© Beatrix Jourdan
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Beatrix Jourdan Meszoly, comme la plupart, à quelques exceptions près, des photographes actuels en rupture de gré ou de force avec les procédés physico-chimiques chers à leurs brillants prédécesseurs, utilise dans son travail des informations lumineuses qui sont traduites en : « une matrice de luminance par la quantification ». En clair, des pixels et des photosites, caractéristiques exprimées par des nombres !
Les nombres, ils nous intéressent précisément lorsque l’on veut bien considérer que les recherches et les aboutissements de Niepce et de Daguerre remontent à 1826 pour l’un et à 1839 pour l’autre, date à laquelle Arago présenta le daguerréotype à l’Académie des Sciences de France.
Cela fait donc presque deux siècles, 173 années très exactement, que l’Etat Français a fait don « au monde » de l’Art Photographique, dont l’histoire commença dans l’étain, le bitume de Judée, l’albumine, le chlorure d’argent, l’hyposulfite de sodium pour se poursuivre aujourd’hui dans les fichiers numériques. Presque deux siècles et quelques 1536 (!) photographes nommés et recensés par le moteur de recherche Wikipédia, sans compter tous les absents, amateurs éclairés, photographes du mercredi et du dimanche, centaines de milliers de talents qui s’éparpillent tout autour de la planète chaque jour.
Alors, la question se pose devant de si grands nombres (deux cent ans d’Histoire, ce n’est pas rien) : comment se fait-il qu’au milieu de 1536 artistes, et non des moindres, soudain, au détour d’un écran, on s’arrête et se fige ?
Non pas que l’on ne se soit pas arrêté, auparavant. Mais là, on se fige, on attend. On passe et puis l’on revient à nouveau. On y regarde encore de plus près, une fois, deux fois. On montre aux amis, aux artistes alentour, on questionne, on s’interroge : est-ce une illusion, un engouement trop rapide, la fatigue, le besoin de s’extasier ? On doute ; et puis Philippe Hurst, graphiste réputé, vivant et travaillant à Nice, confirme ; et puis Mickaël Kra, styliste africain aux somptueux talents, appelé à la rescousse, confirme, lui aussi. Oui, il se passe quelque chose là, qui ne se passe pas ailleurs. Car ce qui se passe est tout simplement unique.
© Beatrix Jourdan
Et c’est bien là, le miracle : qu’au milieu de cette accumulation mondiale d’images, une, deux, puis trois, puis les 70 photographies qui sont accrochées aux cimaises d’une salle d’exposition, soient uniques.
Seraient-ce les sujets ? Certes, pour connaître et apprécier ces terres sub-sahariennes et leurs habitants, nous y sommes sensibles. Mais ce serait injuste de n’accorder de valeur artistique à ces images qu’au nom d’un propos qui nous serait familier. Cela supposerait qu’elles ne pourraient accéder alors au panthéon des œuvres universelles qui, quelles que soient leurs origines, nous laissent pantois.
Oui, les sujets sont délicats, touchants, émouvants.
Oui, nous accordons des mentions très spéciales à ce regard qui se pose avec tant de pudeur sur des visages, des gestes, des vêtements, des animaux, des paysages.
Mais nous croyons que ce qui a retenu notre regard, qui l’a capté pour qu’il ne puisse plus s’en défaire, c’est autre chose. Ce que Béatrix Jourdan Meszoly sait faire, ce qui est rare, c’est mettre en œuvre l’essence de son art, à savoir: « écrire avec de la lumière ».
Et là où elle se singularise au point de nous surprendre, c’est qu’elle ne se contente pas d’« écrire » : avec de la lumière, elle « peint » et « dessine » , également.
Car c’est bien ce qui singularise les sables de ces plages où noir, blanc, gris, grège se parsèment de frêles silhouettes : leurs graphismes à nul autre pareils. Et c’est bien parce que l’étoffe fuschia, isolée, solitaire, se replie, sur elle-même qu’elle nous aveugle. Qu’est-ce que ces grains multiples, car jamais ce mot n’aura certainement été employé avec tant de justesse, oui, qu’est-ce que ces grains qui recouvrent précisément les grains des peaux, toutes semblables, toutes différentes ? Et pourquoi la nostalgie s’empare-t-elle de ces chromos surannés au point de les faire basculer dans d’autres diachronies ?
© Beatrix Jourdan
Chaque cliché, chaque image suggèrent une interrogation, un trouble ? Oui, mais pourquoi le vois-je ainsi ? Je ne l’avais jamais vu ainsi ! Mais pourquoi ces moutons sont-ils si blancs ? La première fois ? Serait-ce possible que par la grâce de son art, Béatrix nous fasse remonter aux origines, nous abandonnant, inertes et désemparés, au bord du gouffre de la création ? Si c’est cela, alors oui, 173 années après leurs pères fondateurs, les Arts Graphiques peuvent accueillir en leur sein Béatrix Jourdan Meszoly, photographe !
Sylvette Maurin. Critique en arts visuels. Nice 2012.
Photos et vignettes © Beatrix Jourdan