Expositions du 04/11/2005 au 15/01/2006 Terminé
La maison rouge 10 bd de la Bastille 75012 Paris France
De format panoramique, les photographies de Luc Delahaye ont été réalisées, depuis quatre ans, sur les terrains del'actualité : lieux de guerres, de conflits ou de pouvoir, lieux où l'histoire se décide et se fait, au moment où elle sefait. L'approche est directe, comme celle d'un reporter. La frontalité, la neutralité, le détachement et la richesse dudétail apparentent ces images à la photographie de style documentaire. Leur format et leur puissance narrative lesrelient à des pratiques artistiques plus anciennes, ou plus récentes, de Gustave Courbet à Jeff Wall.
Luc Delahaye s'attache à présenter, par la photographie, un état du monde contemporain et à produire, danschacune de ses images, une vision synthétique des événements et des situations. Le choix du tableau, forme-typede l'image autonome, et celui de la dimension des œuvres relèvent d'une volonté de distinction de l'image dansune culture dominée par les médias de masse. Ce travail conduit à une réflexion sur les relations entre art, histoireet information.
Un ensemble de forces contraires sont à l'œuvre dans ces images. Ainsi, la pleine présence au réel, quête duphotographe dans un jeu dialectique entre l'absence à soi et la présence au monde, coexiste avec la froideur et ladistance du regard critique. Ainsi encore, la capacité à rester au plus près de l'enregistrement, au plus près de laphotographie dans sa spécificité première, conduit paradoxalement à un dépassement du « photographique ».Enfin, la clarté anti-sentimentale de la forme documentaire contredit et alimente l'intensité dramatique liée ausujet et à la forme spectaculaire du tableau. Sous une apparente cohérence visuelle, l'image présente un nœud detensions formelles, d'enjeux esthétiques et politiques.
Luc Delahaye, entretien avec Philippe Dagen, paru dans Art Press en novembre 2004
(...) C'est cela que j'ai travaillé au fil des années. J'avais deux mots : vitesse, indifférence. La recherche du gesteparfait, pur dans son efficacité. Tromper ce qui en soi fait obstacle ; arriver, par une forme d'absence, par uneforme d'inconscience peut-être, à une unité avec le réel. Une unité silencieuse. La pratique de la photographie estune chose assez belle : elle permet cette réunification de soi avec le monde. De temps en temps, seulement. Cetensemble de gestes qui n'ont pas d'autre finalité que leur propre accomplissement, cela, pour moi, relève trèsclairement de la performance artistique...
(...) Comment rendre compte de l'histoire ?- On se demande d'abord : quelle histoire ? Je regarde ce qui m'entoure et je trouve qu'il y a des choses plusimportantes que d'autres : cette hiérarchie est le produit de ce que je suis, de l'endroit où je suis né. On n'échappepas à ça, mais il est important d'en être conscient. Ensuite, je dois accepter de me limiter à ce qui estsuffisamment visible, éminemment visible. C'est une porte étroite, mais pour moi il n'y en a pas d'autre : je saisque l'histoire ne se résume pas à ses dates, qu'elle est un mouvement permanent, assez lent et souterrain, mais ilse trouve que je travaille sur une propriété de la photographie, qui n'appartient qu'à elle, et qui est saprétenduelittéralité. Enfin, il y a l'insignifiance de ma position : sur le terrain, je fais ce que je peux et c'est tout. Pas de visionomnisciente, pas de position dominatrice.
(...) Pouvez-vous parler de cette formalisation ?- Les mots ne viennent qu'après, après qu'on ait trouvé... Être artiste n'est rien, ou pas assez ; ce qu'il faut, c'estêtre poète : on articule des sons encore informes, on invente ce qui semble une route possible... Pourtantl'essentiel est là, il ne s'agit jamais que de traduire une attitude et de rationaliser une intuition, en utilisantd'abord ce qu'il y a de spécifique à la photographie. Il y a le refus du style et le refus du sentimentalisme, il y a cedésir de clarté, et il y a la mesure de cette distance qui me sépare de ce que je vois. Il y a aussi la volonté de servircomme un serviteur l'image dans son exigence rigoureuse : porter l'appareil là où il doit être et créer une image quine soit ni soumise au réel, ni soumise à une intention - car l'intention du moment sera toujours en deçà de ce quel'on cherche vraiment. Il s'agit d'enregistrer autant de détails que possible et de parvenir à un ordre, sans ôter duréel sa complexité. Énoncer le réel, et créer une image qui soit un monde en elle-même, avec sa propre cohérence,son autonomie, sa souveraineté ; une image qui pense.
(...) Quelle est, dans votre travail, la part du document et celle de la fiction ?- Ça marche ensemble... Le document tend vers l'imaginaire, la fiction tend vers le réel. On peut dire que si l'oncherche une forme du vrai par la fiction, le réel, lui, devient énigmatique à force d'être évident. Il y a, dans laphotographie documentaire, cette possibilité intéressante de parvenir à une forme poétique. C'est pour moi plusqu'une possibilité intéressante, c'est ce que je cherche. Si une image est assez forte, si elle nous résiste, si par sacohérence obscure elle échappe en partie à notre entendement, alors, c'est que quelque chose a été gagné sur laréalité.
