© André KERTESZ (1894-1985) « Distorsion 124 », 1933 Photographie argentique 12,5 x 10 cm.
Concocté par la Société de Ventes Volontaires Christophe Joron-Derem, ce programme consacré à la photographie regroupe plusieurs collections ou ensembles témoignant de la portée artistique et humaine du 8e art, à travers quelques-unes de ses figures les plus marquantes, de ses sujets les plus emblématiques ou de ses techniques les plus novatrices.
RARE ET UNIQUE COLLECTION DE 40 PHOTOGRAPHIES PAR HENRI CARTIER-BRESSON (1908-2004)
Provenant d’une riche collection, ces 40 clichés furent la propriété d’Henri CARTIER-BRESSON et servirent d’épreuves de référence pour l’élaboration d’ouvrages dans les années 1940 à 1970. Aucun de ces tirages, tous visés par la Fondation Henri-Cartier Bresson, n’a été auparavant montré au public.
Ces photographies bénéficient d’estimations attractives, entre 4 000 et 8 000 € chaque cliché. Exposé très tôt dans les grands musées (Museum of Modern Art de New York en 1947, Musée des Arts Décoratifs à Paris en 1955...), Henri Cartier-Bresson est considéré comme « l’œil du siècle », dont il a été le témoin privilégié des plus grands événements et mutations. Peter GALASSI, conservateur en chef du département Photographie au MoMA et commissaire de l’exposition de 1947, le considérait comme l’un des photoreporters les plus talentueux : « Stylistiquement, Cartier-Bresson est un génie ». Ses photographies subliment toujours un mouvement, un échange, un écho et dénotent une subtilité dans le regard et un sens de l’observation infaillible.
© Henri CARTIER-BRESSON (1908-2004) « Changaï, quand l’or fut mis en vente les derniers jours de Kuomintang », 1948 Tirage argentique de 1948 20,4 x 25,2 cm / Cachet Henri CARTIER BRESSON au dos
Le photographe, inventeur de « l’instant décisif». Il a parcouru le monde entre 1930 et 1970, démontrant ses qualités de grand reporter. Il disait lui-même : « Je ne voyageais pas, j’habitais dans les pays ». Henri Cartier-Bresson considérait la rue comme un lieu d’inspiration, de rapports inattendus avec le monde, de coïncidences étranges. C’est exactement ce qu‘il revendique dans L’instant décisif : « Je marchais toute la journée l’esprit tendu, cherchant dans les rues à prendre sur le vif des photos comme des flagrants délits ». C’est d’ailleurs le titre qu’il donne à l’un de ses premiers films en 1967, ainsi qu’à l’un de ses ouvrages
En déambulant dans son siècle, avec un flair aiguisé, Henri Cartier-Bresson se trouve toujours là où il faut, au bon moment, que ce soit pour la fin d’un régime, la mort d’une éminente personnalité, le reflet d’un passant ou l’accroche d’un regard. L’intuition peut-être...
Espagne et Amérique Latine
D’avril à juillet 1933, Henri Cartier-Bresson séjourne en Espagne où il réalise un reportage pour l’hebdomadaire Vu, parallèlement exposé au Club Ateneo, prestigieuse institution de la culture madrilène.
La même année a lieu sa première exposition à la galerie Julien LEVY à New York : Photographie anti-graphique présente des images qui occupent une place essentielle dans les prémices de son œuvre et dont le succès s’avère décisif pour la suite de sa carrière. 8 photographies de cette période, tirages réalisés par l’artiste dans les années 1970
En 1934, arrivé à Mexico dans le cadre d’une mission ethnographique, Henri Cartier-Bresson fait fi du défaut de fonds, la mission étant annulée, et décide de rester. Son Leica lui permet alors de prendre des images nettes en plein mouvement, en toute discrétion.
En 1954, Henri Cartier-Bresson est le premier photographe occidental à entrer en URSS depuis la mort de Staline. Son reportage fait l’effet d’un scoop qui sera publié dans Life, Der Stern, Picture Post, Paris Match et restera comme l’un des reportages les plus marquants du photojournalisme.
