© Dulce Pinzon
Le bleu du ciel 12, rue des fantasques 69001 Lyon France
« Super-héros » de Dulce Pinzòn et « En déplacement » de Yann Delacour
Pinzòn / Delacour
Le bleu du ciel a souhaité recevoir les travaux de deux artistes Dulce Pinzon et Yann Delacour qui questionnent à leur manière la première les rapports de la fiction et de la photographie documentaire, le second une réflexion sur une pratique plasticienne qui mêle le geste et l’installation.
La série «Super-héros» de Dulce Pinzòn a été montré aux Rencontres d’Arles en 2011. L’intérêt non démenti de cette approche de person- nages masqués et déguisés comme pour une parade de mardi gras, a connu depuis de nombreux développements chez d’autres artistes dans la tradition des bandes dessinées, cache en fait une réflexion distanciée et documentée sur la situation des travailleurs mexicains à New-York. La photographe a voulu théâtralisé les actions de ces héros du travail quotidien en les parant d’une dose d’humour visuelle redevable aux couleurs tranchés et au contraste que leur costumes crée avec la gestuelle banalisée de ces petits travaux cent fois représentés dans l’imaginaire collectif mais qui demandent parfois beaucoup d’humilité et de courage comme ces laveurs de vitre des grands buildings. Elle rend ainsi un hommage remarqué car ainsi devenu reconnaissable et donc voyant, à ces hommes et femmes latino- américains qui travaillent durement pour envoyer de l’argent à leur famille restée au pays, illustrant une fois de plus le drame invisible de l’immigration anonyme au sein des grandes métropoles capitalistes.
© Dulce Pinzòn
Dans un tout autre registre Yann Delacour présente un panel de ses travaux regroupé dans une synthèse nommée «en déplacement». La présence du corps y est omniprésente surtout dans ses auto-portraits à la tête de glaise qui associent la démarche photographique à celle de sculpteur. Il se rend aussi dans les rues de paris comme pour un repérage scrupuleux et répétitif d’installations naturelles, qu’il rencontre sur les trottoirs, où les travailleurs de la rue et boutiques avoisinantes se sont réservés des espaces vacants disposés dans des agencements originaux, au moyen des matériaux communs trouvés sur place. Fiction spatiale que l’artiste a tôt fait de re-présenter dans une ultime mise en place photographique, se réservant juste le droit de l’angle du cadrage.
Autre «corpus» de son approche, celui des travailleurs anonymes enfermés dans ces cages de verre, vitrines, espaces clos ou restreints qui invitent à la pénétration ou à la rentrée dans les grands ensembles architecturaux. Pions anonymes posés là comme des sculptures de chair avec pour unique fonction d’accueillir les visiteurs ou de préserver la tranquillité des es- paces intérieurs qui s’ouvrent derrière eux, parfois à travers un reflet ou un écran lumineux, qu’ils soient parkings, bureaux, sièges, cabines ou postes de renseignements divers. Cet ensemble de figures pris sur le vif rejoint sa mise en espace des trottoirs aux installations vacantes, en ce qu’elle apporte de l’at- tention à ce qui n’est jamais remarqué (ou peu remarquable) et en cela fait le lien avec les «super héros» de Dulce Pinzòn.
© Yann Delacour
Super-héros
2005 La véritable histoire des super-héros
Après le 11 Septembre, l’idée de « héros » devint petit à petit omniprésente dans l’imaginaire collectif. En cette période de crise, la nécessité de reconnaître le travail et l’extraordinaire détermination de certains individus face au danger semblait criante, ceux-ci sacrifiant parfois leur vie en tentant d’en sauver d’autres. Néanmoins, dans le tourbillon des médias qui affichaient, en une, les désastres et autres états d’urgence, il était aisé de passer à côté d’innombrables héros qui ont oeuvré chaque jour pour le bien d’autrui, tout autant que ces autres héros glorifiés; mais en des circonstances bien moins théâtrales. Le tra- vailleur immigré mexicain à New York est l’exemple même du héros qui passe inaperçu : il travaille souvent de très longues heures dans des conditions extrêmes, et économise sur son salaire, si bas soit-il, au prix d’im- menses sacrifices, pour l’envoyer au Mexique a sa famille et à sa communauté.
