Picasso Poissons © David Douglas Duncan.
Musée d'Art et d'Histoire de genève 2 rue Charles-Galland 1206 Genève Suisse
Immersion dans le quotidien créatif de Picasso
Genève, septembre 2012 – Depuis 1984, le Musée d’art et d’histoire conserve dans ses collections Baigneurs à la Garoupe de Pablo Picasso, œuvre majeure pour le musée genevois, mais également tableau essentiel de l’artiste, qu’il peint, sous l’œil du photographe David Douglas Duncan, durant son séjour à la villa La Californie à Cannes dans les années 1950. Il était donc naturel que l’institution souhaite accueillir l’exposition itinérante Picasso à l’œuvre.
Dans l’objectif de David Douglas Duncan, tout en la remaniant pour cette ultime étape. Cette présentation plonge le visiteur dans l’intimité de Picasso. L’intimité de son quotidien, mais également celle de son travail et de ses recherches grâce à l’association des œuvres achevées de l’artiste et des photographies de Duncan représentant, pour certaines d’entre elles, chaque étape de leur création.
Après des escales au Museo Picasso Málaga, au Kunstmuseum Pablo Picasso de Münster et à La Piscine, Musée d’art et d’industrie André Diligent de Roubaix, l’exposition itinérante Picasso à l’œuvre.
Dans l’objectif de David Douglas Duncan prend une forme légèrement différente pour sa halte au Musée d’art et d’histoire de Genève. Articulée autour de neuf sections associant clichés de Duncan et œuvres de l’artiste, elle montre à la fois Picasso « le mystérieux » et le « mystère de sa créativité ».
Mais elle s’attache aussi au lieu particulier qu’était la villa La Californie pour le peintre et sa famille et rend hommage à Jacqueline, sa dernière compagne. Elle souligne par ailleurs l’importance du thème de la plage et accorde une place d’honneur aux Baigneurs à la Garoupe, toile majeure généreusement offerte au Musée d’art et d’histoire par Marina Picasso.
Cette mise en abyme entre photographies et œuvres permet en effet d’entrer dans l’univers riche et insolite de Picasso à l’époque où il travaillait sur Baigneurs à la Garoupe et de suivre l’élaboration du tableau, achevé en une nuit. Duncan rapporte d’ailleurs à ce sujet : « Picasso me dit : C’est la plage de La Garoupe – du moins telle que je la vois ! […] D’autres peintres peuvent passer une année à peindre et à repeindre un centimètre de carré de toile. Moi, je pense à cette toile depuis un an.
Maintenant je dessine pendant quelques minutes – et c’est assez pour la terminer ! »
De manière plus large, l’exposition révèle combien le photographe a su saisir le génie protéiforme de l'artiste, entouré d'une profusion d'œuvres, absorbé par son travail du moment. Parmi les ébauches éparses, Picasso, conforme à sa légende de Pygmalion insatiable, est capté par l'objectif attentif d'un complice silencieux. Photographe de guerre pour Life Magazine notamment, David Douglas Duncan est quant à lui un témoin privilégié de la vie de Picasso. Ami proche de l’artiste pendant 17 ans, il explique cette relation exceptionnelle avec humilité : « I was the right guy for the right job. » Une relation féconde qui a permis la construction du « mythe Picasso ».
Picasso à l’œuvre. Dans l’objectif de David Douglas Duncan nous fait partager ces moments exceptionnels grâce à une sélection de plus de 150 photographies de David Douglas Duncan – parmi les milliers de prises – et autant d’œuvres du maître espagnol (sculptures, peintures, céramiques, dessins et gravures), issues de collections muséales ou particulières.
Cette exposition est réalisée grâce au généreux soutien de la Fondation Hans Wilsdorf.
© David Douglas Duncan.
1. Picasso à l’œuvre : la version genevoise de l’exposition
Parce qu’elle apporte un éclairage nouveau sur la démarche artistique de Picasso grâce aux photographies de David Douglas Duncan et qu’elle met en scène Baigneurs à la Garoupe, œuvre majeure de ses collections, le Musée d’art et d’histoire de Genève a décidé de reprendre l’exposition
Picasso à l’œuvre. Dans l’objectif de David Douglas Duncan pour une ultime étape après Málaga, Münster et Roubaix. Imaginée en premier lieu par Stephanie Ansari, qui a réalisé l’inventaire des photographies de David Douglas Duncan, et Tatyana Franck, directrice des Archives Claude Picasso, cette exposition associant des clichés qui montrent l’artiste au travail et les œuvres terminées est soutenue par Claude Ruiz Picasso. Dans sa version genevoise, le parcours de l’exposition a été repensé par la conservatrice en chef responsable de la collection des beaux-arts, Laurence Madeline, qui intègre de nouvelles œuvres et propose de nouveaux regards sur ces deux univers croisés, révélant la vision du photographe Duncan sur la vie et l’œuvre de Picasso.
