Lathan and Bethany, Art fair at Jenks, Jenks, Oklahoma, 13 Octobre 2012 © Vanessa Winship/Vu
Photographier lAmérique, la persistance du rêve américain, un défi que Vanessa Winship décide dentreprendre à lautomne 2011. Pendant plus dun an, la lauréate du prix HCB a donc sillonné le territoire américain de la Californie à la Virginie et du Nouveau-Mexique au Montana pour comprendre comment sarticule le lien entre un territoire et une personne.
she dances on Jackson
«Je rentre chez moi à la fin d’une journée passée à arpenter les rues. Quand j’arrive sur le quai à Jackson, une foule fait cercle autour d’un orchestre. La musique est bonne et personne ne semble se soucier que les trains soient si peu fréquents.
Non loin, j’aperçois un petit groupe, deux femmes et deux jeunes filles, debout. Les femmes, d’âge mûr, portent des manteaux d’hiver en tissu uni, les filles des bonnets de laine imprimés panthère et des polaires colorées. Je crois qu’elles attirent mon regard parce qu’aucune ne ressemble à l’autre.
J’essaie de deviner si elles ont un lien de parenté. J’en ai la preuve quand la plus grande des deux filles pose la main dans le cou de l’une des femmes, cherchant son approbation, par ce geste silencieux et intime de fille à mère. Celle-ci donne son accord avec une tranquillité qui laisse entendre qu’elle a l’habitude de permettre ce genre de chose.
La fille ôte sa polaire et se dirige vers la musique. Elle marche avec aisance jusqu’au centre du cercle qui s’ouvre comme si la foule attendait sa venue. Son corps bouge librement, sans effets de pose ni parodie d’adulte. C’est une danse de son invention, entièrement spontanée. Elle ne semble pas avoir conscience des adultes qui l’encouragent ou des musiciens que sa présence fait sourire.
Printers Row, Old Colony Building, Chicago, Illinois, 22 Novembre 2012 © Vanessa Winship/Vu
Bientôt, pensant qu’elle a besoin de compagnie, une femme la rejoint. La fille n’ignore pas sa présence, et parfois même bouge en harmonie avec l’autre mais elle est parfaitement heureuse de danser seule.
Le moment se prolonge plusieurs minutes encore, sans que la fille ne perde ni son souffle ni son rythme, et la foule marque son affection en entourant la scène d’un cercle protecteur.
À l’arrivée du train, la mère de la fille fourre une liasse de billets froissés dans la main de l’un des musiciens et elles sautent dans le wagon.
C’est aussi mon train; je m’installe face au groupe, fascinée par la façon dont leur relation s’exprime, toute en retenue. Mon désir, c’est d’en faire partie, de leur demander qui elles sont, où elles vont, mais mon instinct m’en dissuade. Le hasard veut que nous descendions ensemble à Cumberland, et elles me précèdent vers le même parking en sous-sol. A aucun moment je ne suis assez près pour entendre ce qu’elles disent et je ne veux pas entrer par effraction dans ce monde parfait.
Nos voitures sont garées à côté. La fille finit par nous remarquer, l’appareil et moi. Le silence se brise: “Vous avez un bel appareil”, dit-elle. Et sur ces mots nous montons dans nos voitures, pour ne plus nous revoir.»
Vanessa Winship Chicago, Novembre 2012
Deer on highway embankment, Buffalo, New York, 4 Novembre 2012 © Vanessa Winship/Vu
Photographies et vignette © Vanessa Winship/Vu