Discrètement, l’économie mexicaine est devenue dépendante de l’argent envoyé par des travail- leurs résidant aux États-Unis. De la même manière, l’économie américaine devient petit à petit dépendante de la main-d’oeuvre mexicaine. C’est de cet immense sacrifice, passé sous silence et inavoué, que nous parle Dulce Pinzón. Elle rendre ici hommage à ces hommes et ces femmes, figures courageuses et déterminées, qui réussissent tant bien que mal, sans le moindre pouvoir surnaturel, à supporter de difficiles conditions de travail afin d’ai- der leurs familles et communautés à survivre et prospérer. Ce projet est constitué de 19 photographies couleurs d’immigrants latino-américains vêtus de costumes de super-héros américains ou mexicains célèbres. Chaque image représente le travailleur / super-héros sur son lieu de travail et est accompagnée d’une légende constituée de son nom, sa ville natale, le travail qu’il assume et la somme d’argent qu’il envoie à sa famille par semaine ou par mois.
© Dulce Pinzòn
En déplacement
A travers quatre séries photographiques dont trois, inédites 2000 - 2013
La question du corps y est très prégnante, celui de l’artiste à travers ses autoportraits, aux installations réalisées par différents corps de métiers dans les rues de Paris afin de garder une place pour un véhicule et à travers ces portraits d’individus pris dans le cadre de leur fonction professionnelle. Et ce qui trouble assez rapidement l’attention est cette frontière qui semble osciller entre photographie quasi documentaire et photographie plasticienne. Là où le sujet semblerait s’inscrire dans le cadre d’une photographie dite plasticienne par exemple dans ces derniers autoportraits où l’artiste se recouvre la tête entièrement de terre afin de la mode- ler ou plus précisément pour la démodeler peut-être, Yann Delacour nous donne à voir ce geste dans le cadre d’un état des lieux, dans une photographie «docuplasticienne», ou l’identité semble autant se construire que de se déconstruire. Et c’est cet oscillement, cette vibration qui prend aussi place et forme dans les autres séries que nous pré- sente l’artiste.
© Yann Delacour
Les installations prises dans les rues de Paris sont autant des gestes de sculpteur que des gestes à un moment donné d’un ouvrier qui devra vite mettre en place un dispositif économique contextualisé pour garder la place pour son véhicule. D’ailleurs, certaines installations sont réalisés par l’artiste lui même dans un jeu de permutation ou l‘activité de l’autre devient extention de sa propre activité. Certains diront transgres- sion, mais c’est alors faire un contre sens direct à ce que met en jeu l’artiste. Et c’est cette même logique qui prend forme dans la série des portraits pris eux aussi dans les rues de Paris : hôpitaux, bureaux de poste, le siège de l’ONU, parkings, église, zoos... ou finalement à travers toutes ces sphères d’activité comme celle de l’artiste elle même, des individus se retrouvent face à eux mêmes dans une architecture à la fois mentale et subjective et à la fois pouvant nous interroger sur la nature de la relation que nous entretenons avec l’autre dans la sphère publique.
© Yann Delacour
Et cet oscillement entre état des lieux interne et externe vient véritablement démonter et questionner l’état de l’oeuvre, et l’oeuvre de l’état dans une recherche auto documentaire dans le cadre d’une recherche formelle plasticienne, et plasticienne dans le cadre d’une démarche quais documentaire externe à l’atelier. Cet oscillement crée un déplacement permanent du point de vue, de l’identité, alors que précisément tous les sujets sont totalement figés dans l’espace.
Yann Delacour travaille à Paris dans un petit atelier de quelques mètres carrés, et la rue est devenue par la force des choses son atelier à ciel ouvert créant un vase communiquant entre un monde intérieur et extérieur qui se sont complètement articulés.