© Jean-Louis Courtinat
Galerie Fait & Cause Rue Quincampoix, 58 75004 Paris France
VIVRE AVEC TOIT
Pendant deux années, j’ai vécu auprès d’hommes et de femmes qui venaient de retrouver un toit après avoir vécu très longtemps dans la rue.
Comment appréhendaient-ils leur nouvelle vie ?
Comment se reconstruisaient-ils ? Quel était leur quotidien ? C’est ce que je voulais savoir.
Je me suis vite aperçu des limites de la photographie. Tous exprimaient leur soulagement d’avoir un logement, la difficulté de réapprendre à vivre dans un espace réduit, leur incapacité à se prendre en charge au quotidien. Ces sentiments étaient intraduisibles en photographie.
J’ai donc pris un petit carnet dans lequel j’ai inscrit méticuleusement leurs propos. J’ai respecté leur style, leur façon de s’exprimer, leurs non-dits, leurs erreurs et leurs contradictions. Pas d’interview brutale, mais une succession de petites réflexions intimes qu’ils m’ont confiées au fil du temps.
Toutes les personnes que j’ai suivies ont plus de cinquante ans. Elles ont toutes connu une enfance difficile. La plupart ont rejeté leur famille ou été rejetées par elle. Beaucoup sont fatiguées, malades, dépressives, en cours de soins ou sous dépendance chimique. La plupart se sentent inutiles au monde, se replient sur elles ou se retirent de la vie sociale. Certaines expriment leur solitude, leur souffrance, leur impossibilité d’échanger, de discuter, de partager leurs émotions. Beaucoup ont un sentiment de culpabilité et se sentent responsables de leur exclusion. Toutes vivent des minima sociaux. Plusieurs ont de toutes petites retraites.
Nombre d’entre elles ont de graves problèmes de dépendance à l’alcool.
Avoir un toit même si ce n’est qu’un taudis est primordial pour elles. Toutes m’ont parlé du désir de se poser, d’avoir une adresse, un lit, des clefs, une boîte aux lettres, bref d’être reconnues malgré leur pauvreté.
Le plus difficile pour moi fut de suivre plusieurs personnes en même temps. Il m’a fallu une organisation très précise pour conserver une pression sur elles sans jamais les gêner dans leur quotidien. J’ai dû composer avec les rendez-vous manqués, les changements d’adresse, les hospitalisations, les retours à la rue et les ruses pour éviter les marchands de sommeil ulcérés par ma présence.
J’avais élu mon quartier général à « l’Etape », lieu de vie des petits frères des Pauvres qui accueillent des personnes dans la précarité. J’arrivais pour le petit-déjeuner, je discutais avec les gens, je leur parlais de mon projet. Beaucoup ont refusé. Peur de se montrer, de parler ou d’être reconnu par leur famille. Il m’a fallu énormément de temps, d’écoute et de proximité pour gagner leur confiance. Au début je leur donnais des photographies. J’ai vite renoncé car je leur offrais une image d’eux qu’ils refusaient de voir. Finalement j’ai fait peu de photos. On
se rencontrait régulièrement. On prenait un café, on discutait. Je me sentais plus bénévole que photographe et cela me plaisait.
Aujourd’hui et comme à chaque fois que je termine un long travail, je me demande si ce que j’ai enregistré est aussi riche que ce que j’ai vécu. Ai-je été à la hauteur de la confiance qu’ils m’ont donnée ? Ai-je saisi l’essentiel ? Le cœur du propos se trouve-t-il d’ailleurs dans ce qui est montré ou dans ce qui ne l’est pas ? Je sais qu’il faut beaucoup plus que des photos pour que ces êtres fragiles ne portent plus le fardeau des préjugés et des tabous qui les livrent à l’oubli de tous.
Makou, Ginette, Daniel, Max, Patrick et vous tous avec qui j’ai passé ces moments forts, ce travail est aussi le vôtre. Puissent vos textes et mes images provoquer chez ceux qui les verront de la compassion et le simple désir de mieux vous connaître. C’est mon vœu le plus cher.
Jean-Louis Courtinat
© Jean-Louis Courtinat
J’ai rencontré Cathy dans la rue il y a treize ans. On faisait la manche tous les deux. Depuis on ne s’est plus quitté. Elle est handicapée physique. Elle perd un peu la tête. Je l’aime comme elle est.
Depuis deux ans, on est logé par « les petits frères » à l’hôtel Star. C’est tout ce qu’on voulait. Se retrouver tous les deux.
