© Alain Laboile
CCAS (Centre Communal d'Actions Sociales) 74, cours Saint-Louis Bordeaux France
co-organisée par l'association Cdanslaboite et le CCAS. Après Portraits en Milieu Urbain et Les Irréelles du magazine Compétence Photo, On n'est pas sorti du sable, été 2012 et Gueule d’hexagone du collectif Argos, le hall, au 1er étage du CCAS (Centre Communal d'Actions Sociales, 74 cours St Louis, Bordeaux) redevient un lieu d'exposition photographique.
Cette exposition s’inscrit dans une continuité soutenue par le projet social de la Ville de Bordeaux à travers son action « Promouvoir l’art et l’expression d’artistes et les soutenir dans leur démarche individuelle afin de proposer au public des services de l’action sociale des temps de découverte culturelle »
Cette action doit aboutir à l’organisation d’expositions régulières et successives à l’initiative du Centre Communal d’Action Sociale de Bordeaux et en partenariat avec des structures en recherche de lieux pour présenter des oeuvres. Elle vise à un décloisonnement des approches artistiques ainsi qu’à faire évoluer les représentations sur l’action du CCAS.
ALAIN LABOILE :
Entretien pour Inferno Magazine :
C’est sur l’écran de mon ordinateur qu’enchantée j’ai découvert les photographies d’Alain Laboile. J’ai tourné les pages de son album de famille, rempli d’enfants qui se découvrent, découvrent le monde et passent à leur guise d’une expérience sensible à l’autre : le contact de la boue sur un corps nu, l’émerveillement devant un insecte inconnu, le jeu partagé entre les branches d’un arbre ou sur le sol de la cuisine campagnarde, le plaisir du déguisement spontané, la complicité avec des chats… Je n’étais plus face à des oeuvres d’art mais face à la vie, elle-même. Et “quelle belle vie”, me répétais-je simplement, sans trouver d’autres mots quand il s’est agi de convaincre mes proches d’aller jeter un oeil à ce travail. J’ai été presque habitée, il faut bien le dire pendant plusieurs jours, par ces sentiments simples, ceux que j’interprétais chez les enfants, dans l’oeil du photographe, et enfin tout ce que cela pouvait m’évoquer à titre personnel.
Au bout d’un moment, j’ai commencé à me demander si la véritable oeuvre n’est pas celle qui nous fait oublier qu’elle est une oeuvre. Cela fait quelques temps déjà que je pense à cette porosité de l’expérience esthétique de l’art à la vie, mais jamais cette idée –celle de l’oeuvre comme éclipsée par sa propre puissance émotionnelle- ne m’avait frappé si clairement l’esprit. Quand le medium s’efface et que la transmission -ou la création- de l’émotion utilise une sorte de raccourci, quand un canal direct se crée. Un canal entre quoi et quoi, c’est encore difficile à dire…
En l’occurrence, entrent en contact la famille Laboile et nous, nos enfants et nous, nos parents et nous, un lien se dessine entre les souvenirs vivaces et ce qui a été perdu et attendait simplement d’être retrouvé.
AP : Est-ce que tu te dis facilement « artiste » ?
AL : Je dis sculpteur parce que c’est ainsi que je suis déclaré à la maison des artistes. Mais je ne me sens pas plus sculpteur que photographe. Sculpteur ça évoque tout de suite la pierre, la massette et le burin. Alors je dis que je travaille le métal, la récupération et l’assemblage de petits éléments que souvent je génère moi-même. Souvent ça clôt la conversation.
AP : Pourquoi ça clôt la conversation, d’après toi ? Les gens se disent « ce n’est pas un vrai sculpteur », par exemple ?
AL : Oui c’est un peu ça, dans l’imaginaire il faut taper dans la matière pour être sculpteur, même le modelage n’est pas vraiment de la sculpture. Mais bon, je n’expose plus beaucoup, le travail sur commande ayant pris le pas sur le reste. C’est en gros ce que tu peux trouver sur cette page : http://alain.laboile.free.fr/mes_realisations/accueil_commandes_specifiques.htm
AP : Tu réalises tout toi même ? Tu as une formation en ferronnerie ?
AL : Oui je fais tout moi- même, du croquis à la pose. Je suis autodidacte pour ce qui est de la ferronnerie, j’ai seulement une formation de menuisier que je n’ai jamais réellement exploitée. Les commandes arrivent via mon site, je vais poser un peu partout en France, je loge chez le client, c’est toujours très sympa.
AP : Tu fais une sorte de « séparation mentale » entre travaux personnels et travaux de commande ou pour toi ça fait partie de la même sphère ?
AL : Je pense être arrivé au bout d’un cycle, mon travail personnel était axé autour du thème des insectes, sculptures, gravures, photographies, lectures…et puis la photo de « famille » a gommé un peu tout ça. Il n’y a pas de séparation tout est un peu lié selon moi, j’avance dans mon petit univers bordélico-euphorique.
AP : A propos de tes photographies, quel regard tes enfants portent-ils sur celles qui les représentent ? Dirais-tu qu’ils « travaillent » avec toi ?
AL : Quand j’ai commencé cet album, je n’avais pas conscience de l’impact qu’il aurait. Notre petite vie au bord du monde, les jeux simples des enfants rencontrent un écho assez troublant. Certains y retrouvent un peu de leur propre enfance, d’autres se retrouvent en quelque sorte
en face de ce qu’ils sont en train de vivre. Les témoignages sont poignants. Les enfants ne me voient plus avec mon appareil. Sur certaines prises de vue en revanche, je leur demande de participer quand j’ai une idée particulière. Régulièrement je les vois se marrer en visionnant sur l’ordi les photos de famille. On a des ordinateurs, mais pas de télévision.
