© Olivier Adam
« Nonnes et Résistantes »
Elles se nomment Tenzin, Gyaltsen, Jamyang ou Yangzom. Les plus jeunes sont nées en exil, en Inde ou au Népal ; les autres ont traversé l’Himalaya, souvent au péril de leur vie. Jamyang, 48 ans, arrivée à Dharamsala en 2004 se souvient : « Marchant de nuit pour éviter les patrouilles chinoises, je suis arrivée les pieds gelés, je n’avais pas bu depuis quatre jours, j’ai cru que j’allais mourir ». Ville du nord de l’Inde, Dharamsala était un lieu de villégiature pour les colons britanniques. C’est devenu le siège du gouvernement tibétain en exil depuis que le Dalaï-lama s’y est installé en 1959, après avoir fui Lhassa, capitale du Tibet. Depuis, les réfugiés n’ont cessé d’y affluer : ils sont aujourd’hui 94000 en Inde.
Pour Tsewang Zangmo, à Shugsep depuis quatre ans, c’est encore le temps de l’innocence. Elle a neuf ans et court dans les allées du monastère, joue au badminton, en attendant la reprise des cours dans quelques jours. Issue d’une famille pauvre de la zone frontière entre le Népal et le Tibet, ses parents ont choisi de l’envoyer ici afin qu’elle puisse avoir une vie meilleure. Espiègle et sérieuse à la fois, elle y étudie le tibétain, l’anglais, les sciences et la philosophie. Elle choisira plus tard de rester nonne ou de redevenir laïque.
Tenzin Choeden, supérieure de ce monastère défile pendant ce temps dans les rues de Dharamsala pour commémorer le soulèvement des femmes tibétaines du 12 mars 1959. « On m’a interdit de retourner dans mon monastère après avoir manifesté pacifiquement à Lhassa en 1998, j’ai passé deux mois en prison ». Pudique, comme le sont généralement les tibétaines, Tenzin avoue que cela reste trop difficile d’en parler. Tsomo, sa traductrice, nous confie qu’elle garde de lourdes séquelles des séances de torture à l’électricité.
Gyaltsen Drölkar, l’une des « 14 nonnes chantantes de Drapchi » vit à Bruxelles et raconte ce douloureux parcours dans son livre L’insoumise de Lhassa* paru en 2011, « écrit par devoir de mémoire, parce que d’autres vivent aujourd’hui ce que j’ai moi-même vécu ». Emprisonnées dans les années 90 au Tibet après avoir manifesté pacifiquement et crié « Vive le Tibet libre, longue vie au Dalaï-lama ! », les « 14 de Drapchi » se sont illustrées en enregistrant clandestinement des cassettes de chants jugés «révolutionnaires et séparatistes » par les Chinois ce qui leur a valu de cinq à neuf années d’emprisonnement supplémentaires. Phuntsok Nyindron, compagne de cellule de Gyaltsen raconte :
« À mon arrivée en prison, les gardes m’ont menottée dans le dos et tiré sur les bras jusqu’à ce que mes épaules se disloquent. Ils m’ont ensuite brûlé les mains et le visage avec des cigarettes. Ils nous battaient au visage tous les jours. Mais ce jour-là, ils m’ont accroché des fils électriques sur les doigts et m’ont électrocutée, tout en me battant avec des barres de métal. Ils m’ont laissée dans la cellule, inconsciente, sans me donner ni à boire ni à manger. »
© Olivier Adam
Depuis mars 2009, au Tibet oriental, plus d’une centaine de moines, de nonnes et de laïcs ont tenté de s’immoler par le feu. Ani Sangay Dolma jeune moniale de 17 ans, est morte le 25 novembre 2012 après s’être immolée par le feu dans le comté de Rebkhong (Amdo). Elle a laissé un poème intitulé il - (le Dalaï-lama) - est de retour. C’était la quatrième nonne à s’immoler ainsi.
« L’espoir est là, dit Gyaltsen dans un sourire, les choses peuvent changer car notre combat est juste, même si cela prendra du temps. Mais il nous faut plus que de la sympathie, il nous faut un vrai soutien» lâche-t-elle, dans un souffle soudain très grave.
Dominique Butet
© Olivier Adam
Olivier Adam est né en 1969. Physicien normalien de formation, il s’est peu à peu tourné vers la photographie. Il est aujourd’hui photographe indépendant et enseigne à Paris au sein de l’école de photographie Auguste Renoir. Après un travail sur la danse et la soie khmère exposé en 2001 au Palais de l’Unesco à Paris, il se consacre depuis plusieurs années à la culture et au bouddhisme tibétains, en suivant notamment l’enseignement de Kalachakra que donne Sa Sainteté le Dalaï-lama régulièrement à travers le monde. De tradition humaniste, il travaille sur des sujets personnels, mêlant l’Homme et le Sacré, les rituels, l’univers féminin occupant toujours une grande place dans ses images. Il a collaboré avec Sofia Stril-Rever, Matthieu Ricard et Manuel Bauer à la réalisation du livre « Kalachakra : un mandala pour la Paix », publié en avril 2008 aux Editions de La Martinière ainsi qu'au livre « Dalaï-lama- Appel au monde » publié en mai 2011 aux éditions du Seuil. Il suit depuis 2008 le parcours des religieuses tibétaines en exil. Ce travail commencé dans cinq monastères situés près de Dharamsala, se poursuit dans la rencontre de nonnes ex-prisonnières politiques qui ont obtenu l’asile en Occident. Dakinis, cette série sur l’univers féminin bouddhiste, s’élargit désormais aux moniales de toutes les régions de l’Himalaya.
Photos et vignette © Olivier Adam