L'imagerie coquine est aussi âgée que la photographie : toutes deux ont vu le jour au milieu du XIXe siècle. Les sages «académies», des nus qui sont souvent l'oeuvre de peintres comme Degas ou Delacroix, vont très vite faire place aux french post-cards, distribuées sous le manteau puis dans le monde entier. Les «images de Paris», gentiment polissonnes, le sont parfois moins et valent à leurs auteurs censure et prison. Mais rien n'empêchera la diffusion et le commerce de ces photos qui racontent si bien les époques et leurs plaisirs.
C'est une invitation un peu grivoise à laquelle nous vous convions avec ces photographies coquines de l'agence Roger-Viollet ; un coup d'oeil à travers la serrure des siècles. Ateliers de photographes, séances de poses dans la nature, loges des danseuses de revue, scènes des grands music-hall parisiens, coulisses des maisons closes : ce Paris interdit, en noir et blanc, raconte la ronde des plaisirs passés et les premiers pas, audacieux, de l'iconographie érotique.
Des années 1900 à 1980, cet ouvrage dévoile des clichés coquins appartenant au magnifique fonds Roger-Viollet. Nus champêtres et poétiques, danseuses de cabarets aguicheuses, filles de joie des plus voluptueuses, jeux érotiques à deux ou à plusieurs... ces photos et cartes postales appellent un regard polisson, amusé, nostalgique parfois et toujours sensuel sur le nu et le corps féminin.
Extrait de l'avant-propos de François Rousselle :
Ce livre est une invitation. Celle de découvrir les trésors polissons d'une époque disparue. Une «Belle Époque» dont les photos du fonds Roger-Viollet racontent, avec malice et amusement, pourquoi elle portait si bien son titre. Photos «licencieuses», «académiques», frenchpost-card, scènes de genre, «images de Paris» : on a donné bien des noms, comme autant de plaisirs, à ces images coquines.
Dès ses débuts, la photographie fut prise dans les filets de l'érotisme. En 1839, le 19 août, dans l'enceinte de l'Académie des sciences à Paris, fut proclamée la naissance de la photographie avec l'annonce, «au monde entier», de la création du daguerréotype. Or, cette même année, l'inventeur du procédé, Louis-Jacques Mandé Daguerre, montre qu'il s'intéresse au corps humain et à sa représentation. Sa Nature morte avec sculptures représente, en fait, le premier daguerréotype de nu dissimulé en reproduction d'art. D'autres vont suivre, d'abord réservés à une élite fortunée française, anglaise ou allemande, puis, avec les nouveaux moyens de reproduction sur papier, se diffuser dans toutes les couches de la société. Lorsqu'il vit les «photographies obscènes» d'Auguste Belloc en 1860, Baudelaire écrivait : «Des milliers d'yeux avides se penchaient sur les trous du stéréoscope comme sur les lucarnes de l'infini. L'amour de l'obscénité, qui est aussi vivace dans le coeur naturel de l'homme que l'amour de soi-même, ne laissa pas échapper une si belle occasion de se satisfaire.»
Les premiers daguerréotypes de nus apparaissent à Paris vers 1845, chez des fabricants d'optiques ou des marchands d'art. Ces «académies» étaient souvent l'oeuvre de peintres comme Delacroix qui s'en servait ensuite comme modèle. Le photographie est «un traducteur, écrivait le peintre, chargée de nous initier plus avant dans les secrets de la nature [...], un reflet du réel une copie, fausse en quelque sorte à force d'être exacte». La stéréoscopie, qui donnait l'illusion de la profondeur, du relief et qui mit tant en émoi Charles Baudelaire, s'accordait parfaitement au raffinement des nus académiques, coloriés ensuite manuellement. Degas, impressionné lui aussi par cette nouvelle représentation du réel, utilisa beaucoup l'invention, faisant de constants allers-retours entre peinture et photographie.