Erwin Blumenfeld, Autoportrait, Paris, vers 1938, e?preuve ge?latino-argentique, tirage tardif. Collection Helaine et Yorick Blumenfeld © The Estate of Erwin Blumenfeld
Jeu de Paume 1 Place de la Concorde 75008 Paris France
Erwin Blumenfeld
Dans la lignée des expositions consacrées à Lee Friedlander, Richard Avedon, Lee Miller et André Kertész, le Jeu de Paume présente la rétrospective de l’un des plus grands photographes de cette génération, Erwin Blumenfeld (1897-1969), dont l’œuvre a contribué à la diffusion de la photographie moderne. la vie et l’œuvre d’Erwin Blumenfeld épousent de façon étonnante le contexte sociopolitique de l’évolution artistique de l’entre-deux-guerres, tout en mettant en lumière les conséquences individuelles de l’émigration. Consacrée aux multiples facettes de l’œuvre d’Erwin Blumenfeld, cette exposition rassemble au travers de plus de 300 œuvres et documents, depuis la fin des années 1910 jusqu’aux années 1960, les différents arts visuels pratiqués par l’artiste tout au long de sa vie : dessins, photographies, montages et collages.
Ce parcours présente les premiers dessins de l’artiste, ses collages et ses photomontages, exécutés pour l’essentiel au début des années 1920, ses premiers portraits artistiques, effectués à l’époque où il vivait aux Pays-Bas, les premières photographies de mode en noir et blanc de ses années parisiennes, les magistrales photographies en couleur créées à New York et les vues urbaines prises à la fin de sa vie.
La rétrospective donne à voir des dessins, dont beaucoup n’ont jamais été montrés, ainsi que des collages et photomontages de jeunesse qui apportent un éclairage passionnant sur l’évolution de son travail photographique, révélant pour la première fois toute l’ampleur de son génie créatif.
Audrey Hepburn, actrice New York, années 1950 épreuve gélatino-argentique tirage d’époque Suisse, Collection particulière © The Estate of Erwin Blumenfeld
Les motifs, aujourd’hui devenus classiques, de ses photographies expérimentales en noir et blanc, y côtoient ses multiples autoportraits et portraits de personnalités connues ou inconnues, ainsi que la photographie de mode et publicitaire.
Dans les premières années de son travail photographique, Erwin Blumenfeld travaille en noir et blanc, mais dès que les conditions techniques le permettent, il utilise la couleur avec enthousiasme. Erwin Blumenfeld transpose à la couleur ses expériences avec la photographie en noir et blanc ; les appliquant au domaine de la photographie de mode, il y développe un répertoire de formes particulièrement original.
Nu sous de la soie mouillée Paris, 1937 épreuve gélatino-argentique tirage d’époque Suisse, Collection particulière © The Estate of Erwin Blumenfeld
Le corps féminin devient le sujet principal d’Erwin Blumenfeld. Qu’il se consacre d’abord au portrait, puis au nu lorsqu’il vit à Paris ou, plus tard, dans son œuvre de photographe de mode à New York, Erwin Blumenfeld cherche à faire apparaître la nature inconnue et cachée de ses sujets ; l’objet de sa quête n’est pas le réalisme, mais le mystère de la réalité.
L’œuvre de Blumenfeld n’avait plus été présentée depuis l’accrochage du Centre Pompidou axé sur la photographie de mode (1981), à la Maison Européenne de la Photographie (1998), et plus récemment, l’exposition « Blumenfeld Studio, Couleur, New York, 1941-1960 » (Châlon-sur-Saône, Essen, Londres).
Natacha Nisic
Dans l’œuvre de Natacha Nisic (née à Grenoble en 1967) s’exerce une recherche constante du rapport invisible, voire magique, entre les images, les mots, l’interprétation, le symbole et le rituel. Son travail tisse des liens entre des histoires, récits du passé et du présent, pour révéler la complexité des rapports entre le montré et le caché, le dit et le non-dit. lauréate de la Villa Kujoyama en 2001 et de la Villa Médicis en 2007, Natacha Nisic met en jeu la question de l’image à travers différents médiums : super-8, 16 mm, vidéo, photographie et dessin. Ces images fixes ou en mouvement fonctionnent comme substrat de la mémoire, mémoire tendue entre sa valeur de preuve et sa perte, et sont autant de prises de position sur le statut des images et les possibles de la représentation.
Poursuivant sa réflexion sur le processus de l’image, le visible et l’invisible, le document et la narration, Natacha Nisic présente plusieurs installations réalisées depuis 1995, dont Andrea en conversation et f, deux nouvelles créations produites spécifiquement pour l’exposition.
Invitant le spectateur à une relecture du monde sensible par la mise en résonance de récits intimes, historiques ou mythologiques, le parcours de l’exposition débute avec Catalogue de gestes. Commencé en 1995, ce vaste projet oscille entre cinéma et arts plastiques. Des gestes, des mains uniquement, sont filmés avec une caméra super-8. Les séquences, montées en boucle, montrent en répétition le déroulement d’un seul et même geste comme autant de « figures muettes ».