Les deux pages de présentation dans le numéro 305 de Paris Match sont à cet égard éloquentes : « Paris-Match [...] vous présente aujourd’hui un document d’une valeur exceptionnelle que l’on pourrait intituler Comment vit le peuple russe. C’est la première fois que ce peuple, sur lequel pèse depuis 37 ans un lourd secret, et qui ne nous était guère connu que par des images de propagande, apparaît sans fard dans sa vie quotidienne [...] »
D’autres images célèbres
Henri Cartier-Bresson se destinait tout d’abord à la peinture, qu’il étudia auprès d’André Lhote. On retrouve dans son œuvre cette sensibilité, comme si la pellicule devenait sa toile. On peut admirer dans chacune de ses photographies l’équilibre de la composition, les jeux d’opposition entre les tons, les convergences entre les lignes. Seront par ailleurs dispersés 6 portraits réalisés pour la plupart en 1962 pour le magazine Vogue
BEL ENSEMBLE DE 22 LOTS, COMPRENANT CHACUN DE 1 À 4 PHOTOGRAPHIES RÉALISÉES ENTRE LE 8 MAI 1962 ET LE 14 OCTOBRE 1962 SUR LE PLATEAU DE TOURNAGE DU FILM HUIT ET DEMI DE FEDERICO FELLINI PAR PAUL RONALD.
Ce corpus, constitué de tirages argentiques, est un exceptionnel témoignage du travail de Federico FELLINI (1920-1993), lors de la réalisation de Huit et demi « Je fais un film de la même manière que je fais un rêve », disait Federico FELLINI auteur d’une œuvre onirique, si unique que l’on qualifie de « baroque fellinien » son esthétique. Après la Palme d’Or au Festival de Cannes en 1960, avec La Dolce Vita, vient Huit et Demi (1963) et son troisième Oscar, prix du meilleur film étranger. Fellini disait de ce long métrage : « Tu ne comprends rien parce que tu veux comprendre avec intelligence. Il ne faut plus comprendre, il faut sentir. [...] Regarde les images et c’est tout...» (Propos recueillis par Michèle Mancreaux, L’Express, 14 mars 1963).
Né en 1924 à Hyères, Paul RONALD est un célèbre photographe de plateau. Grâce à ces clichés, il nous plonge au cœur de la fabrication de Huit et demi. Il était le photographe attitré de Luchino Visconti, lorsqu’il fut sollicité par Fellini à la fin du tournage du film Les tentations du docteur Antonio : « Je t’ai vu au travail, tu ne t’agites pas dans tous les sens, [...] tu ne me tournes pas autour comme une mouche, tes photos sont belles et tu n’emmerdes personne ». Marcello Mastroianni, son ami, disait de lui, qu’il était le seul à faire des portraits qui lui ressemblaient, où il était beau sans être banal.
© Paul Ronald
Paul Ronald, exaspéré par un tarif trop bas imposé par Angelo Rizzoli, producteur du film, lui rend l’ensemble des négatifs. La production décide alors d’utiliser un vieux laboratoire à Pesce. Malheureusement, lors de l’agrandissement de ce local, un grand nombre des négatifs en noir et blanc ont disparu. En 2012, le travail de Paul Ronald lors de ce tournage a été exposé au musée de l’Élysée de Lausanne, au Palazzo Benzon de Venise lors de la Mostra, ainsi qu’à la Galerie Cartiere Vannucci de Milan.
