Première paye © Olivier Pasquiers
Château d'Ardelay 6 rue Tourniquet 85502 Les Herbiers France
« Quelles vies » pour ces vieux Marocains, Oubliés de guerre, qui ne parlent pas, ou si peu, le français ? Ils vivent là, isolés dans un foyer au milieu d’une cité comme une autre...
Quelle vie pour tous ceux, jeunes ou vieux, femmes ou hommes qui errent des heures entières sans travail ni logement ? Première paye ; premiers pas dans la vie adulte. Dix ou vingt ans plus tard, ils sont chômeurs, sans droit ni espoir...
Quelle vie faite à celles et ceux de tous âges, de toutes conditions, qui ont fuit les violences de leur pays ? Maux d’exil, j’ai vu, devant moi, pleurer une femme Sri-Lankaise sans-papiers. Elle avait en permanence la peur au ventre à marcher dans ma ville, peur d’être expulsée, renvoyée dans son pays...
Quelle vie faite au quotidien à tous ces corps contraints par l’extrême pauvreté, par l’angoisse de la maladie que l’on ne soignera pas ? Nous... notre corps. Corps douloureux, corps sans-abri, corps sans raison d’être un parmi les autres...
Quelle vie pour Serge, Denise, François... et pour tous ceux qui dorment ici ou là et bien sou- vent dans la rue si seuls qu’ils en oublient parfois qu’ils savent penser, qu’ils savent écrire...
Alors j’ai choisi de m’asseoir à côté des gens, de les photographier, mais aussi de les écouter. Depuis presque 20 ans je cherche à photographier en étant parmi les femmes et les hommes qui m’entourent ; à distance d’une poignée de main, d’une parole échangée. Paroles échangées contre une photographie, photographies contre du temps passé ensemble. Des mots, des témoignages, des bouts d’histoires qui raconteront ce que l’image à tant de mal à dire.
De rencontres en rencontres je commence à savoir un peu mieux à quoi nous ressemblons et à quoi je ressemble. Mais cette connaissance ne s’acquiert jamais sans peine. Parce que les portes sont dures à franchir, et dures aussi les vies. Les visages ont du mal à s’ouvrir, et c’est sans doute bien ainsi. Je sais maintenant que les corps sont faits aussi de mots, parfois indicibles ; qu’il faut alors aller les chercher dans un fragment de corps offert en lieu et place de la figure. Se laisser photographier, visage caché, pour quand même être présent au monde et participer à la construction de ce NOUS si précieux.
Olivier Pasquiers
Oubliés © Olivier Pasquiers
Cinq séries photographiques mélangées (car rien n’est jamais simple) Réalisée en France entre 1996 et 2008.
Les photographies sont accompagnées de quelques textes soit issus de témoignages ou d’atelier d’écriture, soit extrait d’un texte de Michel Séonnet. Mis à la disposition des visiteurs, ces feuillets à détacher du mur, sont la trace que chacun peut emporter d’une brève rencontre, d’un bref croisement de vies.
1 - Les oubliés de guerre :
Extrait du livre « Oubliés de guerre », édition Créaphis, 2005.Textes de Michel Séonnet. Des Anciens Combattants Marocains de l’armée française vivent dans un foyer ADOMA à Beauvais.
2 - Première paye :
Extrait de la série Première paye. Maison de la Solidarité de Gennevilliers, 2008. Fondation Abbé Pierre pour le logement des défavorisés.
3 - Maux d’exil :
Extrait du livre Maux d’Exil (le bar Floréal . édition). Le livre est pour l’instant épuisé. Association le COMEDE, Comité médical d’aide aux exilés, hôpital du Kremlin-Bicêtre, 1996-1998. Parce qu’ils ont pris la parole, parce qu’ils sont d’une autre culture que celle du pouvoir en place, des femmes, des hommes sont contraints de fuir leur pays. Ils bénéficient rarement de la conven-
tion de Genève (1951), pourtant antérieure à tous les autres traités. En ajoutant aux photographies les peurs, les témoignages d’autres réfugiés qui eux ne sont pas représentés, je souhaite montrer la difficulté qu’il y a à vivre dans l’angoisse quotidienne d’être expulsé.
4- Nous... notre corps :
Extrait de la série Nous...notre corps. Maison de la Solidarité de Gennevilliers, 2002. Ces photographies de corps ont été réalisées dans le cadre d’un projet culturel mené par la Mai- son de la Solidarité de Gennevilliers. Elles sont accompagnées de textes écrits dans le cadre d’un atelier d’écriture.
