© Thierry Secretan
En 2005, à bord de son voilier, Thierry Secretan entreprend de photographier en haute mer et à fleur de côte des paysages au dépouillement absolu, une recherche d’ordre sensorielle. Il réalise une première série d’images en Terre de Feu puis une deuxième aux Açores.
« Cet archipel en vue, un cachalot apparut devant mon voilier. Il accoupla au ciel son immense nageoire caudale puis disparut en un clin d’œil, laissant à la surface un cercle parfait. Sans ce rond calme et presque huileux qui s’élargissait lentement – les biologistes parlent d’empreinte – j’aurai douté avoir bien vu.»
© Thierry Secretan
Aux Açores, où le dernier cachalot ferré au harpon à main fut sorti de l’eau en 1984, se situe la frontière d’un passé tout à la fois archaïque et très proche. Aujourd’hui, aux portes de l’océan, autour de ces îles volcaniques où le cétacé vient se reproduire, la rencontre est enfin pacifique.
« Je tente, me semble-t-il, de recréer un monde parfait, un monde intact.»
Pour Thierry Secretan toute photographie, et possiblement toute œuvre artistique, est un acte de mémoire, qu’il soit destiné à une mémoire personnelle ou plus encyclopédique. Aussi commence-t-il par s’intéresser au travail de ses prédécesseurs sur le thème, le pays ou le lieu qu’il étudie. En arrivant aux Açores, archipel des cachalots, il satisfait immédiatement cette quête, des archives nombreuses se trouvant dans les musées locaux ou les magasins de photographies.
Thierry Secretan est un photographe voyageur dont l’œuvre interroge depuis plus de trente ans les différentes temporalités des lieux et des hommes qu’il rencontre sur son chemin. Son travail s’intéresse à la stratification historique et culturelle des paysages comme aux objets et aux signes qui les occupent et les composent. Sa photographie se penche sur les transitions lentes, sur la dimension existentielle des lieux photographiés, en constante évolution bien qu’ils apparaissent immobiles Après avoir sillonné l’archipel des Açores à la suite des cachalots enfin en paix, la même démarche conduit Thierry Secretan à explorer l’ancienne ligne de front de la Grande Guerre, de la Somme à la Suisse.
« En retrouvant les photographies réalisées pendant ce conflit par Victor Rey, mon arrière-grand-père, et son unique fils Robert, le besoin de retrouver les lieux de leurs combats s’est imposé.»
En septembre 1914, ce père et son fils s’engagèrent ensemble comme simples soldats. Ils servirent au même canon dans l’Aisne, en Argonne, dans la Somme, en Alsace. Ils aimaient en parfaite complicité la même femme, Kikite, et lui envoyèrent plus de mille lettres, y joignant dessins, photographies et fleurs séchées. Tous deux survécurent au carnage attribuant ce miracle à « la main de la chance » et à Kikite, « la petite idole adorée ».
© Thierry Secretan
Depuis 2010, Thierry Secretan parcourt les emplacements où Victor et Robert ont combattu, à Craonne, Verdun, Souain, au Four de Paris, à Ballersdorf, à Missy-aux-Bois. Puis il photographie la présence de ces lieux immuables, brouillés, saccagés par les hommes, et qui pourtant ne semblent pas vouloir changer, remettant toujours en marche l’éternité du sol. Après avoir intégré l’agence Gamma en 1979, Thierry Secretan contribue la même année au lancement du magazine Actuel. Pendant plus de vingt ans, l’Afrique a été son espace de prédilection. Sa passion pour le Ghana l’amène à s’y installer de 1989 à 1992, période pendant laquelle il effectue un important travail photographique et cinématographique sur l’évolution des rites funéraires. Ce travail a fait l’objet de publications et d’expositions dans de nombreux pays.
Ses photographies se focalisent, dès cette période, sur les mutations éprouvées par les sociétés traditionnelles. Ces questionnements se retrouvent jusque dans ses œuvres les plus récentes. Sa démarche photographique est toujours dictée par une recherche historique et l’étude des archives photographiques existantes. Thierry Secretan a publié de nombreux ouvrages dont Açores (éditions Au Pont des Arts, Paris, 2013), 1914-1918, le temps de nous aimer (Paris, La Martinière, 2012), Buried Spirit (Tokyo, Kyoichi Tsuzuki, 2000), Going into Darkness (Londres, Thames & Hudson, 1999), Il fait sombre va-t’en ! (Paris, Hazan, 1994).