Grommets #5 , novembre 1980 Courtesy galerie Loevenbruck, Paris. Photo Paula Court. Tous droits réservés / All rights reserved
Galerie Loevenbruck 40, rue de Seine - 2, rue de l'Echaudé 75006 Paris France
Jean Dupuy abandonne Paris pour New York en 1967, après avoir jeté la plus grande partie de sa production picturale (issue de l’Abstraction lyrique) dans la Seine : une action qu’il commentera plus tard en deux mots : « Plouf ! Ouf ! » Un an à peine après qu’il fut arrivé à New York, sa sculpture Cone Pyramid (Heart Beats Dust) s’impose comme l’œuvre emblématique d’EAT1. Cette sculpture de poussière, activée par les pulsations cardiaques des spectateurs, est la première rencontre de Jean Dupuy avec l’idée même du collectif mais aussi avec ce qu’il nomme le Lazy Art : l’art paresseux, un art qui consisterait, nous dit-il, à « faire travailler les autres, en grande partie, à sa place2 ». Le succès immédiat que rencontre Cone Pyramid (Heart Beats Dust) lui permet de poursuivre pendant plus de quatre années ses recherches « techno-sensorielles », conjointement avec les institutions artistiques et un marché de l’art de plus en plus prédominant.
En 1972, il déserte la Sonnabend Gallery pour se consacrer à un art vivant, un art qui ne réponde pas aux diktats du marché, et il organise, en mai 1973, son pre- mier événement collectif, une exposition, « About 405 East 13th Street (#1) », pour laquelle il invite trente artistes à intervenir dans et à propos de son lieu (un loft, espace à la fois de travail et de vie) : des interventions minimales, imperceptibles, pour la plupart, où les œuvres présentées ne sont pas à vendre. C’est dans ce même endroit, au cours de la deuxième édition d’« About 405 », en 1974, qu’il réalise sa première performance, The Shaving of My Moustache : sur une scène tournante (Lazy Susan) activée mécaniquement par un assistant, il se rase la moustache derrière un écran translucide, en ombre chinoise.
L’exposition « Jean Dupuy : les années collectives (1973-1983) » retrace, pour la première fois, la période « collective » de l’œuvre de Jean Dupuy – à compter d’« About 405 » et jusqu’à la dernière exposition de ce type, à la Grommet Gallery, peu de temps avant son retour en France et son retrait quasi monacal à Pierrefeu (village haut perché de l’arrière-pays niçois), là où il se consacrera à son travail anagrammatique. Mieux que quiconque, Jean Dupuy a su définir le genre collectif (expositions, per- formances et vidéos) comme un « état des lieux de la création contemporaine (au début des années 70), placé sous le signe du mélange des genres et des familles artistiques (une salade d’artistes !)3 ». Pas un mouvement donc, comme Fluxus (George Maciunas), ni une « franchise » comme le New York Avant-Garde Festival (Charlotte Moorman) – deux précédents difficiles à ne pas mentionner : juste une « salade d’artistes » répondant ponctuellement à ses invitations (lancées sous la forme d’un thème, d’une idée, d’un titre) à exposer ou à performer, dans la limite prescrite d’un espace et/ou d’un laps de temps.
L’exposition de la galerie Loevenbruck présente de nombreuses sources d’archives, vidéos, photographies et documents originaux (affiches, invitations, publications), pour la plupart inédits, qui retracent l’impressionnant parcours des expositions, des performances, des vidéos et des concerts collectifs organisés par Jean Dupuy entre New York et Paris au cours de la période 1973-1983. Pour ne citer que les plus emblématiques : « Soup and Tart » (The Kitchen, novem- bre 1974) ; «One Afternoon On a Revolving Stage» (Whitney Museum, mars 1976) ; la série des « Grommets » (Grommet Studio, 537 Broadway, 1976-1977) ; « A Tower at PS1 » (PS1, février 1978) ; le désormais mythique « Art Performances / Minute » (musée du Louvre, grande salle des États, octobre 1978) ; les quatre soirées « C.U.L. » (New York et Paris, 1980-1981) ; ainsi que les vidéos collectives : Artists Propaganda (1977), Artists Shorts (1979) et La Pub (1980).
Ces documents témoignent du rôle primordial que joua Jean Dupuy en tant qu’ins- tigateur du genre collectif au début des années 1970 et montrent toute l’ampleur de ce phénomène. Plus de trois cents artistes – plasticiens, danseurs, sculp- teurs, musiciens, poètes –, principalement des amis, qu’il sut rassembler autour de lui, tels que : Laurie Anderson, Olga Adorno, Christian Boltanski, Robert Breer, André Cadere, Charles Dreyfus, François Dufrêne, Robert Filliou, Simone Forti, John Giorno, Raymond Hains, Bernard Heidsieck, Dick Higgins, Alison Knowles, Arnaud Labelle-Rojoux, George Maciunas, Gordon Matta-Clark, Anthony McCall, Annette Messager, Jacques Monory, Charlotte Moorman, Claes Oldenburg, Patty Oldenburg, Nam June Paik, Charlemagne Palestine, Richard Serra, Ben Vautier, Hannah Wilke.
Preuves, si nécessaire, que l’idée de conscience collective développée, prétendu- ment avec paresse, par Jean Dupuy durant plus de dix ans entre New York et Paris passe difficilement inaperçue !
Notes
1. Experiments in Art and Technology fut officiellement lancé à New York en 1967 par les ingénieurs Billy Klüver et Fred Waldhauer, associés aux artistes Robert Rauschenberg et Robert Whitman, après la série de concerts intitulée « 9 Evenings » (69th Regiment Armory, New York, 1966). 2. « Performance et Conscience collective – Interview de Jean Dupuy par Éric Mangion », art press 2, no 18, août-octobre 2010, p. 53.
3. Interview de Jean Dupuy par Éric Mangion, Nice, 2010 (archives Jean Dupuy).