Etre indépendants. Surtout ne plus être dehors. La rue c’est épuisant. On y a laissé notre peau.
La chambre est petite. C’est un peu sale mais ça va. On vit sur le lit. Il nous sert pour dormir et pour manger. On a une petite télé. On sort pratiquement plus. Cathy ne peut plus bouger.
Je fais la manche une fois par semaine. Ça permet de tenir huit jours, en comptant les clopes et la bière.
Notre seul but, c’est de nous marier. Laisser une petite trace comme quoi on a vécu ensemble. J’espère qu’on tiendra physiquement. On est quand même au bout du rouleau.
Biographie
Jean-Louis Courtinat est photographe depuis 1981.
Assistant de Robert Doisneau pendant plusieurs années, il a été membre de l’agence Rapho.
Lauréat du prix Niepce en 1991.
Jean-Louis Courtinat a publié de nombreux ouvrages : Hôpital, Hôpital (Glaxo / Baz, 1988) ;
Vivre encore (Editions Contrejour, 1990) ; Paris au petit bonheur (Editions du Perron, 1992) ;
Fait & Cause (Idéodis / Delpire, 1993) ; Les Damnés de Nanterre (Collection Photo Notes, 1995) ; La vie jusqu’au bout (Idéodis / Delpire, 1996) ; Du temps pour les autres (Idéodis / Delpire, 2000) ; Les enfants du diable (Editions Nathan – collection Photo Poche Société, 2002) ; Solidaires ( Caisse d’Epargne Ile-de-France, 2002) ; La raison du plus faible...
(Idéodis / Delpire, 2006) ; Vivre en maison de retraite (Editions Assistance Publique, 2010).
© Jean-Louis Courtinat
Je m’appelle Daniel. J’ai une psychose maniaco-dépressive bipolaire. Je tiens cela de ma mère. Quand j’étais enfant, elle me frappait sans raison. Mon père a très vite quitté la maison.
Je l’ai peu connu. Mes deux sœurs ont été placées en famille d’accueil.
En 1980, j’étais marié. Le problème est que je battais ma femme. Impossible de me contrôler. Je m’acharnais sur elle.
Après j’étais paralysé par la honte. Elle m’a quitté. Elle a bien fait. J’ai eu deux fils. Ils ne veulent plus me voir. Je voudrais leur écrire. Je n’y arrive pas.
En 1992, J’ai été hospitalisé en psychiatrie. Quand je suis sorti, j’étais à la rue. J’ai pris le train pour Paris. J’ai rencontré « les petits frères des Pauvres ».
Ils m’ont aidé à obtenir le R.S.A, la C.M.U, et une pension d’invalidité.
Je vis dans une chambre de douze mètres carrés. Je n’ai ni eau chaude ni chauffage. Je paye cinq-cents euros par mois à un marchand de sommeil. Je sais que je suis exploité mais, Je n’ai pas le choix. C’est ça ou la rue. Il en va de ma dignité d’homme. Je sors peu. J’ai honte de ce que je suis devenu. Le matin je mange aux « petits frères des Pauvres », le soir dans ma chambre. J’ai du mal à gérer le quotidien. Tout est problème pour moi. Je prends des tonnes de médicaments. J’aimerais avoir des projets. Etre comme les autres. Pour l’instant je ne suis pas prêt. J’ai demandé d’aller en maison de repos. J’ai besoin d’aide pour m’en sortir.
Partenariat
« Il y a presque 3 ans, Jean-Louis Courtinat est venu me rencontrer pour m’expliquer ce travail qu’il avait envie de réaliser : photographier des personnes âgées ayant des difficultés de logement.
« Vivre avec toit », « Vieillir avec toit » sont des problématiques auxquelles je suis très sensibilisée, en tant qu’élue parisienne. Le mal-logement est hélas une réalité, contre laquelle nous luttons au quotidien, sans ignorer toutefois son ampleur.
Soutenir un tel travail artistique est certes une façon de montrer que la collectivité ne se voile pas la face ; mais c’est surtout une façon de donner, redonner la parole aux personnes qui sont confrontées à cette situation. Une exposition n’est pas qu’un acte culturel, dans ce cas, il
est un acte social et militant très fort.