Toutes les photographies sont, dans cette série, anonymes.
5- Serge, Denise, François... :
Extrait de la série Serge, Denise, François... La Moquette est un lieu géré par l’association les Compagnons de la Nuit, Paris, 1995.
Les textes ont été écrits par les personnes photographiées sans domicile au regard de leur propre portrait, une écriture libre, sans contrainte autre que celle d’essayer de parler de soi plutôt que des difficultés à vivre. Un atelier d’écriture mené par Véronique Petetin.
Corps © Olivier Pasquiers
J’ai souvent photographié des mères, des pères, qui du mieux qu’ils peuvent, tentent de donner une bonne éducation à leurs enfants. Une bonne place, un bon métier. Et comment trouver « sa » bonne place autrement qu’en participant du mieux possible à la construction du NOUS, de ce temps commun que nous vivons et que nous partageons ? Comment construire cet espace com- mun autrement qu’en y travaillant ensemble - côte à côte – le camionneur, le maçon, le musicien, la professeure aux cotés de la policière...Mais de quels moyens disposons nous pour donner envie à ces jeunes ? Les laboratoires, les ateliers, les chantiers, les bureaux sont trop fermés à la curiosité de ce jeune public qui a besoin pour construire ses rêves de s’imaginer, de se projeter. Lequel préférera l’odeur de la soudure ou du pain ?
Laquelle préférera la sciure ou bien le vent ? La majorité de ceux que j’ai rencontrés ici n’en savent rien encore. Ils cherchent ; ils se cherchent. Dans cette classe de troisième ouverte au sein d’un lycée - peut-être parce qu’ils sont un peu moins dociles que d’autres - on leur donne la possibilité d’aller plusieurs fois dans l’année s’es- sayer : paysagiste ou garagiste ? Dedans ou dehors ? Bleu de travail ou chemise blanche ?
Que peut une photographie dans le lent processus de la construction du projet professionnel d’un jeune ?
Au cours de cette « résidence de lumière », pendant qu’ils étaient chacun en stage en entreprise, j’ai essayé de leur rendre hommage, de les rendre fier des gestes qu’ils étaient entrain d’accomplir. Non pas des gestes d’exercice, gratuits, mais des gestes de production, de création utiles à tous. Mais ce n’est pas si facile d’accepter son image ; certains n’ont pas voulu être ainsi exposé. J’aurais pu ne pas les montrer ici. J’ai choisi de les laisser parmi les autres, cachés mais présents ; pour les laisser parmi NOUS, dans ces moments de découverte de ce que c’est que travailler ensemble. Ceux qui refusent ont pour moi autant d’importance que les autres, ils sont les révélateurs d’une certaine difficulté d’être. Leur présence/absence doit nous aider à nous poser la question de leurs places à venir : quelles vies allons nous leur proposer ? Olivier Pasquiers
TRAVAILLONS ENSEMBLE est le titre d’une projection sur quatre écrans qui met en relation des photographies réalisées ces dernières années sur la question du travail et de la transmission et le résultat de cette rencontre avec ces jeunes aux Herbiers.
Né en 1960 à Paris, Olivier Pasquiers est membre du collectif le bar Floréal . Photographie depuis 1991.
Il travaille souvent en collaboration avec des écrivains, des conteurs, d’autres photographes, des gra- phistes ou des associations humanitaires. Son travail a fait l’objet de nombreuses expositions person- nelles ou collectives. Il a publié une vingtaine de livres, dont : - Merci aux travailleurs venus de loin ;
- Paris / Carnet périphérique ; - Tanger, côté mer ; - Tous pas pareils, tous pareils ; - Oubliés de guerre ; - J’ai commencé à travailler ; - La Courneuve, rue Renoir... avant démolition ; - Maux d’exil ; - Serge, Denise, François...
Ses photographies sont présentes dans les collections publiques de la Cité Nationale de l’Histoire de l’Immigration, de la Bibliothèque Historique de la Ville de Paris, de la Bibliothèque de Docu- mentation Internationale Contemporaine, de la Bibliothèque Nationale, de la Caisse des dépôts et Consignations, du Musée Carnavalet à Paris, du Fonds d’Art Contemporain de Seine-Saint-Denis, du Musée Français de la Photographie ainsi que dans plusieurs collections particulières.
Photos et vignette © Olivier Pasquiers