"Je veux démoraliser la vie privée de mes contemporains", proclamait Pierre Louÿs (1870-1925). Il s'y est activement employé, en composant une énorme quantité d'érotiques qui ne seront révélés que peu à peu après sa mort. On reste saisi à la fois par l'acharnement mis à une telle entreprise et par la variété de ces textes : romans, nouvelles, contes, dialogues, théâtre, manuels d'érotologie, lexiques, et des centaines de poèmes libres. S'y ajoute une avalanche d'écrits autobiographiques, où Louÿs a mis en fiches sa propre vie sexuelle, comme l'étonnant Catalogue chronologique et descriptif des Femmes avec qui j'ai couché. Souvent, l'érotisme est rendu plus percutant encore par les dons de fantaisie et de comique parodique déployés par l'écrivain. Certains de ces textes étaient déjà connus du grand public : le roman Trois filles de leur mère, véritable sommet pornographique ; l'hilarant Manuel de Civilité pour les petites filles ; les espiègles quatrains de Pybrac ; la marqueterie anatomique des sonnets de La Femme. Mais le lecteur découvrira également ici un certain nombre d'inédits, notamment plus de deux cents poèmes, ainsi que tout un pan de Pybrac. Notre corpus comprend encore un ensemble de textes très variés, extrêmement audacieux (Manuel de Gomorrhe) ou d'une singulière pédagogie (Manuel pratique des jeunes lesbiennes). On y découvre un Louÿs encyclopédiste du sexe, à la curiosité universelle, tour à tour historien, philologue, archéologue, ethnologue, folkloriste... Sa volonté de connaître, d'étudier et de décrire toutes les formes d'amour s'affirme partout, avec une âpreté hors du commun. Tout cela constitue une oeuvre absolument unique, qui s'attache à dépasser sans cesse les limites et à nous communiquer une véritable frénésie. Jean-Paul Goujon