© Vincent Fillon
Malgré les apparences, l’acte est photographique. Le protocole est précis, la technique est simple : 2 photographies en surimpression, sans aucun autre artifice. En tant que photographe d’architecture, je photographie volumes, perspectives, espaces, matières... en tant que photographe auteur j’ai souhaité manipuler ces éléments, les transformer en matière première d’une nouvelle œuvre.
Volumes recomposés, perspectives combinées, matières superposées. Le résultat est une étrange représentation de l’espace, une déconstruction du réel. L’œil cherche à reconstruire les deux images originelles, en vain... il se perd, se raccroche à un détail, indice d’une réalité, et se perd à nouveau. L’observateur accepte finalement l’impossibilité de distinguer les deux images, les deux espaces, il s’abandonne à l’observation de l’espace recomposé.
« entre-deux » évoque le temps suspendu, ce moment où le lieu a perdu toute fonction. Il n’est plus et n’est pas encore. Mobiliers et objets qui auraient pu signifier la fonction ont disparus. Le marquage de chantier aux couleurs criardes annonce une mutation à venir, mais reste peu signifiant pour déterminer le devenir du lieu.
© Vincent Fillon
La rigueur et la justesse abandonnées un temps, Vincent Fillon nous laisse béants de ses « entre-deux », ces « antres d’eux ». Ces visions intermédiaires-Inter médium, sont des moments d’imaginaire où les fantômes de labyrinthes se dessinent sur notre rétine. On pense, comme dans des dessins d’Escher où rien ne s’arrête vraiment et où le début n’a pas de commencement, à un théâtre des illusions : les murs sont des portes, les fenêtres des impasses, les profondeurs des aplats. Et si la recherche du temps perdu se fait dans le dédale des salles de nos souvenirs c’est pour mieux s’y perdre avec envie.
Phédia Mazuc, artiste peintre & photographe
© Vincent Fillon
A partir d’un travail que l’on pourrait qualifier de documentaire (la commande d’un reportage photographique sur un chantier) et grâce à une manipulation aussi simple et connue de longue date que la superposition (la plupart des appareils reflex argentiques permettait de débrayer l’entrainement du film pour superposer deux prises de vues), Vincent Fillon nous invite à un voyage dans le temps et l’espace. Le temps présent, celui de la prise de vue, est la porte d’entrée vers une exploration du passé. Les travaux de curage font apparaître en profondeur, entre les écailles de peinture et l’ouverture des fissures, les différentes couches chromatiques identifiant les étapes de l’histoire du lieu. Le temps futur se dessine à la peinture fluorescente avec des signes d’apparence mystérieuse dont les codes booléens indiquent la suppression (une croix) ou l’ajout (la ligne contour du nouveau mur). Le projet architectural s’insère dans l’existant, le futur s’imbrique dans le passé.
Au télescopage temporel s’ajoute une mise en abîme spatiale. L’appareil devient kaléidoscope et le photographe prestidigitateur. Car de la superposition de deux réalités nait un songe : les surfaces et les matériaux que l’image très nette rend si tangibles nous entrainent dans une succession d’espaces chimériques, que l’apparence photographique rend bien réels. Plutôt qu’un entre-deux, nous voyons apparaître un au-delà. Une très belle page ajoutée à l’imaginaire spatial collectif que les artistes, cinéastes et écrivains ont bâti au fil du temps en marge de l’espace construit.
© Vincent Fillon
BIOGRAPHIE : Formé à l’ENS Louis Lumière, Vincent Fillon est photographe spécialisé en architecture depuis 2006. Il travaille principalement avec des agences d’architecture (Agence Nicolas Michelin et Associés, Manuelle Gautrand Architecture, Ateliers 2/3/4/, Hardel & Le Bihan, Projectiles, Chaix & Morel, DVVD...), des Institutionnels (Pavillon de l’Arsenal, APUR, Centre Pompidou, DRAC Ile de France). Commandes et travaux personnels l’ont amené à traiter des questions du patrimoine et de l’urbain. De l’état des lieux aux questions de la reconversion, son approche photographique documente, questionne, interprète et interpelle. En 2009, il réalise pour le Pavillon de l’Arsenal et le Centre Pompidou un reportage photographique dans le cadre de l’exposition « Œuvres Construites 1948-2009 - Architecture de Collection - Paris Île-de-France ». En 2010 la DRAC Ile-de-France lui confie un reportage sur les ensembles d’habitation des années 1945- 1975. Ce travail a fait l’objet d’une exposition à l'Ecole Nationale Supérieure d'Architecture de Paris Belleville. Son travail sur les grands ensembles se poursuit en 2011 avec « Hong Kong - City One », ville démesurée et oppressante composée de 52 tours de logements identiques. Ce reportage a été publié dans le numéro 389 de la revue « l'Architecture d'Aujourd'hui ». Le reportage sur le quartier emblématique des « Olympiades » donne à voir une étonnante réalité urbaine, en partant des entrailles devenues une plate-forme logistique pour le commerce asiatique jusqu’aux vues saisissantes sur le paysage parisien du haut des tours, en passant par une dalle au devenir incertain. Ce travail fait l’objet d’une exposition au Pavillon de l’Arsenal jusqu’au 31 mars, et d’un hors-série de la revue « Connaissances des Arts ».
Vignette et Photographies © Vincent Fillon