Parcours de l’exposition
L’exposition, qui réunit plus de 150 œuvres de Picasso – tableaux, sculptures, céramiques, dessins et gravures – et autant de photographies de Duncan, s’articule en neuf sections.
1. La Californie
Surplombant la Méditerranée, enfouie dans un jardin luxuriant, la villa La Californie, investie par Picasso en 1955, évoque l’Orient de Matisse, avec la blancheur de ses murs, les arabesques de ses larges fenêtres et la silhouette des palmiers qui s’y dessine. À l’opposé, saisie par Picasso dans la noirceur de la nuit qu’il préfère pour peindre, elle a également tout du laboratoire où s’opèrent de mystérieuses et silencieuses cérémonies.
2. La rencontre
C’est ce lieu, lumineux et obscur à la fois, que découvre David Douglas Duncan le 8 février 1956.
Photographe de guerre, Duncan est accueilli à bras ouverts par Picasso et sa compagne Jacqueline. Eux qui, pour préserver le travail de l’artiste, se retranchent derrière les hautes grilles de leur propriété, laissent Duncan partager leur vie quotidienne, appareil photo à la main.
3 et 5. La Californie : lieu de vie, lieu de création
Subjugué par ce qu’il découvre, Duncan mitraille Picasso et entreprend de révéler au monde les faces cachées de la vie de l’artiste. Les livres qu’il publie traduisent en images et en mots l’atmosphère de bohême et de création de la villa. L’accumulation des œuvres, le mouvement des enfants et des animaux, les visites, les discussions infinies, les pitreries du peintre qui se fait complice du photographe définissent les photos de Duncan. Les œuvres présentées dans ces deux sections matérialisent ses regards.
4. L’instant magique de la création
Les œuvres présentées incarnent surtout les processus créatifs de Picasso, ici mis en exergue par La femme enceinte qui exprime la fécondité. Celle-ci est encore mise en abyme par une photographie où il apparaît, de dos, massif et alerte, concentré, devant une table de travail ; ou avec la suite de photos que l’on pourrait appeler de la « sole meunière » qui captent dans le regard de Picasso l’instant fulgurant où jaillit l’idée de l’œuvre : transformer une arête de poisson, tout juste dégusté, en plat de céramique.
6. Baigneurs à la Garoupe
La démarche complémentaire des deux hommes atteint son paroxysme au moment où Picasso peint Baigneurs à la Garoupe, donné au Musée d’art et d’histoire de Genève par Marina Picasso. Tapi dans l’ombre de l’atelier, Duncan assiste à une scène inspirée durant laquelle le peintre achève, non seulement un tableau fondamental de son œuvre, mais le cycle, instinctif et complexe, des « Baigneurs » entamé quarante ans plus tôt. (Cf. texte dédié aux Baigneurs à la Garoupe)
7. Pratiques créatives de Picasso
Ce tableau est intimement lié au groupe sculpté des Baigneurs : ainsi que nous le montre Duncan et que nous le restitue l’exposition, la sculpture et la peinture se nourrissent l’une de l’autre. Guenon, Tête de femme, Jacqueline et Baigneuse aux bras écartés forment un exceptionnel ensemble de sculptures vers lesquelles semblent converger toutes les pratiques de Picasso, toutes ses curiosités et trouvailles.
8. Jacqueline
L’amitié du photographe et de l’artiste se scelle dans leur admiration commune pour Jacqueline.
Muse, sphinx, pythie, elle règne sur la villa et Duncan affirme : « Le cadeau que Jacqueline fit à Pablo– outre un amour absolu – semble avoir été la tranquillité. »
9. La célébrité
Les icônes photographiques de Duncan, qui ont contribué à faire de Picasso l’artiste le plus reconnu de tous les temps, concluent leur dialogue dans cette ultime section.
