© Sergey Bratkov - From the series Chapiteau Moscow, 2012
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La maison dans laquelle je vis, ici à Moscou, se situe près de « Podbelskiy », le dernier arrêt de la ligne Rouge. À ma sortie de l’immeuble, les premières personnes que je croise sont les balayeurs de rue tadjiks. Dans leurs uniformes municipaux oranges, avec leurs bas de survêtement Nike recousus dans le coin et leurs baskets éculées, ils trimballent toute sorte de débris dans des chariots construits à partir de poussettes abandonnées. La vision est si comique qu’elle évoque d’abord le monde du cirque, ses clowns au maquillage triste. Cinquante mètres plus loin, à l’entrée du métro, apparaît généralement la silhouette débraillée d’un homme qui, sourire en coin, tête penchée sur le côté, se met à mendier un peu de monnaie pour une bouteille ou un ticket. Entre les marches de la pharmacie et le marché aux « Podsolnukhi » (« le marché au « tournesols » ») s’étend la zone des funambules.
Des personnes apparemment bien imbibées chancellent sur une corde tendue imaginaire. Plus loin, vous voyez les magiciens ; des marchands orientaux derrière leur stand. Une fois élevées leurs pyramides de fruits et légumes, ils conduisent depuis leur sommet d’éblouissantes manipulations de prix. Des animaux dressés, chiens errants aux proportions menaçantes, méditent devant les enseignes de magasins de viande. Là-bas, un homme porte une baignoire métallique sur le dos. Difficile dans l’immédiat d’identifier cette chose en mouvement. Une tortue ninja peut-être? Une femme en robe verte a acheté cinq pastèques d’un coup. On dirait une grappe de raisins. Y’en a un qui a levé le coude de bonne heure, le voilà allongé dans l’herbe comme un trapéziste déchu, après un accident de vol.
© Sergey Bratkov - From the series Chapiteau Moscow, 2012
Le cirque, c’est ce dont tout le monde parle sans jamais savoir qu’il débarquera là, pile devant chez vous. Le théâtre s’en distingue avant tout par la sollicitation des sens. En effet, dans la performance théâtrale, le mouvement, toujours symbolique, est intellectualisé tandis qu’au cirque la foule se rassemble pour un spectacle, plus proche de la réalité et par conséquent plus dans la prise de risque. Sous le chapiteau, un lion peut dévorer son dompteur ; en se balançant dans les airs, un acrobate risque toujours de finir à même le sol. Au cirque, néanmoins, le plus important c’est l’attente d’un miracle.
À Moscou se trouve une incroyable concentration de menaces et de magie. Chaque année, dans l’espoir d’un miracle, des milliers de personnes atteignent la capitale russe. Cette ville a la valeur d’un mythe, celui d’une fortune fabuleuse, d’une princesse à marier et d’une victoire sur un dragon à deux têtes. Un endroit où l’opulence et la beauté féériques côtoient la pauvreté et la laideur infinies, intriquées au point d’en être devenues interdépendantes.
Face à la décision du cirque moscovite de perdurer avec le même Monsieur Loyal, deux choses viennent à l’esprit. D’abord celle que lorsque le public ne rit plus et qu’au contraire il suit les événements dans un silence tendu, il est temps de changer non seulement de répertoire, mais aussi de Maître de cérémonie. Puis vient ensuite cette interrogation : à quand le véritable prodige, celui qui marquera la fin du spectacle ?
© Sergey Bratkov - From the series Chapiteau Moscow, 2012
Sergey Bratkov
Chapiteau Moscow
Février 2012
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Photos et vignette © Sergey Bratkov