Nina Burri, Berlin, Germany, 2009 © Peter Lindbergh
Maison de la Photographie de Lille 18, rue Frémy 59000 Lille France
Peter Lindbergh trouve un regard plus érotique que des seins et des jambes; « et une bouche est belle quand elle sait dire des choses intéressantes et sensibles1. » Une opinion assez déconcertante chez quelqu’un qui n’aura cessé, depuis les années 1980, de photographier la mode et qui s’est acquis une gloire planétaire comme photographe de mode. Mais Peter Lindbergh n’est pas un photographe de mode ; en tout cas pas au sens ordinaire. Ce n’est pas un hasard si ses photos sont exposées depuis les années 1990 dans les galeries, les centres d’art et les musées. Il n’a jamais succombé à la fascination de la mode et le doute l’emplit quand il entend dire que la mode serait un moyen approprié pour trouver son identité personnelle 2. S’il n’a pas à vrai dire d’objections de principe contre ce genre d’idées véhiculées par la sociologie de la mode 3, il doute cependant que l’on puisse s’acheter une identité « sans avoir à faire quoi que ce soit par soi-même 4 ». Une conviction fondée sur pareille tournure d’esprit devait nécessairement fournir le préalable idéal à modifier du tout au tout l’orientation de la photographie de mode. Peter Lindbergh a fait bien davantage en effet que photographier inlassablement les illustres « supermodels » – de Linda Evangelista à Tatjana Patitz, Nadja Auermann, Kristen McMenamy et Milla Jovovich, en passant par Naomi Campbell et Cindy Crawford –, et ses magistrales photos en noir et blanc auront contribué de façon décisive à créer, rien de moins, le phénomène des « supermodels ». Pour cela, il fallait que les mannequins n’apparaissent jamais, sur aucune de ses photos, comme des objets. Jamais Lindbergh n’a porté atteinte à leur dignité humaine et l’on ne saurait donc s’étonner qu’à l’aide de leur présence, il ait également renouvelé au passage la photographie de portrait. Pendant plus d’une décennie, les « supermodels » ont déterminé le visage de la photographie de mode. Une durée incroyablement longue pour une activité assujettie, plus qu’aucune autre, à la loi d’un implacable changement. Elles étaient plus célèbres que la plupart des vedettes de cinéma d’Hollywood. Leur crépuscule des dieux est arrivé lorsque les mannequins qui leur ont succédé se sont mis à poser en les imitant et à se glisser dans le rôle de « next top models » sans identité. La réaction de Lindbergh : travailler principalement avec des actrices comme Kate Winslet, Julianne Moore, Penelope Cruz ou Charlotte Gainsbourg. Quand on part à la recherche des qualités et des talents particuliers du photographe qui a créé ces images devenues, depuis longtemps, des icônes modernes, on tombe très vite sur sa relation spécifique au regard humain. Que ce rapport spécifique imprime aussi sa marque à la propre perception de Lindbergh est une chose qui va de soi, mais elle est pourtant moins évidente qu’il n’y paraît à première vue. Ainsi son regard sur le monde se distingue-t-il considérablement (et essentiellement) de celui de la plupart des photographes, je veux dire de la plupart des photographes de mode. Son regard n’est pas le regard photographique habituel qui prend symboliquement possession de tout ce que la focale et l’angle de vue de l’appareil saisissent quand on appuie sur le déclencheur. Il n’a pas le moindre caractère possessif. La structure et le mécanisme de l’appareil photo prêtent main-forte à une volonté d’appropriation symbolique et en font en outre un outil capable de fixer sur une image ce qui n’a d’existence que passagère. Sa vision et donc son mode de représentation sont un héritage de la Renaissance.
Extrait du texte de KLAUS HONNEF
Nina Burri, Berlin, Germany, 2009 © Peter Lindbergh
Nina Burri, Sophiensale, Berlin, Germany, 2009 © Peter Lindbergh
Peter Lindbergh
Né en 1944 à Lissa (Allemagne) vit et travaille à Paris, New-York, Arles
Depuis les années 1980, il est l’un des photographes de mode les plus analysés. Photographe de référence des plus belles femmes du monde, ses photographies en noir et blanc, utilisent un langage pictural qui s’inspire des débuts du cinéma allemand et de la danse des années 1920. À l’âge de 18 ans, il s’installe en Suisse. Huit mois après, il part à Berlin. Il suit des cours du soir à l’Academy of Fine Arts et prend la route pour Arles en autostop, dans les pas de son idole, Vincent Van Gogh. De retour en Allemagne, il étudie la peinture libre au College of Art in Krefeld. Il était encore étudiant lorsqu’a lieu, en 1969, sa première exposition à la Galerie Denise René/Hans Mayer.
Le Concept Art est le dernier mouvement ayant marqué son intérêt pour la peinture. Il se tourne vers la photographie en 1971, et travaille alors comme assistant pour le photographe Hans Lux.
En 1978, sa carrière internationale est propulsée avec un sujet de mode publié dans le magazine «Stern», et qui remporte un grand succès. La même année, il déménage à Paris et commence à travailler pour «Vogue Italie», puis pour les versions anglaise, française, allemande et américaine. Plus tard, il remplira les pages de «Marie-Claire», le «New Yorker», «Vanity Fair», «Allure», «Rolling Stone», «Elle»... En 1992, il signe un contrat pour quatre ans avec l’»American Harper’s Bazaar» à New York. Au même moment, il dirige les campagnes d’Armani, Jil Sander, Prada, Donna Karan, Calvin Klein, réalise des portraits de Catherine Deneuve, Mick Jagger, Charlotte Rampling, Natassja Kinski, Tina Turner, John Travolta, Madonna, Sharon Stone, John Malkovich et beaucoup d’autres.
Cette année est également marquée par la sortie de son premier film documentaire de 60 min : « Models : The Film » avec Linda Evangelista, Naomi Campbell, Tatjana Patitz, Stephanie Seymour et Cindy Crawford. Peter Lindbergh a commencé à travailler à Paris, à peu près au même moment que Paolo Roversi, parfois pour le même magazine. Cependant son travail a pris une direction complètement différente. Il réalise de puissantes photographies en noir et blanc, riches en contrastes, reflétant, comme il le dit, « son gène mélancolique de l’expressionnisme allemand ». Le style dramatique de ses séries de photos sont le résultat d’un intérêt poussé pour le cinéma. Son travail contient de nombreuses références à différents réalisateurs, de Fritz Lang à Jim Jarmusch. Il n’en reste pas moins imprégné d’une singulière admiration pour des photographes aussi différents que Lartigue et Blumenfeld. À l’heure du Photoshop, Peter Lindbergh ne triche pas. « Si on retouche trop, on gomme toute la vie. Ce n’est plus de la photographie, c’est de la chirurgie esthétique. »
www.peterlindbergh.com
Photos et vignette © Peter Lindbergh