
© Françoise Beauguion
Galerie du Bar Floréal Rue des Couronnes, 43 75020 Paris France
FACE à FACE
Portraits croisés de jeunes femmes israéliennes et palestiniennes.
Créer une rencontre.
Réunir. Comment ?
Je cherche, je me questionne, je teste. Je ne peux pas montrer, par une pratique documentaire qui me porte, le conflit et la misère. Il existe d’autres formes de réalités. Peut-être plus optimistes voire idéalistes ? Après sept ans de travaux documentaires, de publications pour la presse française, de sujets de société, d’histoires reflétant des problèmes politiques ou de conflits, j’ai appris à me méfier des reportages photos. Je sais. Il faut broder, prouver, adapter pour vendre. Il faut de la sensation, des sentiments, des images fortes. Je sais. Pourtant la vérité se trouve aussi autour…
Alors j’ai tenté.
Israël et les territoires palestiniens cohabitent sans jamais se croiser sur une infime terre. Une goutte d’eau. Un jeune pays et un territoire occupé. Un conflit qui n’en finit plus. D’un côté l’occident, la modernité, la diversité. De l’autre, l’Orient et sa tradition.
Des idées nous venant des images médiatiques nous poussent à croire en des clichés. La guerre, l’horreur, les religieux, les extrémistes, un gouvernement corrompu, les colonies, le mur de séparation, des femmes soumises, des femmes enfermées.
Nous ne les connaissons pas, ni les israéliennes, ni les palestiniennes. Mais elles ne se connaissent pas plus.
Elles ne sont pas si différentes, elles ne se haïssent pas, elles ont les mêmes ambitions, les mêmes envies.
Elles étudient et mènent, chacune dans leur culture, une vie comparable à celle de toute jeune femme.
Ce travail photographique a-t-il pour objectif de les rassembler ?
De les opposer ? De prendre un parti ? Non. C’est une mise en parallèle. Un vis-à-vis. Parfois elles se croisent. Des regards.
Un sourire. Une envie de connaître sa voisine ?
© Françoise Beauguion
REFUSERS
OBJECTEURS DE CONSCIENCE
REFUZNIKS
PACIFISTES
ANTIMILITARISTES
… EN ISRAËL
TSAHAL. L’armée de défense d’Israël.
Le service militaire y est obligatoire pour tous à l’âge de 18 ans, d’une durée de deux ans pour les femmes et de trois ans pour les hommes. À la fin du lycée démarre alors l’étape souvent dite la plus importante de leur vie, celle où l’on devient adulte. Ensuite, une période de réserve est imposée tous les ans, jusqu’à l’âge de 45 ans pour les hommes et de 24 ans pour les femmes.
Tsahal est une armée redoutée des pays arabes environnants. Elle joue un rôle central depuis sa création, le 28 mai 1948 (soit 14 jours seulement après la proclamation de l’Etat d’Israël), car elle a connu une dizaine de guerres et tient depuis une réputation de puissance.
L’Etat occupe les territoires palestiniens et les jeunes recrues y sont largement déployées au niveau des check point ou vers les colonies juives.
On peut alors y voir des jeunes, pantalons d’uniformes portés en style « bagui », des lunettes de soleil sur des visages radieux, mâchonnant un chewing-gum, s’exclaffant dans leur téléphone portable dernier cri en hébreu avec leurs amis sûrement restés à Tel Aviv.
Tel Aviv justement.
Une ville moderne, jeune, dynamique.
La plage, le soleil, les bars, le sport.
La fête au quotidien.
La religion un peu moins.
Un besoin de vivre. Pourquoi ?
Pourquoi tant d’insouciance et d’indifférence à seulement 70 km de Gaza ?
Parce qu’ils ne veulent pas. Parce qu’ils n’en peuvent plus de porter ce poids et cette culpabilité.
© Françoise Beauguion
Parce que ce ne sont pas des soldats et encore moins des tueurs. L’armée change une personne, ce n’est pas un secret. Les médias aiment notamment mettre en avant les jeunes soldats inconscients, le contraste encore présent entre la jeunesse et le soldat. Mettre en avant les échanges violents entre soldats et palestiniens est également très vendeur pour la presse. Nous avons donc un point de vue unique sur ces jeunes israéliens. Des idées préconçues. Des clichés.