Quentin Bajac, Le regard élargi (extraits), paru dans les Cahiers du Musée National d'ArtModerne, juillet 2005
(...) Instrument revendiqué d'une saisie neutre du réel, le format panoramique ne marque-t-il pas également une volonté d'ouvrir l'image aux puissances du narratif, de l'imaginaire et de leur insuffler une dimensiondramatique, quitte à en brouiller le sens ? De considérer l'image également comme un tout symbolique, quifinalement ne se contenterait pas seulement de décrire le monde de façon photographique, mais le ferait plutôtde manière allégorique?
(...)Par l'élargissement du champ qu'il implique, le format panoramique signifie donc la promesse d'une saisiedu réel à la fois plus complexe (dans sa frontalité étendue) et plus inconsciente (dans sa difficulté à maîtrisertout le champ). Instrument d'une forme ouverte, il semble en effet incarner cette utopie documentaire d'une chimérique - neutralité. Mais il se révèle également et paradoxalement, après coup, comme le principal agent(double serait-on tentés de dire) d'une dramatisation de l'image. Et ce d'autant plus que Delahaye l'emploie àdessein dans cette direction, en « montant l'ampli », pour reprendre l'expression de Thierry de Duve concernantJeff Wall. Comme chez ce dernier et d'autres à sa suite, le choix d'agrandir les tirages va vers une forme despectacularisation, résultante d'un constat - celui que nous sommes « dans un environnement culturel où ni lapeinture ni la photographie de petit format ne pouvaient espérerconcurrencer la forme séductrice du cinéma etde la publicité ». Spectacularisation d'autant plus forte que le format panoramique n'est pas un format« neutre ». Il renvoie, d'une manière informulée mais néanmoins réelle, à un autre mode d'appréhension du réel,le panorama, lié historiquement à l'économie du spectacle et que tout - la revendication d'une maîtrise sur lemonde et l'espace, la mise en avant du simulacre comme mode de connaissance - oppose à la formedocumentaire. Si les formats panoramiques de Delahaye n'ont plus grand-chose à voir, en termes d'échelle et dedimension, avec le caractère monumental et englobant des panoramas du siècle dernier, pas plus qu'avecl'écran parfois démesuré du Cinémascope, ils en conservent néanmoins un jeu de proportions et de rapports,suffisamment évocateur pour en suggérer la trace à l'esprit du spectateur : comme l'impression d'être sur lebalcon de l'Histoire - et l'expression fait bien réellement référence à la plate-forme du panorama où se tenait lespectateur - d'où l'homme croit contempler le monde.Envisagés en série, ils commencent à s'animer, fonderun récit, non linéaire, lacunaire et subjectif, mais renforçant la dimension narrative de l'ensemble. À ce titre, lesimages de Delahaye se trouvent bien habitées par ce double de la photographie que constitue lecinématographe envisagé comme outil de narration privilégié du monde - à l'instar de la peinture au XIXe siècle.
(...) Nous sommes bien là dans une forme retorse d'utilisation, à contre-emploi, d'une forme narrative etdramatique - le format panoramique - à des fins documentaires : une forme d'antonymie photographique sedéployant en d'impressionnants paradoxes visuels pour dresser un impossible état du monde. Cette cohérenceobscure s'accomplit pour l'instant sous la forme allongée et poétique du panorama, conjuguant pour Delahayeles attirances lumineuses de la forme documentaire et les tentations plus obscures de la forme dramatique enun double mouvement d'ouverture au monde et d'opacification du sens : comme une obscure clarté.
• Biographie
Luc Delahaye est né en France en 1962. Il vit à Paris.
• Publications
- History (Chris Boot, 2003)
- Une Ville (Xavier Barral, 2003)
- Winterreise (Phaidon, 2000)
- L'Autre (Phaidon, 1999)
- Mémo (Hazan, 1997)
- Portraits/1 (Sommaire, 1996)
US Bombing on Taliban Positions (2001, C-Print,111 cm x 238 cm)
November 10 2001. Bombing of Taliban positions by a United States B52 plane in the Shomali valley, 30 miles north of the Afghan capital Kabul. © Luc Delahaye
Galerie d'images
1- September 11 Memorial (2002, C-Print, 111 cm x 238 cm)
September 11, 2002. One year after, the commemoration ceremony in New York.© Luc Delahaye
2- The Milosevic Trial (2002, C-Print, 111 cm x 245 cm)
September 26, 2002. Slobodan Milosevic, former President of Yugoslavia, at the opening of his Bosnia and Croatia trial in the trial chamber #3 of the International Crime Tribunal for the Former Yugoslavia, The Hague, Netherlands.© Luc Delahaye
3- Baghdad IV (2003, C-Print, 111 cm x 245 cm)
April 13, 2003. In the center of Baghdad, two days after the take over by american forces.© Luc Delahaye
4- Ordinary Public Consistory (2003, C-Print, 111,4 cm x 240,8 cm)
October 22, 2003.Basilica of Saint Peter, Vatican. Mass at the occasion of the ordinary public consistory for the creation of new cardinals.© Luc Delahaye
La maison rouge 10 bd de la Bastille 75012 Paris France