Ge?rard Musy, Le Palace, 1987 © Ge?rard Musy, Courtesy Galerie Esther Woerdehoff
Galerie Esther Woerdehoff 36 rue Falguière 75015 Paris France
Les deux séries du photographe suisse Gérard Musy, Lustres et Lamées, s’ouvrent sur la nuit des années 80, séductrice et fascinante. Dans le noir et blanc sophistiqué des “Sexy Eighties”, les genres et les classes se mélangeaient dans un cocktail d’énergie nocturne.
A Paris, la mode dictait ses codes entre le Palace et les Bains Douches, à New York, les boîtes de nuit réconciliaient banquiers et tagueurs, et à Londres, le magazine Skin Two initiait le monde au fétichisme. Les fêtes envahissaient la ville, des bars aux clubs, des cocktails aux concerts dans une euphorie de sexe, de drogue et de musique
Gérard Musy a photographié les créatures vêtues de cuir, de latex et de paillettes qui régnaient alors sur ces nuits. Les femmes sont les héroïnes de ses photos : séductrices, complices, sulfureuses ou dominatrices. Tops modèles ou inconnues, le photographe se tient au plus près de ses sujets et ces reines de la nuit respirent une sensualité et une liberté qui semble depuis avoir disparu des clubs et des boîtes de nuit.
Gérard Musy, Le Palace, Naomi et Iman, 1988, Série Lamées
© Gérard Musy, Courtesy Galerie Esther Woerdehoff
La Galerie Esther Woerdehoff expose de rares tirages vintage tirés par l’artiste et des tirages grand format spectaculaires conçus spécifiquement pour l’exposition.
Gérard Musy, The Palladium, New York, 1985, Série Lamées
© Gérard Musy, Courtesy Galerie Esther Woerdehoff
Lamées
Texte de Frédéric Beigbeder
Grâce à Gérard Musy, le monde se souviendra d’une époque lointaine où Paris s’amusait, où les femmes blondes découvraient leurs épaules, où l’on croisait du monde dans des clubs qui portaient des noms de grands hôtels ou de douches municipales, où Jean- Paul Gaultier n’habillait pas encore Louise Ciccone, où il pleuvait des confettis de nos cheveux tous les matins, où le latex ne servait pas à fabriquer des capotes mais des guêpières, où il faisait jour quand on sortait des boîtes de nuit, où Alain Pacadis était un poète vivant, où il n’était pas impossible que la jolie fille là-bas, derrière une colonne, au Privilège, vous ait souri sans raison, où la techno était produite par Giorgio Moroder (on nommait ça «l’electric boogie»), où les talons étaient aiguilles et les aiguilles non contaminées, où Iman ne s’appelait pas encore Bowie, où Naomi buvait du Clan Campbell, où l’on pouvait faire l’amour avec quelqu’un et lui demander son prénom après, où Kristen Mac Menamy jetait des assiettes pleines de couscous sur Hubert Boukobza, où l’on respirait les ballons gonflés à l’hélium pour changer de voix, où les «raves» s’appelaient «sqat-parties», où les publicitaires gagnaient beaucoup d’argent, où les chiottes de chez Castel étaient le centre du monde, où les pistes de danse étaient notre lit, où le smoking n’était jamais «overdressed», où des inconnues pouvaient rester attachées les bras en l’air pendant des heures sans porter plainte, où James Bond et le Mur de Berlin nous protégeaient des méchants Russskoffs, où, comme l’a écrit Patrick Besson, «les femmes montraient leurs seins car elles savaient que personne ne les toucherait», où les bas filaient à toutes jambes, où les lustres de cristal éclairaient nos déambulations hasardeuses, bref, où la vie continuait, la tête haute, son chemin absurde, avec un sourire hautain et une haleine de champagne chaud.
Gérard Musy, Le Marais, Paris, 1994, Série Lustres
© Gérard Musy, Courtesy Galerie Esther Woerdehoff
Lustre Fetish Nights
Texte de William A. Ewing (extraits)
Donc, si je rêve de vous avoir, je vous ai Car tous nos plaisirs ne sont que fantasmagorie ?
