarten nahe: Die Auseinandersetzung eines Künstlerpaares mit dem Alltag, ein künstlerisch-ästhetisches Nachdenken über die Moderne und schließlich eine komplexere, philosophische und ontologische Reflexion über die menschliche Blinky Palermo an der Staatlichen Kunstakademie in Düssel¬dorf. Damals lehrten Existenz hinsichtlich ihrer Beziehung zu ihrer Umwelt.
Anna und Bernard Blume setzen sich in kleinbürgerlichen, stickigen, an Mobilia und Dekoration übersättigten Wohnzimmern der 1950er und 1960er Jahre selbst in Szene. Es scheint, als seien die Bilder einen Moment zu früh oder zu spät gemacht worden - so, als seien sie zufällig vor oder nach dem eigentlich abzulichtenden Moment aufgenommen worden, während die Szenerie gerade vorbereitet oder abgebaut wurde. Auf den ersten Blick meint man, den ganz alltäglichen Kampf eines Paares gegen das übliche Chaos mitzuerleben, oder jenen, den ein jeder Künstler vor allem zu Beginn seiner Karriere austrägt, um sich mit seiner Kunst über Wasser zu halten. Zugleich steht dieser Kampf metaphorisch für den einer ganzen Generation gegen die bürgerliche Verdinglichung der Welt und für die Befreiung von den Werten der westlichen Nachkriegsgesellschaft. Dabei handelt es sich allerdings um einen ungleichen Kampf, der immer schon von vornherein verloren ist: In Fotoserien wie Mahlzeit (1989) oder Vasenextase (1987) entgleiten ihnen Gegenstände oder das Essen und fallen zu Boden, Möbel und Wände kippen um. Diese so sorgfältig angefertigte materielle Umwelt – die Blumes stellen die Kulissen und Accessoires eigenhändig her – rebelliert, erhält ein Eigenleben und übernimmt die Macht.
In den instabilen Kulissen dieses Theaters des Alltags versetzen einen perspektivische Verkürzungen, in sich widersprüchliche Fluchtlinien, dieses ganze instabile und beklemmende Universum, geradewegs in ein kubofuturistisches Gemälde oder in den Szenenaufbau eines expressionistischen Filmes. Die Geschichte der künstlerischen Moderne und ihre Bedeutung sind ebenfalls zentrale Fragestellungen des Werkes von Anna und Bernhard Blume – eine im Übrigen allgegenwärtige Moderne! In weiteren Fotoserien wie in Transzendentaler Konstruktivismus (1992- 1994) oder Abstrakte Kunst (2002-2006) setzen sich die beiden Künstler mit dem transzendentalen Subjekt Kants und mit der allerstrengsten malerischen Moderne auseinander, nämlich mit der abstrakten Malerei Mondrians, Malevitchs und Van Doesburgs. Die Accessoires, die sie zu manipulieren, sich anzueignen versuchen – und welche sie stets selbst herstellen – wandeln die für die Konkrete Kunst typischen geometrischen Motive ab. Mit einer Situationskomik, die der des Stummfilmes würdig wäre, versuchen die beiden Künstler mit der Moderne und ihrer Anmaßung gottähnlicher Schaffenskraft abzuschließen: Sie führen deren Repertoire zu seiner ursprünglichen Materialität zurück, sie setzen es auf seinen Objektstatus herab. Die Bewegungslinien des Bildes verwandeln sich in Krücken oder einen Garderobenständer, in einen Tisch oder ein wackeliges Regal. Die Moderne widersetzt sich dem jedoch mit all ihren Kräften: Das Motiv wird, ganz wörtlich, zu einem schwer zu schulterndem Kreuz; es überwältigt und lähmt gar den Körper des Künstlers; es verblüfft sein weit aufgerissenes Auge; es wuchert, bis es das Bild kaputtsticht (Transzendentale Orthopädie, 2002-2006). Und wieder geraten die Gegenstände außer Kontrolle, folgen ihrem eigenen Willen; das Geschöpf begehrt gegen seinen Schöpfer auf, um schließlich mit ihm zu verschmelzen.
In den Arbeiten der Blumes steht das Kreuz nicht nur für die abstrakte, geometrische Malerei, sondern auch für den Katholizismus, der Bernhard Blumes Kindheit prägte. Diese metaphysische, und um genauer zu sein, „transzendentale“ Anspielung weist auf einen Ort jenseits der materialistischen Welt hin. Aufgrund der Bewegung der abgelichteten Personen und Objekte sind die Fotographien oft unscharf. Die Blumes bedienen sich dieser von Profis verabscheuten Ungeschicklichkeit, um ihre Bilder denen von Amateurfotographen anzunähern. So knüpfen sie Ende der 1960er Jahre an den lebendigeren und dynamischeren Bereich der Performance¬kunst an. Sie erzeugen den Eindruck alltäglicher Unmittelbarkeit und, vor allem, flüchtiger Erscheinung – entgegen der eigentlich statischen Bildproduktion. Die Reduzierung auf Schwarz - weißtöne und die in den Fotoserien zunehmend dominierende Eintönigkeit1 wirken ihrerseits jedem Anschein von Realismus entgegen – ganz im Gegenteil betonen sie das Gespenstische der Bilder. Denn das Unscharfe und die Schwarzweißtöne erinnern an die spiritistische Fotographie an der Wende vom 19. zum 20. Jahrhundert, deren Naivität Ende der 1960er Jahre zahlreiche Künstler faszinierte (z.B. Sigmar Polke und Blinky Palermo aus dem Umfeld der Blumes). Dieses Interesse für eine Fotographie des Unsichtbaren zeugt von einem sehr frühen Infragestellen der Wertigkeit dieses „Mediums“ und von der Suche nach einer Analogie zum Kern der Abstraktion in ihrer Verneinung der Mimesis. In Kombination mit der Entelechie und den Ritualen eines Joseph Beuys sowie den Theorien über den Phantomschmerz des Psychiaters Max Mikorey2 spielen die Kunstwerke humorvoll und ironisch die „Hysterie“ des Künstlers in seiner Sehnsucht nach imaginärer Erneuerung nach, verhüllen jedoch schamvoll Fragen, die weniger religiös als ontologisch sind, Fragen über die Fortdauer der Wesen und der Dinge, über ihre Gegenwart und ihre Handlungen.
Die Ausstellung von Anna und Bernhard Blume im Centre d’Arts Plastiques in Saint- Fons bietet einen hervorragenden Überblick über ihr in der Geschichte der deutschen Kunst fest verankertes, in Frankreich hingegen wenig bekanntes Werk. Es werden Arbeiten aus den letzten drei Jahrzehnten gezeigt; darunter auch eine bislang noch nicht ausgestellte umfangreiche Serie von Zeichnungen, die Bernhard Blume zu Beginn der 1990er Jahre angefertigt hat.
Anne Giffon-Selle,
Traduction/Übersetzung : Sophie Friedl
Photographie et vignette © A. & B. Blume.