Daniel Dezeuze © Vincent Cunillère
Musée Paul Valéry rue François Desnoyer 34200 Sete France
Du 30 novembre 2013 au 26 janvier 2014, le Musée Paul Valéry, présente Vincent Cunillère - Duos d’ateliers, une exposition qui réunit, 44 œuvres réalisées communément par le photographe Vincent Cunillère et les artistes photographiés dans leurs ateliers.
Duos ou œuvres à quatre mains, c’est, en effet, la formule proposée par le photographe à une quarantaine d’artistes, parmi lesquels figurent notamment Hervé et Richard Di Rosa, Claude Viallat, François Morellet, et dont environ un tiers sont originaires de Sète. Cunillère photographie le peintre dans son atelier, ce dernier peint à son tour sur la photo.
Depuis 1995, plus de 40 œuvres ont ainsi été réalisées, constituant non seulement un ensemble cohérent mais une série relevant désormais à bien des égards de témoignages historiques : plusieurs de ces artistes ont aujourd’hui disparu - Sarthou, Seguin, Pierre François, Routier - Hervé Di Rosa avait la trentaine lorsque Cunillère l’a photographié dans son atelier installé à cette époque à Balaruc.
Thème récurrent dans l’histoire de l’art, l’atelier a connu de multiples évolutions et représentations. Il fut, à ce titre, le lieu de tous les échanges entre artistes et marchands d’art, mais également le lieu de vie, de création où ont pris forme les plus grands mouvements et avant-gardes.
Au XXe siècle, il ponctua les étapes de la vie de bon nombre d’entres eux, tels que Matisse ou encore Picasso, dont les ateliers successifs
marquèrent les différents moments de leurs vies et de leurs œuvres. Warhol, quant à lui, ira jusqu’à le transformer en véritable usine : la « factory ». Avec cette exposition, l’atelier d’artiste est envisagé à travers l’œil du photographe et permet de pénétrer dans l’intimité des artistes. Il dévoile ainsi certains aspects de leurs œuvres et de leur personnalité.
Puis c’est en intervenant directement sur la photo, que l’artiste et le photographe créent une correspondance et nouent un véritable dialogue.
« Entrer dans l’atelier d’un artiste est toujours une expérience particulière, intime et chaque fois très différente, autant différente que le sont les artistes et l’œuvre qu’ils construisent. Parfois vaste, lumineux, rangé à l’excès ou au contraire exigu, encombré, l’atelier de l’artiste ne se livre jamais au premier venu. (...) La plupart du temps l’atelier est saturé. Outre les travaux en cours, peintures, dessins, volumes, sculptures, estampes, l’atelier recèle surtout des images et diverses autres choses glanées au fil du travail de recherche pour nourrir la réflexion et baliser ainsi les chemins qui mènent à l’œuvre. Il ne s’agit pas de collection mais de petits éclats du monde, discrets qui s’accumulent en même temps que les œuvres apparaissent», écrit Philippe Saulle, un des auteurs du catalogue de l’exposition, avant d’ajouter : « D’une discrétion et d’une patience qui parfois dérangent, Vincent Cunillère se pose dans l’atelier, celui où l’artiste seul règne sur son monde. Cet impénétrable atelier qui traduit plus qu’il ne trahit les ressorts d’une œuvre. Le photographe attend, observe, des heures ou des jours entiers jusqu’à ce qu’il appréhende le monde de l’artiste. Ce qu’il guette sans doute et espère saisir, c’est cette adéquation entre un homme et son univers propre, comme si ce dernier était le prolongement organique et matérialisé de cet être solitaire. »
Jean Le Gac © Vincent Cunillère
Les artistes avec lesquels Vincent Cunillère a travaillé ont de leur côté exprimé la manière dont ils avaient partagé ce travail en commun :
Ainsi François Morellet précise-t-il : « J’aime bien notre “duo d’atelier” et particulièrement parce qu’il donne de moi et de ce que l’on nomme (improprement) “mon travail”, des images très variées et contradictoires.
Je dois dire qu’étant tout à fait d’accord avec Marcel Duchamp qui proclamait que “ce sont les voyeurs qui font les tableaux”, je suis aussi d’accord aujourd’hui pour que ces voyeurs se fassent de moi des images bien à eux.
Ils pourront tout d’abord ne pas changer l’image habituelle de moi-même où j’apparais en artiste sérieux n’aimant que la géométrie pure et dure et les systèmes mais ils seront sans doute bousculés par l’image que donne de moi votre belle photo (avant mon intervention) où j’apparais comme un artiste bordélique, bricoleur et joyeux.
Et puis, s’ils focalisent leur attention sur mon “enrichissement” de votre photo, c’est-à-dire ce morceau de grillage de 27 x 27 cm plaqué sur ma figure, ils pourront penser, entre autres, que c’est pour évoquer une voilette, une muselière, une auréole ou pour rappeler mes trop nombreuses œuvres avec des grillages superposés ou donner l’image d’un artiste qui fait n’importe quoi pour se faire remarquer ou tout autre image avec laquelle je suis d’accord à l’avance. »
François Morellet © Vincent Cunillère
Claude Viallat, de son côté, y a trouvé support à une de ses préoccupations essentielles : « Poser la couleur sur la couleur de la toile est en accepter la modification par la couleur du support, c'est accepter aussi un résultat qui n'est pas celui de la couleur choisie mais celui de la couleur acceptée dans sa modification ; la relation avec elle passe par cette obligation, la recevoir telle sans l'avoir voulue. En nourrir son désir et sa charge. »
Quant à Lucien Clergue, il y reconnaît une synthèse de toute son œuvre : « Voilà une image qui me touche et me plaît : je suis chez moi, dans mon atelier, où tout se passe depuis bientôt 50 ans ! Elle résume une partie de mon travail et de mes amitiés, mais aussi mes passions, entre autres la musique avec le violon (...).
On reconnait Picasso (il m'a sauvé la vie !) et Jean Cocteau qui, tous deux, m'ont soutenu dès la première heure. S'ajoutent des citations de René Char, St John Perse et Cocteau et même celle de Delteil qui figure sur la lame de mon épée d'académicien (mais il faut tourner la photo à l'envers pour la lire sur mon bureau).
Tout autour, ma vie, mes archives, le courrier, les catalogues de mes tirages de collection, et par- dessus tout ça l'œil de Vincent Cunillère qui éclate dans la fenêtre au cœur de cette étoile que j'ai dessinée pour lui. J'oubliais le Lucie Award tout en haut, l'équivalent des Oscars en photographie reçu à New York et, près de la fenêtre, sous le violon, un appareil photo en bois, encore une œuvre de ma fille (...).
Le Musée Paul Valéry conserve deux des œuvres de Vincent Cunillère (réalisées en duo avec Sarthou et Pierre François), acquises en 1997 alors qu’un projet d’exposition était déjà engagé. Cette exposition est aujourd’hui l’occasion de présenter l’intégralité d’une série qui n’a cessé de se développer au cours des années et qui offre un panorama vivant de nombreux ateliers d’artistes contemporains.
Claude Viallat © Vincent Cunillère
Photographies et vignette © Vincent Cunillère