© Dulce Pinzon
Parc de la Villette 211, avenue Jean Jaurès 75019 Paris France
Le Parc de la Villette, en collaboration avec les Rencontres d’Arles, invite trois photographes engagés dans l’observation des sociétés contemporaines : Dulce Pinzón, Mikhael Subotzky et Achinto Bhadra.
Des Supers Héros mexicains travaillant à New York, aux représentations d’êtres humains et divins incarnés par de jeunes femmes rescapées de la traite des êtres humains en Inde, en passant par les habitants de la ville de Beaufort West, en Afrique du Sud, cette exposition évoque, à travers les thèmes des migrations, des marginalités, de la citoyenneté, les vies des exclus, de leurs imaginaires, de leurs modes de survivance, de résistance.
Exposés ces dernières années par les Rencontres d’Arles, Dulce Pinzón (Mexique), Mikhael Subotzky (Afrique du Sud), Achinto Bhadra (Inde) représentent dans le domaine de la photographie documentaire, une génération d’artistes où l’intentionnel, le réflexif, rejoignent avec bonheur, l’inventivité. Que ce soit à travers la satire, des procédés liés à l’analyse anthropologique ou des mises en œuvre de créations participatives ils explorent avec justesse quelques chemins singuliers de ce vaste domaine qu’est la photographie dite documentaire.
L’exposition "Vos rêves nous dérangent"
Survivre, ou aider à survivre, partir, changer, migrer, restent les désirs premiers des habitants de plus de la moitié de notre planète. Et Il y a toujours un lieu rêvé, désiré, d’où l’on imagine pouvoir se reconstruire et aider ceux restés dans la misère. Mais tout lieu dans sa matérialité est toujours lié à une histoire, à l’Histoire qui l’a créé et dont il est l’objet. Qu’il soit village, ville, territoire, y parvenir, y toucher, est à la fois s’y confronter, survivre, résister, parfois y disparaitre et s’y perdre.
Ils sont ceux qui persistent à "être là". Image de la luciole, vacillante dans les chemins de fuite, mais qui, comme l’écrit Georges Didi-Huberman, est "Infiniment précieuse, car porteuse de liberté, mais aussi angoissante, car toujours soumise à un péril palpable".
Située dans deux salles opposées, les présentations de Dulce Pinzón et d’Achinto Bhadra traitent de la question d’êtres humains, qui sont, par des enjeux d’intérêts et par la violence, déplacés, marginalisés contre leur gré. Le travail de Mikhael Subotzky, situé au cœur de l’exposition, ouvre les présentations d’Achinto Bhadra, et de Dulce Pinzón à la question
du lieu comme territoire, espace de confrontation au social, au politique, à l’Histoire. Les photos de Mikhael Subotzky sont présentées pour la première fois à Paris.
Notes d'intentions
Dulce Pinzón pose avec humour un double regard sur les travailleurs mexicains vivant à New York : un regard sur un imaginaire populaire et son sens, celui des super héros, et celui, économique, de personnes parties aux Etats-Unis trouver de quoi faire vivre leurs familles restées au Mexique. -" Ce projet est constitué de dix-neuf photographies couleur d'immigrants latino-américains vêtus de costumes de super-héros américains ou mexicains célèbres. Chaque image représente le travailleur/super-héros sur son lieu de travail et est accompagnée d'une légende constituée de son nom, sa ville natale, le nombre d'années durant lequel il a travaillé à New York et la somme d'argent qu'il envoie à sa famille chaque semaine.
© Dulce Pinzón
Après le 11 Septembre, l'idée de "héros" devint petit à petit omniprésente dans l'imaginaire collectif. En cette période de crise, la nécessité de reconnaître le travail et l'extraordinaire détermination de certains individus face au danger semblait criante, ceux-ci sacrifiant parfois leur vie en tentant d'en sauver d'autres. Néanmoins, dans le tourbillon des médias qui affichaient, en une, les désastres et autres états d'urgence, il était aisé de passer à côté d'innombrables héros qui ont œuvré chaque
jour pour le bien d'autrui, tout autant que ces autres héros glorifiés ; mais en des circonstances bien moins théâtrales. Le travailleur immigré mexicain à New York est l'exemple même du héros qui passe inaperçu; il travaille souvent de très longues heures dans des conditions extrêmes, et économise sur son salaire, si bas soit-il, au prix d'immenses sacrifices, pour l'envoyer au Mexique à sa famille et à sa communauté.
Discrètement, l'économie mexicaine est devenue dépendante de l'argent envoyé par des travailleurs résidant aux États-Unis. De la même manière, l'économie américaine devientpetit à petit dépendante de la main-d'œuvre mexicaine.
C'est justement cet immense sacrifice, passé sous silence et inavoué, qui fait l'intérêt de ce travail photographique autour des travailleurs.
L'intention principale de cette série est de rendre hommage à ces hommes et ces femmes, figures courageuses et déterminées, qui réussissent tant bien que mal, sans le moindre pouvoir surnaturel, à supporter de difficiles conditions de travail afin d'aider leurs familles et communautés à survivre et prospérer. " Dulce Pinzon.
