© Brigitte Bauer
Atelier De Visu 19 rue des trois rois 13006 Marseille France
“Un matin, l’envie me prenant de faire une promenade, je mis le chapeau sur la tête et, en courant, quittai le cabinet de travail ou de fantasmagorie pour dévaler l’escalier et me précipiter dans la rue.” Robert Walser, La Promenade
Qu’est-ce qu’un jardin ? Y aller, oui, mais pour quoi faire ? parce que l’on est de passage, en attente, parce que c’est la pause de midi, ou parce que l’on n’a pas de jardin chez soi, ou pas de chez soi tout court. je perçois les jardins publics comme un immense territoire de relations sociales, d’autant qu’entre les parcs et jardins officiels, s’interposent toujours ces espaces précaires
et privilégiés que sont un bout de pelouse, l’ombre d’un arbre - des espaces qui sont investis en tant que jardin.
Activités solitaires, entre amis ou en famille ; rencontres furtives ou rendez-vous fixes, les relations sociales du jardin public oscillent également entre l’attitude privée et la conscience d’être dans un espace public, être en contrôle, donc, autant qu’en représentation. Attentive à la théâtralité naturelle - si j’ose dire - et consciente de l’artificialité des espaces eux-mêmes, j’ai voulu être, dans un premier temps du moins, l’observatrice ; celle qui garde une certaine distance. l’espace du jardin s’est ouvert devant moi comme un théâtre où se jouent des scènes sans cesse renouvelées. d’une photographie à l’autre, nous n’avons pas tant affaire à une série qu’à un montage qui crée du mouvement entre les images. un élément autre s’ajoute ensuite : en passant d’une photographie à l’autre l’on peut s’apercevoir de la présence d’un personnage récurrent. tantôt mêlé à un groupe, tantôt observateur aperçu au loin, il passe au premier plan, se devine ou disparaît puis réapparaît encore. Avec ou sans lui, nous sommes invités à observer ces jardins, à scruter les attitudes des uns et des autres, avec une candeur empreinte parfois d’une légère ironie. Élément de fiction dans des images d’apparence plutôt documentaire, il fait le lien entre les espaces qu’il investit et traverse - du parc citadin aux espaces paysagés en bord de mer, en passant par des lieux, tour à tour, splendides, tristes, laids, vides ou débordants de vie.
«Aller aux jardins a été réalisé dans des jardins, parcs et autres espaces publics à travers le département treize, dans le cadre d’un partenariat de production et de diffusion avec le service patrimoine du Conseil général des Bouches-du-rhône. si la localisation géographique des espaces investis découle directement des paramètres de départ inhérents à ce partenariat, il ne s’agit pas d’un travail «local» au sens usuel du terme.
Brigitte Bauer
© Brigitte Bauer
« Aller aux jardins »
il est possible de reconnaître dans les photographies de Brigitte Bauer le partage entre une préoccupation forte pour l’architecture et un intérêt pour le paysage, ou plus exactement pour les lieux et ce qu’ils portent de traces et d’histoire. il y a d’un côté quelque chose qui tient du dessin, à la construction, à la composition de l’espace et qui appelle une certaine abstraction, si ce n’est une intemporalité, et de l’autre quelque chose qui tient à ce qui fait la particularité d’un endroit, la singularité d’un instant, la marque sensible d’un moment vécu au présent. les photographies viennent alors travailler la paradoxale complémentarité de cette relation, sans en résoudre la part de conflit, sans en effacer l’élément de contradiction. Ce qui tient et s’impose comme une totalité harmonieuse est aussitôt inquiété par la présence d’une force de dissociation, une discrète tendance dispersive et dissonante. C’est bien sûr la part du hasard ou de l’accident mais aussi celle de l’intervention rusée du photographe, sa façon d’introduire dans le champ une infime perturbation, un élément de jeu à la limite de la mise en scène. par là, cet écart intérieur à l’image est la source d’une stratégie d’écriture, le départ d’une potentialité imaginaire. le jardin de Bauer est un jardin méandre qui nous fait passer d’un lieu à l’autre dans une continuité en quelque sorte virtuelle, toujours en acte dans le mouvement du déplacement mais mue par sa
propre logique et sa propre énergie, une logique et une énergie visuelles, ou plus exactement photographiques. on est guidé dans une déambulation qui nous fait traverser des lieux toujours précisément situés dans leur relation aux bâtiments, à la mer, au paysage, mais jamais fermés sur la limite d’une localisation géographique. de ce point de vue, nous sommes à mille lieues d’un catalogue raisonné. Ce qui se joue relève de l’articulation des images, du montage, au sens quasi cinématographique du terme.
jean Cristofol
© Brigitte Bauer
Photos et vignette © Brigitte Bauer