Felix Thiollier (1842-1914) Figure contemplant les monts du Menzenc (Emma Thiollier, fille du photographe), 1895-1905 Epreuve ge?latino-argentique, 39,9 x 29,8 cm Paris, collection Julien-Laferrie?re
Musée d'Orsay 1, rue de la Légion d'Honneur 75007 Paris France
C'est en artiste méconnu que Felix Thiollier prend place dans cette exposition ludique et bien faite, menée par son commissaire d'exposition, Thomas Galifot. (http://actuphoto.com/23124-exposition-felix-thiollier-au-musee-d-orsay-entretien-avec-le-commissaire-thomas-galifot.html">lire).
Un peu d'histoire …
Felix Thiollier est né en 1842 à Saint-Etienne, d'une famille bourgeoise rubanière, attachée aux valeurs du catholicisme social. C'est donc naturellement que le jeune Felix se forme à la rubanerie, et fonde en 1867, à l'âge de 25 ans, sa propre rubanerie à Saint-Etienne.
Pourtant, il est très vite attiré par le monde de l'art, dans lequel il tente de se faire une place. C'est ainsi qu'à 35 ans, après avoir épousé une noble stéphanoise, Cécile Testenoire-Lafayette, il décide de devenir rentier et de se consacrer à l'art et à l'archéologie. Sa rencontre en 1873 avec le peintre dauphinois Auguste Ravier l'influencera en effet dans cette voie. Pourtant, ce dernier réussi rapidement à convaincre Thiollier d'abandonner la peinture, pour laquelle il ne semble pas être faite.
Felix Thiollier (1842-1914) Un chasseur, 1873-1880 Epreuve sur papier albuminé, 21,4 x 14 cm Paris, collection Julien-Laferrière © Musée d’Orsay
Mais Felix Thiollier voit en l'art une façon de s'éloigner de son univers social, et va dès lors se lancer dans la réalisation d'ouvrages illustrés. Puis, à la demande de ses proches, il va commencer à utiliser le médium photographique pour témoigner de son environnement.
Thomas Galifot l'explique avec clarté : « destinée à promouvoir tant les richesses naturelles et patrimoniales du Forez que l'oeuvre de ses nombreux amis artistes, cette entreprise devait mobiliser une part importante de son énergie, lorsque celle-ci n'était pas consacrée à des actions complémentaires de défense du patrimoine ou d'animation de la vie culturelle stéphanoise. »
Ainsi, en 1885, la première exposition de ses œuvres photographiques de monuments est organisée à l'occasion du 52e congrès de la Société Française d'Archéologie, dont il devient membre et reçoit la médaille d'argent.
S'en suivront plusieurs plusieurs publications et reconnaissances pour l'artiste. Ìl recevra même en 1895 la Légion d'honneur en tant que photographe. Mais ne vous y méprenez pas, la réaction de Felix Thiollier n'a pas été à la hauteur de la récompense. D'après Thomas Galifot, il a été « extrêmement vexé.» Qu'attendre de plus d'un peintre frustré ?
La photographie a été pour Thiollier comme pour beaucoup de ses contemporains, le moyen nécessaire à l'expression de sa créativité, et non pas une passion innée.
Il s'éteindra en 1914 dans sa ville de naissance.
Une exposition très bien menée …
Si l'existence de Felix Thiollier est pour beaucoup d'entre nous une méconnaissance, l'exposition présentée au Musée d'Orsay permet d'y remédier. Organisée en 4 parties distinctes, elle retrace le parcours de Felix Thiollier, de façon chronologique et thématique. Il est de fait aisé de comprendre l'évolution de son utilisation du médium photographique, ainsi que de son traitement de la vie stéphanoise de l'époque.
La première salle s'attache aux premiers pas de Felix Thiollier dans l'univers photographique, celui d'un peintre déchu, passionné par le pittoresque jusqu'à « l'indigestion ». C'est à cette époque que l'artiste quitte la ville et sa profession de rubanier, pour aller vivre dans ses terres récemment acquises, et commencera à s'intéresser de près à la vie rurale qui l'entoure.
Félix Thiollier (1842-1914)Paysage avec figure, Forez (Loire) Vers 1880-1882 Epreuve sur papier albuminé à partir d’un négatif sur verre au collodion 18,5 x 22cm Paris, musée d’Orsay, Don de Monsieur et Madame Noël Sénéclauze © Musée d’Orsay (dist. RMN)
La seconde salle regroupe les images de Thiollier paysagiste, influencé par son ami peintre Morestel. « Fruit des séances passées à « photographiquer » ensemble, la parenté de vision se décline en paysages automnaux ou hivernaux qui, vidés de toute présence humaine, sont autant de variations lumineuses sur la poignée de motifs élus par le peintre : calmes étangs ou bords de ruisseaux, silhouettes solitaires d'arbres morts, sous-bois ou chemins de campagne, c'est tout un répertoire d'origine dauphinoise qui vient stimuler le désir qu'a Thiollier de louer les beautés naturelles du Forez », souligne Thomas Galifot. Les paysages que Thiollier prend le temps de photographier sont oniriques, presque irréels.
Félix Thiollier (1842-1914) Paysage de mine, Les Puits Chatelus à Saint-Etienne, 1907-1912 Epreuve au gélatino-bromure d’argent sur papier baryté à partir d’un négatif sur verre au gélatino-bromure d’argent, 28 x 40cm Paris, musée d’Orsay © Musée d’Orsay (dist. RMN)
La troisième salle est intitulée « territoires intimes ». L'on ressent ici la présence du photographe, contrairement à ses premiers clichés. « Ses images sont celles d'un promeneur en action à l'intérieur même du paysage. » Son style évolue, tout comme l'artiste qui utilise désormais la photographie non pas uniquement comme un outil d’interprétation du réel, mais aussi comme une arme artistique sans précédent.
La quatrième et dernière salle décrit, décortique la ville minière qu'est Saint-Etienne à l'époque. Thiollier l'exprime lui-même : « cité vivante et animée (…) à laquelle les industries locales donnent un caractère pittoresque tout particulier ». C'est alors que des personnages locaux entrent en scène dans ses images, comme les acteurs d'une vie trépidante à laquelle il prend indirectement part.
Ce qui frappe dans l'exposition proposée par le Musée d'Orsay, outre la richesse de la production photographique de Thiollier, c'est sa contemporanéité. A l'heure où la photo dite « vintage » est de retour sur le devant de la scène photographique contemporaine, les clichés de Thiollier prennent une place centrale. La précision des tirages, la clarté des lumières, le grain parfois pur des images, fait de Thiollier un photographe de très belle qualité, qui mérite que l'on s'attarde quelques instants devant ses œuvres.
Félix Thiollier (1842-1914) Paysage de mine, quartier du Soleil à Saint-Etienne, 1895-1910 Epreuve au gélatino-bromure d’argent sur papier baryté à partir d’un négatif sur verre au gélatino-bromure d’argent, 30 x 39,5cm Paris, musée d’Orsay, Don Blanc-Thiollier © Musée d’Orsay (dist. RMN)
Pour compléter la visite de « Félix Thiollier photographies », le catalogue de l'exposition est disponible en coédition musée d'Orsay / Editions Courtes et Longues, 224 pages, 200 illustrations, au prix de 39 €.
Claire Mayer