© Alain Ceysens
Corps décadrés
Le regard est le mouvement le plus exclusif qui soit. Il ne balaie pas, il agrandit (ou rétrécit, c'est selon) et sélectionne d'emblée ce qui vérifie son histoire. Quand l'oeil balaie, il s'use à enregistrer des images sans raison. L'oeil du photographe a peu de virginité, on le sait: toujours occupé à tournoyer dans un monde qu'il feint de découvrir. L'oeil circule partout, dedans et dehors les choses... Il choisit de montrer ce qu'il a déjà vu, avant que la lumière ne tombe sur le sujet. Il représente en fait des images virtuelles, connues à l'origine de lui seul. La photographie devient le passeur entre sa vision et notre découverte. La "lumière intérieure" est l'alliée du photographe, celle qu'il cherchera à projeter, à imprimer. Alain Ceysens est de ces photographes qui, dans le secret de leur théâtre, construisent des circonstances que nous appelons aussi des images. Les nus présentés par Alain Ceysens rappellent sans cesse ces circonstances: pas de corps naturel, rien que des corps construits ou déconstruits selon les aléas de la vie. Les cadrages qu'il opère dans l'image du corps sont ces arrêts sur image que l'oeil organise sans cesse, occupé à scénariser toute chose plutôt qu'à la découvrir. L'oeil d'Alain Ceysens fait le projet de ce scénario des corps: il nous les montre en deux temps. D'abord celui du cadre qui isole une plissure de peau, un sein qui tombe, une épaule qui s'échappe; ensuite le corps tout entier, voilé dans le gris, en retrait, mais qui prend soudain toute la place. Ce mouvement entre les deux cadres s'appelle aussi le désir. Celui de qui décrypte l'histoire d'un corps avant de le raconter. Les photos récentes d'Alain Ceysens rayonnent de cette forte poésie, de cette inévitable rencontre avec le corps déchu de son statut de synthèse de toute beauté. L'oeil analytique d'Alain Ceysens est en train de cadrer et de séparer des fragments de corps afin que notre oeil les rassemble dans ce mouvement que certains appellent la lucidité...
Daniel SIMON Octobre 1993
© Alain Ceysens
Alain CEYSENS
Né le 11 octobre 1944 à Lusambo (Congo). Vit et travaille à Bruxelles.
Parcours professionnel
Photographe professionnel (publicité, spectacle, portrait,...) depuis 1967 Professeur à l’Académie des Beaux Arts de Tournai (enseignement artistique supérieur) depuis 1975 Professeur à l’Académie des Arts de Woluwé-St-Pierre (enseignement artistique à horaire réduit) depuis 1979 Administrateur Musée des Arts Contemporains Grand Hornu (Mac’s)
Mots rapportés
Les photographies de Alain Ceysens, et c'est important de le souligner, échappent aux clichés de la beauté parfaite ou de circonstance (de mode...). Les corps portent la marque du temps, les plis de la peau accusent, révèlent discrètement une commune humanité. C'est de ces corps-là que nous parle Ceysens.
Daniel Simon,1993
Quels que soient les points de vue abordés, ses images sont toujours comme des compositions froides qu’une subtile nuance vient colorer, elles ont des rigueurs d’architectures habitées en coulisse. Ce sont souvent des fragments, des détails soigneusement cadrés, des éléments d’architecture, de sobres détails du corps semblables à des extraits de textes choisis dans le nouveau roman avec lequel l’univers d’Alain Ceysens colle si bien.
Eddy Devolder,2000
La justesse exige une tension et revivant dans la chambre noire de son laboratoire, ses heures d’attente et de ferveur, Alain Ceysens demande à son imagination de nuancer des instants que lui seul voit dans la surprise de leur plénitude.
Pierre Bourgeois 1967
La photographie ne traite que de la surface des choses ou des êtres. Tout mon travail consiste en une confrontation entre la matière de ces choses et des êtres et la matière des émulsions photographiques.
Alain Ceysens
© Alain Ceysens
Vignette & photos © Alain Ceysens