Des prêts rares accordés par des institutions et des collections internationales, le soutien remarquable de la famille Picasso, la complicité de David Douglas Duncan permettent cette riche et fascinante incursion dans le monde de Picasso.
Picasso et Couette © David Douglas Duncan.
2. Pablo Picasso dans le viseur de David Douglas Duncan
Les photographies de David Douglas Duncan n’expliquent pas l’origine de la faculté de création de l’artiste, mais préfèrent se concentrer sur les conditions de son émergence. À travers ces clichés instantanés, l’œil et le geste pictural de l’artiste en pleine élaboration se révèlent. Ils donnent non seulement à voir l’assurance et la virtuosité du peintre, mais également le fruit d’un travail de longue haleine, assorti d’une exécution mûrie qui président à l’élaboration de ses œuvres.
Les photographies de Duncan illustrent également l’obsession de l’artiste à vouloir fixer le temps.
Picasso confie un jour à Brassaï : « Il ne suffit pas de connaître les œuvres d’un artiste. Il faut aussi savoir quand il les faisait, pourquoi, comment, dans quelle circonstance […] je tiens à laisser à la postérité une documentation aussi complète que possible… Voilà pourquoi je date tout ce que je fais. »
Travail et vie privée
Ce que Duncan dévoile avec son travail, ce ne sont pas seulement les peintures d’un artiste mondialement connu, mais Picasso lui-même. La majorité des photographies sont effectuées depuis l’intérieur domestique du peintre, là où travail et vie privée cohabitent sans frontière. Certaines images du salon de La Californie rappellent par exemple l’entassement des œuvres dans l’atelier, entre l’amoncellement de journaux, papiers, collages et photographies. Pour rendre compte de cette effervescence, Duncan met à profit son expérience de reporter de guerre : discrétion, travail d’épure, cadrage en contre-plongée notamment.
Une amitié durable
L’amitié qui unit les deux hommes est également un facteur important. Scellée le jour même de leur rencontre, le 8 février 1956, par une bague gravée d’un coq offerte par le photographe, elle durera jusqu'à la mort du peintre en 1973. Pendant près de dix-sept ans, Duncan est l’un des seuls
photographes admis dans l’intimité du peintre, à vivre son quotidien : « Parce que je n’étais pas un artiste, ni un historien de l’art… J’étais juste un gars qu’il aimait bien, un gars avec un appareil photo.
Simplement. Nous étions juste deux hommes. C’est très important d’insister sur le fait que je n’étais pas un professionnel de l’art et c’était bien ce qu’il attendait de moi », expliquera Duncan des années plus tard.
Le photographe bénéficie ainsi de l’avantage d’avoir pu capturer l’artiste dans le temps. Ses photographies témoignent en filigrane d’un regard intime, familial, aimant, plein d’empathie. Picasso ne contrôle d’ailleurs pas les épreuves prises ni leur publication.
Picasso et la photographie
Pablo Picasso semble avoir été constamment fasciné par le medium photographique. Ses premières expériences personnelles de photographe remontent aux années 1899-1900. Il prend alors l’habitude de capturer ses œuvres en cours d’exécution. Les tirages, qu’il développe très souvent dans son atelier, lui permettent de réfléchir à la pertinence de ses compositions et de leur évolution. Mais Picasso ne cherche pas à montrer au grand public ses propres tirages. À partir des années 1920, il ne réalise plus que rarement les clichés de ses œuvres ou de son atelier et confie cette mission à ses amis photographes.
Par la suite, Picasso lui-même sera le sujet de nombreux clichés. Il est l’artiste le plus photographié de son temps. Complicité, connivence ou acceptation ? Les échanges et les collaborations sont multiples, notamment dans la deuxième partie de sa vie, alors que sa réputation dépasse les frontières. De grands photographes tels que Man Ray, Brassaï, Lee Miller, Willy Ronis, Robert Capa ou Henri Cartier-Bresson ont signé maints clichés de l’artiste, ainsi que Dora Maar, sa compagne.
Au cours des années 1950, Picasso établit une réelle collaboration avec des photographes choisis.
Avec André Villers, il réalise des découpages photographiques. Avec Gjon Mili, il expérimente des créations dans le noir à l’aide d’une lampe torche, dessinant des halots de lumière dans l’espace. Les dernières années de sa vie sont immortalisées par Robert Doisneau, Edward Quinn et, surtout, David
Portant un masque © David Douglas Duncan.
Douglas Duncan.