Ce qui me pousse à regarder vers le chemin opposé et aller au-delà de ces stéréotypes.
Refuzniks.
Objecteurs de conscience israéliens, ils refusent de servir l’armée. Certains refusent dès l’âge de 18 ans d’effectuer le service militaire. D’autres, déjà soldats, refusent de combattre en territoires occupés ou d’appliquer les ordres. C’est un mouvement important, qui se développe fortement, bien que l’objection soit mal acceptée en Israël. (Refuzniks est un terme employé couramment malgré sa définition ambigüe par son origine russe)
Les jeunes se trouvent de plus en plus nombreux à refuser le service militaire par conviction politique. Certains vont même manifester côté palestinien pour soutenir leur cause. Ils sont en contradiction avec leur gouvernement, avec leur pays. Beaucoup d’entre eux sont alors emprisonnés. Par périodes de deux semaines, renouvelables… indéfiniment. Cela a été le cas pour Inbal, qui d’elle-même a refusé. Elle a alors été à sept reprises en prison pour ne pas s’être présentée à l’appel. Après huit mois, elle a été enfin exemptée pour des raisons de conscience personnelle. Il n’est donc pas aisé de refuser. De plus, aux yeux de nombreuses personnes, les objecteurs sont des traitres… Il faut alors faire face.
Il existe depuis peu une nouvelle voie qui facilite le refus : la voie du psychiatre.
Montrez-vous dépressifs voire complètement fous et vous aurez une chance d’échapper à l’armée.
© Françoise Beauguion
Par contre, sachez assumer derrière car c’est noté dans votre dossier ! Mais si Tsahal a peur de quelque chose, c’est bien des nombreux suicides présents chez les jeunes lors de leur service. Donc les dépressifs restent chez eux. C’est moins visible. Car oui, il y a un grand malaise chez les jeunes israéliens. Un grand problème qui ne fait que s’accroître. Rachel a été exemptée par un psychiatre. Elle ne pouvait simplement pas être soldat. Cela l’a rendu réellement malade. Quant à Haggaï, Namrod ou encore Sahar et Tamar, eux, ont fait partie du groupe Shministin, groupe d’étudiants qui ont refusé, ensemble, de servir dans une armée qui occupe les territoires palestiniens. Ils ont tous été emprisonnés. Haggaï, lui, pour « montrer l’exemple », a été deux ans en prison. C’est un cas rare mais qui montre toutefois que l’action de ces jeunes peut peser et peut changer certaines choses au cœur de la société israélienne. D’ailleurs, la plupart sont activistes dans plusieurs domaines politiques. Leur voix est alors loin de s’éteindre. De plus, il existe d’autres groupes d’objecteurs de conscience tels que Yesh Gvul, New Profile ou encore Courage to Refuse. Ce dernier rassemble des officiers de carrière !
Ils ont refusé d’obéir à certains ordres. David y a été l’un des premiers. Aujourd’hui, il est toujours sur la liste des réservistes mais l’armée ne l’appelle jamais à se présenter. Il a refusé d’occuper les territoires et a donc été… emprisonné.
Tout comme Zohar, qui à 18 ans n’était pas assez mûr pour comprendre ce qu’était réellement l’armée, a fait ses trois ans de service. C’est à sa suite qu’il est rentré dans le groupe Yesh Gvul et a refusé d’être réserviste. C’est ce qu’il a vécu à l’armée qui l’a rendu activiste. Ces jeunes gens sont des personnes fortes et courageuses. Ils ont eu assez de détermination pour refuser encore et encore. Mais ce n’est qu’une minorité. Israël abrite tous ces uniformes qui vont et qui viennent.
Mais si soldats et refuzniks ont une chose en commun, c’est bien le fait qu’ils sont tous d’accord sur l’importance de défendre le pays. Que ce soit en servant son pays en donnant trois ans de sa vie ou en ayant la volonté de changer sa situation.
Photos et vignette © Françoise Beauguion