[...] se coiffer, feuilleter un livre, se nettoyer les ongles, éplucher un marron, claquer des mains, creuser un trou, arracher les feuilles d’un laurier... Ce sont des gestes de femmes, d’hommes, d’enfants ou de personnes âgées. Pour chacun, il s’agit d’observer une façon d’être, une articulation particulière des gestes et du langage, des gestes et du travail, des gestes et de la pratique du quotidien.
Chacun est filmé de façon rigoureuse sur les lieux de son activité. L’ensemble de ces images constitue une banque de données qui ne constitue pas un objet fini, mais un ensemble ouvert. Natacha Nisic, 2012
Dans Indice Nikkei (2003-2013), installation sonore réalisée en 2003 et remise en espace dans les salles du Jeu de Paume, deux chambres insonorisées se font écho. Cette nouvelle pièce est réalisée en collaboration avec la créatrice interprète Donatienne Michel-Dansac, qui invente en une écriture vocale singulière les courbes des indices boursiers des monnaies et entreprises affectées par les dernières crises. Dans ces deux salles rigoureusement identiques, baignées dans une atmosphère colorée saturée, se joue une partition sonore d’une étonnante fragilité.
Installation vidéo à neuf écrans, Andrea en conversation* (2013) présente deux personnages formant un couple impossible : Andrea Kalff, jeune Bavaroise devenue chamane en 2007, et Norbert Weber, missionnaire bénédictin de Bavière, auteur des premières images cinématographiques de la Corée (Im Lande der Morgenstille, 1925). À un siècle de distance, leur rencontre commune avec ce pays lointain se traduit pour l’un et l’autre par une révolution intérieure profonde.
Catalogue de gestes (extraits) 1995–... Films super-8 numérisés, couleur entre 1 min et 2 min 30 s chaque Centre Pompidou, Paris Musée national d’art moderne / Centre de création industrielle Don de l’artiste © Natacha Nisic 2013
Fasciné par la singularité culturelle des Coréens, Norbert Weber travaille à leur conversion alors que la jeune femme, moderne, d’éducation catholique, entretient avec la Corée une conversation inverse. Initiée par Kim Keum-hwa, la grande chamane coréenne, Andrea est chargée de faire perdurer ce « trésor national », cette ultime poche de résistance culturelle via sa propre conversion.
L’installation met en dialogue leurs deux parcours singuliers et opère ainsi un décentrement de notre regard. Sur les traces de l’expansionnisme colonial européen et de l’évangélisme chrétien, la désignation et la conversion d’une Allemande au chamanisme coréen semble être un renversement sidérant. Tournée en Bavière, cette œuvre présente une vision fragmentée de la Corée contemporaine où les héritages d’époques différentes se côtoient, de la tradition chamanique aux séquelles de la guerre froide :
Si le monde vacille et résonne, alors nous sommes au cœur de cet écho. Il faut en accepter la fragilité et se saisir du doute comme la chance d’une perception accrue et affinée. Natacha Nisic, 2012
Dans e* (2009), qui signifie image en japonais, l’artiste livre le récit d’un voyage dans le Nord du Japon, près de Fukushima, à la recherche d’un territoire inaccessible meurtri par le tremblement de terre de juin 2008. Aux images du tremblement de terre, Natacha Nisic substitue celles de son retentissement sur les lieux et ses habitants. Ce récit se présente sous la forme d’une installation de trois projections fonctionnant alternativement comme une partition sonore. Pour l’exposition, l’artiste réalise une réponse à cette œuvre, intitulée f*, comme Fukushima (2013) :
Entre le temps du premier événement de 2008 et la double catastrophe du tsunami et du nucléaire, les possibilités du regard et de la représentation ont profondément changé ; f en est une expression de la limite.
Natacha Nisic, 2012
f
2013 Projection vidéo HD, couleur, son, 17 min 37 s Courtesy Galerie Florent Tosin, Berlin © Natacha Nisic 2013
Deux ans après la catastrophe, l’artiste se rend à Fukushima et pose son regard sur les paysages, les villages et les êtres qui ont subi les ravages du tsunami et l’irradiation de la centrale. Grâce à un dispositif composé d’un travelling de 25 mètres et de miroirs verticaux de 30 centimètres de large installés à différents intervalles, l’artiste permet au regard d’englober dans le même temps le champ et le contrechamp, l’avant et l’après. Lorsque la caméra passe devant un miroir, une image mobile du contrechamp se déplace en un travelling horizontal de sens inverse dans la largeur du miroir. Il constitue, sans trucage, le jeu d’une image dans une autre, d’un mouvement dans un autre, d’un paysage et de son vis-à-vis. Le dispositif permet de conjuguer le temps des déplacements et des espaces en un seul regard.
Filmer à Fukushima n’est pas une tentative de réflexion sur le sublime car le nucléaire ne laisse pas de traces visibles, il ronge définitivement l’homme dans son intégrité physique et morale ainsi que les institutions. On parle de l’impossible démocratie du nucléaire : lorsque la catastrophe advient, toutes les décisions doivent être prises de manière arbitraire, sans concertation, sans opposition. La menace est totalitaire. Invisible. Face à ce point d’achoppement, je propose un simple geste de résistance du regard. Natacha Nisic, 2012