Duncan, photoreporter
Photoreporter de guerre notamment pour le magazine Life, David Douglas Duncan a quarante ans quand il rencontre Picasso en 1956 et découvre La Californie : « C’est peut-être le foyer le plus heureux de la terre. C’est aussi l’atelier d’un artiste… »
Globe-trotter, il arpente un monde en guerre et revient périodiquement retrouver son ami dans sa villa à Cannes, puis au Château de Vauvenargues, près d’Aix-en-Provence, et à l’atelier de Notre-Dame-de-Vie à Mougins.
David Douglas Duncan est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages, dont huit sont consacrés à Picasso, à l’instar de Le petit monde de Picasso (Paris, Hachette, 1959), Les Picasso de Picasso (Paris, La Bibliothèque des arts, 1961) ou Goodbye Picasso (Paris, Stock, 1975).
Le texte de cette section a été rédigé par T. Franck. Il est libre d’utilisation pour les médias.
3. Baigneurs à la Garoupe : un tableau majeur
La série de photographies prises par David Douglas Duncan lorsque Picasso peint Baigneurs à la Garoupe sont saisissantes par la maîtrise qui s’en dégage. Le peintre « attaque » sa toile en haut à gauche pour la terminer, moins de dix minutes plus tard, exactement en bas à droite, sans
interruption, sans interrogation, d’un flux unique et régulier. Ainsi qu’il le déclare à Duncan médusé : « D’autres peintres peuvent passer une année à peindre et à repeindre un centimètre carré de toile.
Moi, je pense à cette toile depuis un an. Maintenant je dessine pendant quelques minutes et c’est assez pour la terminer ! » Le tableau a en effet été largement ébauché en septembre 1956, au terme d’une longue recherche, ponctuée de nombreux dessins, sur le thème de la plage, d’une part, et sur les relations entre peinture et sculpture d’autre part. Il existe en effet une version sculptée de Baigneurs à la Garoupe, conservée à la Staatsgalerie de Stuttgart, fabriquée à partir de morceaux de bois de rebut, ramassés ça et là, et qui comprend chacun des six personnages du tableau : « L’homme-fontaine », « La femme aux bras écartés », etc.
Un dialogue entre la sculpture et la peinture
Dès 1912, avec ses tableaux reliefs, ses assemblages, Picasso a remis en cause la question de la planéité du tableau en y intégrant des objets réels. Dès lors, et tout au long de sa carrière, il revient sur ces assemblages en leur donnant une dimension de plus en plus sculpturale. Avec Baigneurs à la Garoupe cependant, Picasso prend à rebours le problème qu’il a lui-même posé, en réalisant un groupe sculpté tellement plat qu’il se transpose aisément en un tableau en deux dimensions. Comme s’il portait une conclusion à son questionnement du début des années 1910 en émancipant ses assemblages de bois du cadre du tableau pour en faire un groupe sculpté, puis en revenant, avec Baigneurs à la Garoupe, à la stricte planéité du tableau.
Les thèmes du bain et de la plage
Le thème du bain est aussi profondément ancré dans l’œuvre de Picasso. Il connaît les Baigneurs et les Baigneuses de Cézanne qui a revisité, à la suite de Manet, ce sujet classique de l’histoire de l’art.
La Garoupe, cependant, est une plage particulière de Cannes, un lieu marqué par la modernité où les gens se baignent avec des bouées et sautent depuis des plongeoirs. C’est cette modernité que Picasso fait entrer dans son tableau et dont Duncan a un jour la révélation en observant les « vrais » baigneurs sur la plage de la Garoupe : « Un petit garçon glissa jusqu’au bord de l’eau couché sur une planche à pagayer. En s’approchant de nous, il la plaça en travers de sa poitrine pour la porter – et il devint la silhouette aux longs bras du milieu de ce même tableau. Picasso avait raison. Les pagaies n’étaient que la prolongation des bras du gosse, lui permettant d’atteindre l’eau tout en chevauchant les vagues. »
Ici également, Picasso semble clore un thème longuement exploré : ses baigneurs sont tout à la fois de lointains descendants de ceux de Cézanne et les émanations de ceux, insouciants et libres, de la fameuse plage de Cannes.
