
© Mathieu Roquigny
MATHIEU ROQUIGNY
Né en 1982 à Rouen, Mathieu Roquigny, photographe et plasticien, vit et travaille à Paris.
Etudiant en photographie à l’Ecole de Saint Luc en Belgique de 2002 à 2005, il arrive ensuite à Paris où il expose en 2006 au Centre Culturel Christiane Peugeot.
En octobre 2008, il est l’un des quatre invités du parcours de la Nuit Blanche à Amiens. Il présente des photographies léchées, belles et colorées, où interviennent des gens de petite taille. En jouant sur la démesure, il apporte un regard bienveillant sur les différences physiques inscrites dans des images parfois habituelles, parfois extravagantes.
En 2011 il expose à la Sucrière à Lyon.
En 2013 (actuellement) il est invité au Pavillon Carré de Baudouin pour y produire trois installations autour de l’ordinaire contemporain. En détournant les matériaux de leur fonction première (mines de crayons de couleur, glaçons, béton et chewing-gum), il donne l’illusion d’un quotidien poétique et enchanteur, où l’artiste jongle avec la rêverie et l’ironie pour mieux affronter les défis à venir.
CUT-OFF – L’EXPOSITION
Mathieu Roquigny accumule et prélève les traces de notre passage au quotidien. En créant des collections ou en marquant l’anecdotique, il nous propose une réalité rêveuse et imaginaire, exprimée par ses photographies en mosaïque et ses collections.
Comme un point de limite, ou une découpe, il nous invite à découvrir une partie de son univers, dans un parcours en 3 dimensions, de la lumière à l’obscurité, du silence au son.
Le parcours éveille nos sens au fur et à mesure que l’on pénètre dans les 3 salles d’exposition. Pas à pas nos yeux font appel à notre «odorat visuel» et à notre ouïe, qui elle même renvoie à nos souvenirs, à notre nostalgie. Les pensées de l’artiste deviennent un miroir vers nos propres pensées.
© Mathieu Roquigny
Tout commence par sa série Patchwork.
Des scènes prises en extérieur, en plongée, contre-plongée ou encore de face intègrent le sujet dans le décor qui l’entoure. Les photographies proposent des couleurs nuancées, qui quadrillent la vue d’ensemble en petites images telles des cartes postales.
Les mises sous verres génèrent alors un visuel proche de la mosaïque. Chaque parcelle d’image saccadée, pourtant indissociable de la vue d’ensemble, valorise son individualité. Elles renvoient au souvenir, à cette accumulation de sensations et de ressentis qui réunie façonne notre mémoire.
De part son aspect accessible et bas de gamme, la mise sous verre joue avec bienveillance sur le moyen d’exposition commun à tant de foyers, où les photos de famille et de vacances sont accrochées au mur directement entre deux verres.
Le patchwork est alors accessible à tous. Par le biais de photographies du quotidien il fait revivre l’émotion de nos propres vécus. Ces images capturées de façon journalière, semblent habillées de poésie et de voyage, où rêveur, chacun y trouve plaisir à faire renaître son imaginaire.
L’exposition continue sur une seconde salle où l’installation « Between me&us» fait échos aux collections photographiques, chronique et chronologiques de Mathieu Roquigny.
Mathieu prélève et accumule sans cesse. Il photographie chaque jour, s’entoure de clichés comme des marques du temps qui passe. Il crée des collections, chargées et fournies, dans lesquelles l’objet seul dénué de toute symbolique prend sens par la quantité. Son but est de donner à un objet quelconque ou à une action habituelle une valeur estimée par le volume.
Ce volume qui en une entité s’inscrit dans une histoire est pour lui la définition même de la collection. Comme un scientifique, l’artiste agrémente avec précision jour après jour ses collections.
« Between me&us » présente des petites bouteilles de whisky vidées et remplies à nouveau avec de la cendre, cigarette après cigarette, tel un marqueur temporel de nos actions. Sous cet aspect presque luxueux qu’envisage la couleur grisée-argentée du bouchon et des ballottins de cendres, l’œuvre nous mène par dela
les chemins de l’ordinaire en un parcours imaginaire où se rencontrent plaisirs quotidiens et envie d’évasion.
C’est alors une fusion qui s’opère, malgré le contraste frappant entre la beauté de l'objet et l'écœurement de l'acte et de la matière.
En face, des séries photographiques « Froyennes. Autoroute A8 » confrontent la réalité et l’absurdité de situations presque oubliées.
En photographiant pendant des mois un chat mort sur une autoroute belge, l’artiste invite à la réflexion sur nos capacités de résilience, à outrepasser ce qui pourrait nous déranger. D’attrait quelque peu provocateur, Mathieu Roquigny replace la vie au cœur de nos habitudes. Ce chat mort, qui sera laissé jusqu’à sa désintégration physique quasi complète sur la route devient lui aussi une composante de l’asphalte.
Comme un journal, il retrace ainsi le cycle des choses. Cette série se termine par le procès verbal qui lui fut dressé par la police alors qu'il photographiait ce même chat.
En pénétrant dans la dernière salle, Mathieu Roquigny nous plonge au cœur d'une sorte de journal intime par le biais d’anecdotes visuelles diffusées en diaporama de diapositives par deux projecteurs de type Bell&Howell.
Dans l’obscurité, le visiteur découvre deux diaporamas confrontés l’un à l’autre par un fond sonore en écho. Chaque appareil relate la vie personnelle de l’artiste et affiche des photos dénuées d’esthétisme. Les images défilent une à une, et la musique jouée par chaque projecteur s’entremêle à l’autre. Les deux diaporamas se répondent et résonnent ensemble en canon.
Mathieu accentue la nostalgie et le sentiment d’appartenance de l’objet. En « dénumérisant » les photographies et le son, il passe du numérique et de l’immatériel au concret (diapositives et cassettes audio), tel un retour aux vraies valeurs, à l’attachement et à l’aspect précieux des photographies d’antan.
Le projecteur de diapositives devient l’objet miroir, déclencheur et unificateur, des moments familiaux, amicaux, intimes : « Le projecteur diapo est pour moi synonyme de réunion de famille où tout le monde s'installe pour revoir le mariage de la cousine ou les vacances de tel été. Il y a tout un cérémonial autour de cet objet fédérateur ». M.R
Un jeu s'opère entre les paroles des chansons et le diaporama des images. L’analogie s’amplifie au fur et à mesure, et le visionnage des photographies devenu aléatoire offre au visiteur un retour sur ses propres souvenirs. Il nous propose de nous enfouir dans nos pensées et nous invite à réfléchir à l’importance de l’anecdotique dans le quotidien et dans nos relations.
Comme une transmission, ou une transgression d’un état à l’autre, l’artiste porte ici une dédicace à ses proches. C’est de façon très personnelle et intime, empreinte de nostalgie et d'humour que l’artiste les remercie.
Anais de Senneville
Photo et vignette © Mathieu Roquigny