Mikhael Subotzky
Mikhael Subotzky porte son regard sur la ville de la région du désert du Grand Karoo, Beaufort West, en Afrique du Sud. Il pose les questions du culturel et de la citoyenneté à partir de la construction de l’espace social, de ses spécificités, de son histoire. Il analyse les liens entre liberté et culture et les dynamiques à l’œuvre dans la société sud-africaine.
Les photographies et les films de Mikhael Subotzky combinent immédiateté du mode documentaire social et questionnement sur la nature et la portée politique de ces médiums. Il est préoccupé par les structures de la narration et de la représentation, ainsi que par la relation entre la narration sociale et poétique formelle de la prise de vue.
© Mikhael Subotzky
Au cours des huit dernières années, son travail a porté sur l'intérieur et l'extérieur des prisons Sud-Africaines les plus célèbres, la petite ville de Beaufort West et Ponte City, bâtiment emblématique à Johannesburg.
-" En deux générations, les villages d'Afrique du sud ont été frappés de plein fouet par l'exode rural : le nombre d'agriculteurs y a diminué de près d'un tiers ; ceux qui restent choisissent de plus en plus la mécanisation agricole et emploient de moins en moins d'ouvriers. Les pauvres partent pour la ville. Que ce soit avec le consentement de leurs familles ou à la sauvette, seuls ou en groupes, de nombreux jeunes choisissent de quitter le village - parfois dès l'adolescence. Il est rare aujourd'hui pour un jeune adulte de s’imaginer finir sa vie à la campagne.
Ainsi voit-on des villes comme Beaufort West qui ne sont plus guère habitées que par les très jeunes ou les très vieux, ou par ceux qui n’ont pas réussi ailleurs. Pour ces derniers, la vie se résume à une boucle sans fin qui consiste à aller de la campagne à la ville et de la ville à la campagne. Errant de l'une à l'autre, ils ne s'établissent nulle part.
Pour beaucoup de sud-africains, le fait de passer ses plus belles années à la campagne signifie avoir perdu le contrôle sur sa propre vie. Ces photographies représentent donc un endroit où une trop grosse majorité de gens ne possède même pas ce que nous considérons, nous, comme les fondements d’une vie digne de ce nom : l’idée que la vie est un projet ou du moins un cheminement ; qu'il y a un héritage à laisser derrière soi ou quelque chose à construire qui puisse nous survivre après la mort.
Il n'y a pas si longtemps, en Afrique du Sud, la campagne incarnait encore la possibilité d’une telle existence. La fin de l'apartheid coïncide plus ou moins avec la fin des campagnes : elles ont dès lors perdu leurs habitants et leur signification. Ce n'est pas par accident : l'économie des zones rurales n'était pas vraiment faite pour durer.
On s'est voilé la face en pensant que l'Afrique du Sud noire pouvait se borner à une existence éternellement rurale ; ce n'est rien d'autre qu'une illusion inventée par des gens sans vision de l’avenir. Le fait que l'apartheidait légué à la démocratie un paysage rural en profond déclin - déclin probablement irréversible - n'est pas une surprise". Jonny Steinberg, Postface "Beaufort West" Ed Chris Boot 2008
Achinto Bhadra
Vit à Calcutta. ll a de tout temps travaillé avec celles et ceux qui sont marginalisés. Ici, il nous propose un ensemble de photographies documentaires qui va au plus profond des imaginaires de jeunes femmes, qui furent dès leur enfance, soumises au trafic d’êtres humains, à l’esclavage, ou à l’abandon. -"Les portraits de ces rescapées de la traite des femmes présentent des visions d’elles-mêmes en êtres humains, animistes et divins de puissance, d’amour, de vengeance et de liberté. Ces filles âgées de 8 à 25 ans sont d’anciennes victimes ayant connu la drogue, le viol, l’abandon ou des enfants de prostituées. Elle s ont été recueillies par Sanlaap, une Organisation Non Gouvernementale basée à Calcutta en Inde.
© Achinto Bhadra
Les séances de prises de vue ont eu lieu au centre pour filles de Sanlaap Sneha. Durant ces quelques mois, Harleen Walia a recueilli les témoignages que ces filles ont voulu partager avec le monde : histoires d’enfances gâchées par la maltraitance, les enlèvements, puis l’esclavage dans les maisons closes.
Selon leur histoire, elles ont été guidées par Harleen Walia et Achinto Bhadra pour développer chacune une créature fictive incarnant ce vers quoi elles voudraient tendre, une expression physique forte de leur peine, de leur colère et de leurs espoirs. Les costumes et les maquillages ont été créés par les filles avec le concours artistique du photographe. Les prises de vue ont été menées dans un silence quasi religieux. Devant l’objectif et dans l’atmosphère silencieuse du studio, les filles ont trouvé un "autre moi". Achinto Bhadra