AP : Tu dis « Au bord du monde » ? Au bord de quoi vous trouvez vous ?
AL : Au bord d’un ruisseau, au bord du village, de la ville, de la course. Mais je suis conscient que l’on est au bord, pas à l’extérieur.
AP : En tous cas tes photos nous interrogent un peu sur ce que nous sommes en train de faire de notre vie. « Que faites vous pendant ce temps là? » Il me semble qu’il y a aussi du Bill Viola dans tes photos, mais comme dans un processus inversé. Lui ferait des vidéos qui ont l’air d’être statiques et toi des photos qui ont l’air de bouger.
Pour revenir à la vie, ce qui me frappe aussi dans tes photos et ce qui doit en frapper plus d’un, c’est la dimension de la captation d’expérience. Tandis que Sally Mann, qu’on évoque souvent quand on parle de tes photos, semble faire des portraits mortuaires de ses enfants, je vois ton travail comme un herbier d’expériences scientifiques et esthétiques. Je pense que tout cela est émouvant aussi parce que ce ne sont pas des plaisirs circonscrits à l’enfance et que le spectateur qui n’a plus accès à ces plaisirs (ou ne les a jamais connus) se sent en effet comme au bord de la vie…Tandis que les autres peuvent en oublier provisoirement la mort. La sensorialité est vraiment très présente. Tes enfants ne sont pas des “modèles” traditionnels du fait qu’il “sont” dans leur propre expérience sensorielle au moment où tu presses le bouton de l’appareil. Je dirais qu’ils sont sujets et non pas objets.
AL : Je ne connais pas Bill Viola, mais je sens ce que tu veux dire. On me dit souvent que l’on peut entendre dans mes photos le rire des enfants, l’éclaboussure de l’eau. « Que faites vous pendant ce temps là ? » Cette question me renvoie à « En attendant le facteur » qui est le titre de ma première image de cette veine de photo de famille. Je pense d’ailleurs que ce sera aussi le titre du livre prévu pour la fin de l’année.
J’ai rencontré il y a peu le photographe Américain Jock Sturges, il est ami de Sally Mann et me disait que tandis que lui essayait de photographier la beauté, je photographiais la vie. La photo reste, la vie avance, le travail est trop frais pour se retourner dessus, mais ce sera certainement un mélange de joie et de douleur dans quelques années.
AP : L’enfance que tu montres n’est pas l’enfance qu’ont vécu la plupart des gens. La liberté dont disposent tes enfants reste tout à fait exceptionnelle et permet justement ce bouquet d’expériences sensorielles qui éclate à notre vue. En fait, Il y a aussi la question de l’éducation qui est soulevée par ce travail et qui me semble intéressante. Comment avons-nous été éduqués, comment éduquons-nous nos enfants, les éveille-t-on aux choses vraiment importantes ? Qu’est ce qui est permis et interdit ? Tu me pardonneras d’avoir mis de côté l’aspect esthétique de ton travail, car il me semble qu’il est relativement rare d’avoir affaire à une oeuvre qui fasse naître autant d’émotions spontanées pendant qu’elle pose des questions existentielles.
Entretien par Alice Popieul
http://alain.laboile.free.fr/
Livre: http://www.competencephoto.com/En-attendant-le-facteur-d-Alain-Laboile_a2199.html
Emission du 15 décembre sur France inter: http://www.franceinter.fr/emission-regardez-voir-les-photographes-de-l-intime
THOMAS DÉJEAMMES :
© Thomas Déjeammes
"Lumière-oubli-mouvement"
2005-20..
Cette tentative photographique traite du rapport de la prise de vue, inaccessible au réel, de la fugacité de l’acte photographique, de son incapacité à saisir autre chose que le mouvement… le mouvant… le grouillant… le fuyant… la perte, non négative mais vivante…
« Nous cherchons la lumière
L’oubli ne dura qu’un temps
L’autre mouvement même »
Je ne désire pas décrire le réel mais essayer de lui rendre son trouble.
Le sens se dérobe mais le corps, la matière, surgissent comme une expérience à la fois ordinaire et intense .
Reste une trace, une empreinte, une image qui sourdent symptomatiquement.
BRUTART :
© BrutArt
Salades ordinaires.
« Des visages et des figures, coiffés de belles salades en guise de couvre-chef.
Des héros et des costumes, embourbés dans leur vaine vie quotidienne.
Brut'Art appréhende le monde d'un point de vue spectaculaire : les salades se portent sur la tête, et les anonymes exhibent des tenues de surhommes.
Cet univers photographique a priori éloigné des paradigmes idéologiques dominants est une métaphore, sinon une antiphrase pour évoquer le contraire de ce qu'elle représente : la banalité commune de nos existences modernes.
La salade sur la tête est ici le seul trait commun de tous ces faciès, et donc un symbole d'humanité. Pour affirmer qu'au-delà de nos apparentes différences, l'altérité renvoie aussi paradoxalement à ce qui nous rassemble tous.
Le super-costume du héros ordinaire est une allégorie de l'aliénation de l'homme contemporain.
Pour souligner la bravoure et la vaillance nécessaires pour mener sa vie dans ce monde déséquilibré.
Voilà pour la vision du monde de l'artiste (http://brutart.free.fr).
Reste à trancher si le costume du héros est en coton équitable et si les salades sont bio».
Aurelia Milgu.
Vignette © Alain Laboile
Photos © Thomas Déjeammes © BrutArt