Je salue le travail que l’association « les petits frères des Pauvres » accomplit au quotidien aux côtés des personnes âgées, que ce soit dans la lutte contre l’isolement ou la précarité, parfois les deux. Merci à Jean-Louis Courtinat pour le courage qu’il a eu en se lançant dans ce travail. Il a accompli un acte artistique, social, militant, mais surtout humain. »
Liliane Capelle
Adjointe au Maire de Paris chargée des seniors et du lien intergénérationnel
Depuis 1946, les petits frères des Pauvres accompagnent, dans une relation fraternelle, des personnes – en priorité de plus de 50 ans – souffrant de solitude, de pauvreté, d’exclusion, de maladies graves.
Non confessionnelle et apolitique l’association les petits frères des Pauvres est reconnue d’utilité publique. Depuis l’élan donné par son fondateur Armand Marquiset, l’action des petits frères des Pauvres s’inspire de valeurs fondamentales : « la valeur unique et irremplaçable de chaque personne humaine », « la dignité de tout homme et de toute femme, quels que soient leur origine, leur situation, et leur état physique, psychologique et social », la liberté fondamentale de chacun, la fraternité et la fidélité ».
Les petits frères des Pauvres agissent selon trois missions sociales : Accompagner, Agir collectivement et Témoigner - alerter.
Accompagner : La relation de personne à personne est le cœur du projet de l’association qui s’engage à un accompagnement bénévole fidèle, jusqu’au bout de la vie si nécessaire. Dans toutes les situations, la mission exige de se positionner dans l’échange face aux besoins et aux attentes, de faire face à des précarités multiples, de restaurer, voire de recréer, du lien social de « réinscrire les personnes dans un tissu social qui les soutienne ».
Agir collectivement : Pour les petits frères des Pauvres, le travail d’équipe est essentiel pour dynamiser la vie associative et porter un message de fraternité. Les 9 700 bénévoles et les 500 salariés agissent en synergie pour aider plus de 37 000 personnes dont 10 000 sont accompagnées régulièrement.
Témoigner, alerter : La 3ème mission sociale des petits frères des Pauvres vise à favoriser l’expression des personnes elles-mêmes ou « relayer la parole des personnes », sensibiliser l’opinion publique, tirer la sonnette d’alarme en témoignant de situations vécues au fil des actions qu’ils mènent, en sorte de peser sur l’évolution de la vie sociétale.
Le projet « Vivre sans toit » a pu être concrétisé car il illustre ces trois grandes missions : l’accompagnement dans le parcours de relogement des personnes en précarité, le travail des bénévoles et des salariés pour retisser le lien social et aujourd’hui grâce à cette exposition la volonté de relayer leur parole.
C’est grâce à toute l’équipe de la Fraternité Paris Saint-Maur et surtout grâce aux personnes accompagnées qui ont accepté de se confier à Jean-Louis Courtinat, que cette exposition est aujourd’hui présentée à la Galerie Fait & Cause.
Pour en savoir plus sur les petits frères des Pauvres : www.petitsfreres.asso.fr
Pour Que l’Esprit Vive et la photographie sociale et d’environnement
Association reconnue d’utilité publique.
L’un des objectifs de l’association est de développer la fonction sociale et civique de l’art, par le soutien de projets artistiques et sociaux qui peuvent susciter une prise de conscience des problèmes de société et avoir une valeur éducative et pédagogique.
L’association, qui s’est donné pour l’une de ses missions d’agir sur les mentalités - à travers la photo - a créé la galerie FAIT & CAUSE et le site www.sophot.com .
Galerie FAIT & CAUSE
Première galerie consacrée à la photographie à caractère social, FAIT & CAUSE a présenté plus de 60 expositions depuis son ouverture en 1997.
La direction artistique est assurée par Robert Delpire.
SOPHOT.com
Le site web de la photo sociale et d’environnement.
Créé en 2004, www.sophot.com présente les travaux des photographes sur les problèmes sociaux et écologiques. Il est accessible en anglais, espagnol et français.
SOPHOT.com constitue :
- un média qui accroît la reconnaissance de la photographie sociale et son pouvoir d’action ;
- un lien entre les photographes sociaux du monde entier et les agences, la presse, les galeries, les éditeurs, ainsi que les institutions sociales et culturelles, les écoles, les centres de formation et les universités…
- un espace de rencontre avec les photographes et de consultation ouvert tout particulièrement aux professionnels de la photo et de la communication ainsi qu’aux acteurs sociaux et aux publics de l’enseignement.
69 boulevard de Magenta - 75010 Paris – France
Contact : Christian Predovic Tél. + 33 (0)1.42.71.01.76 – contact@sophot.com