Une toile de fond
Cette liberté explose aussi dans l’atelier de Picasso avec le tableau terminé qui compose le rideau d’une scène où se célèbrent, quotidiennement, les petites joies de l’été 1957 et devant lequel évoluent les habitants de La Californie. Duncan se régale à photographier le peintre, mais aussi sa compagne et ses enfants, devant une toile qui semble générer toutes les expressions de liberté et démontrer que la peinture et la sculpture ne sont que des reflets de la vie même.
Picasso dansant © David Douglas Duncan.
4. Arrêt sur trois autres œuvres de l’exposition…
Tête de taureau
Omniprésente dans les photographies que Duncan fait de La Californie en 1956, la Tête de taureau constitue un emblème de l’imaginaire et des recherches de Picasso.
La corrida occupe une place considérable dans la vie de l’artiste qui assiste autant que possible aux combats de taureaux. Tout le rituel, hérité de mythes antiques, le fascine et il s’identifie lui-même à la figure du taureau, devenu minotaure : puissant mais aussi victime. L’œuvre est extraordinaire parce qu’elle contient toute cette dimension mythique dans l’association ludique d’une selle et d’un guidon de bicyclette trouvés dans une décharge.
Picasso affirme qu’il « ne cherche pas » ; qu’il « trouve », comme si l’idée de l’œuvre – sujet et forme– s’imposait à lui au simple regard posé sur deux objets n’ayant aucun lien, ni avec un animal quelconque, ni avec la tauromachie. Il ajoute par ailleurs, et plus poétiquement : « On devrait prendre un morceau de bois comme si c’était un oiseau. »
Le génie de l’œuvre inventée par Picasso tient précisément dans l’extrême banalité des accessoires de vélo transcendés par un assemblage inédit dont l’évidence formelle et la charge symbolique sont telles que leur identité première – selle et guidon – s’efface.
Pablo Picasso
Tête de taureau
Printemps 1942. Fondu et assemblé en 1943
Bronze, collection particulière
Portrait de Jacqueline
Sur Jacqueline, dont il a été aussi proche que de Picasso, Duncan écrit : « Jacqueline m’a dit qu’elle n’avait pas une seule fois posé pour Picasso. Son silence emplissait leur maison – et son visage les yeux du peintre. »
Le silence de Jacqueline, l’attention permanente qu’elle porte à Picasso et à son travail transparaissent dans la plupart des photographies que Duncan prend d’elle, où elle est souvent grave et réservée. C’est ainsi qu’elle apparaît également dans les portraits que Picasso fait d’elle, comme
dans celui-ci.
Mais la modestie de la jeune femme, sa gravité sont bouleversées par la technique que l’artiste emploie pour la représenter. Un doux fusain pour les grands yeux sombres et tendres. Un papier d’emballage pour le corsage et, surtout, un nœud en ruban de cadeau qui exprime la tendresse et la reconnaissance de Picasso pour sa compagne. Une réponse à l’affirmation de Duncan, selon laquelle « le cadeau que Jacqueline fit à Pablo – outre un amour absolu – semble avoir été la tranquillité ». Le cadeau de Picasso à Jacqueline.
Pablo Picasso
Portrait de Jacqueline
13 février 1957
Fusain et collage sur papier, collection particulière
Hymne à la fertilité
Avec la photographie Pablo Picasso de dos avec le plâtre de La femme enceinte (1950), Duncan rend un magnifique hommage au génie créatif et à la productivité de Picasso. Le photographe ne dévoile pas ce que fait l’artiste mais la table devant laquelle il est placé est couverte d’accessoires et d’outils.
On ne voit pas ses mains mais, si le chapeau posé de guingois sur la tête, avance l’idée de fantaisie, de jeu et de détente, tout le corps, lui, semble sérieux, concentré sur le geste. Enfin, nous offrant sa face comme Picasso nous montre son dos, le plâtre de La femme enceinte, figure tutélaire, totem moderne dédié à la fécondité, révèle ce qui nous est caché : l’inépuisable fertilité de l’artiste.
Plastiquement impressionnante avec son jeu de blanc, de noir, de gris, avec son équilibre entre le plein et le vide, la photographie de Duncan témoigne autant de la capacité du photographe à saisir, au-delà de la réalité d’un instant, le génie de toute une existence, que de la rencontre exceptionnelle d’un artiste prodigieux et d’un photographe au sommet de son acuité et de sa sensibilité.
David Douglas Duncan
Été 1957, Villa La Californie, Cannes
Épreuve gélatino-argentique
Photos et Vignette © David Douglas Duncan.