ENSEMBLE DE 20 PHOTOGRAPHIES PAR JACQUES-HENRI LARTIGUE
La vacation se poursuivra avec une collection de 20 photographies de Jacques-Henri LARTIGUE, tirées sur papier argentique dans les années 1980, estimées chacune 400 à 600 €. Seize d’entre elles le sont à partir d’une prise de vue faite par l’artiste entre 1912 et 1930 sur négatif sur verre stéréoscopique 6/13. Les fameux « 6/13 » de Lartigue. « Je ne suis pas photographe, écrivain ou peintre : je suis empailleur des choses que la vie m’offre en passant », déclarait l’auteur à propos de son œuvre. Lartigue apprend la photographie avec son père dès 1900, alors qu’il n’a que 6 ans. Curieux, il ne cesse de photographier sa vie rythmée par les voyages, les vacances en famille et surtout sa passion pour l’automobile, l’aviation et tous les sports... Bien qu’il continue à photographier tout au long de sa vie, il se consacre par ailleurs à la peinture. Il expose ses toiles dans les salons parisiens, fréquente de nombreux artistes, tels Guitry, Picasso et Cocteau.... Il se passionne aussi pour le cinéma et photographie de nombreuses scènes de Fellini, Truffaut... Ce n’est qu’en 1963 qu’il expose pour la première fois au MoMA à New York. La même année, le magazine Life lui consacre un portfolio. Ironie de l’Histoire, ce même numéro de Life annonce la mort du président Kennedy à Dallas. Cette édition fait le tour du monde. À 69 ans, à sa plus grande surprise, Jacques-Henri Lartigue devient soudain l’un des grands noms de la photographie
ENSEMBLE DE 12 « DISTORSIONS » PAR ANDRÉ KERTÉSZ
Les « Distorsions » comptent parmi les chefs-d’œuvre du patrimoine photographique moderne, au même titre que les « portraits » de Nadar, les « photogrammes » de Moholy-Nagy, les « solarisations » de Man Ray ou les « graffitis » de Brassaï. Une banale promenade du dimanche d’André KERTÉSZ et Carlo RIM à la Foire du Trône est à l’origine de cette invention. Essayant les attractions, ils s’arrêtent face aux miroirs déformants du Palais des Glaces. Ils plantent leur objectif sur pied et se photographient ainsi derrière leur appareil. Le soir même, ils développent les tirages. Les premières « distorsions » étaient nées. Carlo Rim les fait publier sur le champ, le 6 août 1930, dans Vu dont la couverture est l’un des portraits de Carlo Rim, intitulé Est-ce l’homme le plus gros du monde ? En 1933, Carlo Rim commande à son ami une série de nus déformés. André Kertész acquiert alors un miroir déformant aux Puces. Il réalise environ 200 images de nus, qu’il cadre au millimètre prêt pour supprimer tout fond en arrière-plan afin de ne donner à voir que le modèle distordu. Chaque image est titrée et numérotée. En 1976, l’artiste réunit environ 126 œuvres, titrées et numérotées, dans l’ouvrage Distorsions.
© André KERTESZ (1894-1985) « Distorsion 52 », 1933 Photographie argentique 12.5 x 10 cm
ENSEMBLE DE 15 PHOTOGRAPHIES PAR IRVING PENN
Considéré comme l’un des maîtres de la photographie moderne, Irving PENN est fasciné par l’humain qui constitue son inspiration première. Ses images présentent aussi de rares qualités de lumière, ainsi qu’une analyse de la forme, du dessin et de la tonalité. Il publie très jeune ses dessins dans le magazine de mode Harper’s Bazaar, puis travaille comme créateur publicitaire. En 1943, il est invité à prendre ses premières photographies pour le magasine Vogue. C’est le directeur artistique Alex Liberman qui pressent les potentialités du photographe. Cette collaboration avec les Éditions Condé Nast constituera la base de sa carrière photographique. Mais le sens de l’esthétisme aigu d’Irving Penn l’amène à considérer la robe traditionnelle d’une mexicaine avec le même respect des valeurs hiérarchiques et de la beauté intrinsèque qu’une robe de Dior ou Balenciaga.
© Irving Penn« Le lutteur, l’Ange, avec le mannequin professionnel Dorian Leigh », vers 1958, Tirage argentique d’époque, contrecollé sur carton Etiquette "The Wrestler, The Angel with Profesional Model, Dorian Leigh”, tampons Copyright The Conde Nast Publications et "Photograph by Penn" au dos du carton 23,6 x 18,5 cm
Irving Penn connaît un grand succès de son vivant, et son style domine les années 1950-1960 : publications de ses œuvres –Monuments preserved, Worlds in a small room, Inventive Paris Clothes, Flowers... – et rétrospectives personnelles au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, au Métropolitan Museum of Art de New York. Irving Penn s’attache à la réalisation des tirages et réhabilite le procédé au platine. Cette vacation comporte une très belle épreuve de la série des Petits métiers, qu’il réalisa à Paris, Londres et New York au début des années 1950. Seront également mis en vente 8 tirages de la série de Christmas at Cuzco publiée dans Vogue en décembre 1949, reflétant tout l’intérêt de l’artiste pour l’extinction des cultures dans le monde. De 1948 à 1971, il voyage dans le monde entier avec son studio portatif, et immortalise notamment les autochtones de Cuzco au Mexique. L’une de ces images détient d’ailleurs le record pour une œuvre du photographe en vente aux enchères publiques