L pour le latin lustrare, signifiant illuminer, rendre éclatant ou illustre. Ce qui a donné Lustre qui définit aujourd’hui à la fois : la qualité de briller avec de multiples reflets; le rayonnement de la beauté ou de la renommée ; la brillance, l’éclat, comme « le scintillement des étoiles ». Lustre évoque des surfaces brillantes, étincelantes et reluisantes.
Lustre s’apparente à luxure (Lust en anglais, ndt) : désir intensément vécu menant au plaisir. Normalement, la luxure est cet élan fou et apparemment incontrôlable de posséder l’autre. Mais Musy focalise sa convoitise en dirigeant le faisceau de sa vision à travers son objectif et réussit ainsi à attraper l’insaisissable Iunx, cet oiseau des désirs nocturnes.
... mes yeux sont des lentilles
à travers lesquelles le cerveau explore
des constellations de sensations...
K. Douglas
( ...) U est pour « upside down » (sens dessus dessous en français, ndt) : des perspectives dérangeantes, des vertiges, des horizons tourbillonnants, des corps fragmentés. Musy préfère les formes tournoyantes d’un kaléidoscope. Nous, les corps de Lustre, défions la gravité et la droiture. Abandonnant l’aplomb, nous flottons, « portant notre semence dans notre tête, comme les fleurs, étalant notre sexe effrontément sens dessus dessous comme dans Le Jardin des délices de Jérome Bosch ; la fin de la droiture, du haut et du bas. Le corps se réveille. (...)
S pour sensation - délicieuses sensations doublement ressenties, avec un plaisir évident, par les sujets de Musy et par nous-mêmes. Sensation-nels aussi, tous ces défilés de mode hors norme, ces soirées brillantes avec leurs harnachements spectaculaires – ces chaînes, martinets, seins percés, gants blancs de toutes les nuits (ce qui est découvert en public se couvre dans l’intimité des hauts lieux de plaisir). S également et inévitablement pour Sade qui proposait d’aller à l’encontre d’un hédonisme bourgeois et renfermé pour réinvestir le sexe avec tous ses mystères et toutes ses terreurs (...) et finalement mettre en question la notion même de la bienveillance de l’amour. (...)
T pour Thanatos, personnification de la mort, frère de Hypnos – le sommeil, et fils de Nyx – la nuit. Il ne perd jamais de vue Eros, mais ne peut jamais le rendre aveugle. (...)
R pour énergie rayonnante: voyageant en ligne droite à la vitesse de la lumière, traversant certains milieux sans aucune absorption, absorbé par d’autres milieux comme des corps noirs et reflété encore par d’autres comme des surfaces polies.
Et E pour Eros, le 433e astéroïde qui s’approche de la terre plus vite qu’aucun corps céleste. Eros immortel, le guide de Musy. (...)
Gérard Musy, Fantastic, London, 1991, Série Lustres
© Gérard Musy, Courtesy Galerie Esther Woerdehoff
Gérard Musy
Né en 1959 à La Chaux-de-Fonds, en Suisse. En 1983, il commence à photographier les nuits de New York.
1986 Licence ès Lettres à l’Université de Genève Mémoire en histoire de l’art sur le photographe Robert Frank
1987-1991 Vit et travaille à New York et Los Angeles en tant que photographe de mode et de publicité. Collabore avec les magazines HARPER’S BAZAAR, VANITY FAIR, DETAILS, SPLASH, SPORTSWEAR, etc.
Depuis 1991 s’établit à Paris et continue son travail commercial et personnel. Publie ses photographies pour les publications VOGUE HOMMES, GLAMOUR, JOYCE, JALOUSE, A, MASSIV, SKIN TWO, etc.
1995 Commence parallèlement à photographier les feuillages pour la série Leaves.
2002 Termine la conception du livre Lustre pour les Editions Stemmle, préface de William A. Ewing, directeur du Musée de l’Elysée à Lausanne.
Vignette et photos © Gérard Musy, Courtesy Galerie Esther Woerdehoff