© William Ropp.
Krisal Galerie 25 rue du Pont-Neuf 1227 Carouge-Genève Suisse
Vanishing point
En adoptant la couleur, après trois décennies de travail en noir et blanc, William Ropp prenait le risque de se perdre. De s'égarer dans un univers trop cru, trop réel pour ses visions oniriques. D'échouer ce faisant à nous y entraîner à sa suite.
Le noir et blanc allaient si bien à ses créatures ambigues, entre aube et crépuscule. Ils disaient leur absence au monde naturel, leur singulière universalité, leur éternité désincarnée. Ils posaient un voile sur leur outrange, parfois, sublimaient leur théâtralité. Ils servaient leur mystère et leur inquiétante étrangeté.
On aurait pu craindre que la couleur ne jetât une lumière trop vive sur des secrets si bien scellés, si chichement révélés. Que la porte entrebaillée sur des abîmes ne débouchât sur une scène aveuglante.
On aurait eu tort.
© William Ropp.
Nuls réalisme ni trivialité dans ce nouveau recueil.
Les photographies de visages qu'on y contemple ne sont pas des portraits.
Certes, ils sont saisis le plus souvent en plan serré ou en gros plan, statiques, parfois même frontaux, sur fond neutre et monochrome (lierre, pelouse ou pan de mur), selon une scénographie minimale qui pourrait - seulement de ce point de vue - évoquer le photomaton, forme la plus réaliste, la plus informative du portrait.
Certes, c'est encore bien davantage la peinture, et toute l'histoire du portrait pictural qu'évoquent ces effigies précises et lumineuses aux demi-teintes veloutées serties dans des étoffes sombres. Toute l'histoire du portrait peint, parce que s'y croisent et parfois s'y épousent en une heureuse synthèse les codes de plusieurs époques et les manières e maints peintres illustres. Certaines figures ont la beauté calme, la vertueuse simplicité néoclassiques d'Ingres, certaines la délicatesse virginale de la Vénus de Botticelli, d'autres l'innocence, la pureté énigmatiques de la Jeune fille à la perle de Vermeer, d'autres encore la noblesse et la douceur du de Vinci de La Joconde ou de la Dame à l'Hermine ...
Mais cette splendeur profane se dessine en palimpseste sur les traces mal effacées d'une magnificence sacrée. Comme les saints de Léonard se passent d'auréole, nimbés qu'ils sont de leur propre lumière, les figures de William Ropp irradient un éclat surnaturel. Et, à l'iamge des icônes byzantines, elles se détachent sur un fond, sinon doré, du moins privé de profondeur, de réalité spatiale, d'effet perspectif. Ancrées dans cet espace plus symbolique que rationnel, dans ce décor plus évoqué que représenté, elles empruntent aussi aux personnages sacrés de la maniera greca leur inhumanité idéale. Certains personnages, plus stylisés et plus archétypaux encore, évoquent plutôt des êtres de légende (elfes, nymphes sylvestres), ou des héros de contes merveilleurs (Petit Poucet, Hansel et Gretel, ...) Enfances figurées, métaphoriques, aussi peu individualisées que leurs pendants bibliques - Adam et Eve maniéristes, graciles et onduleux comme des Cranach, vierge noire, christs triomphants ...
Leur regard en dedans ou au-delà n'exprime en effet rien du répertoire des sentiments ou émotions humaines. Seule fenêtre dans ce simages forcloses, il figure un point de fuite qui à la fois en construit et absorbe le sens.
© William Ropp.
Ouvre-t-il vers les richesses infinies de l'intériorité, de l'esprit, de l'imaginaire, de l'âme ? Assiste-t-on à un voyage introspectif, onirique, initiatique, à une expérience mystique de ravissement, d'extase, de révélation ? Cette question, qui rejoint celle de l'inspiration créatrice du photographe, ce "voyant", parcourt toute l'oeuvre de William Ropp et en constitue la clef de voûte. Elle sous-tend son attention à l'enfant, visionnaire comme l'artiste à l'eouvre, mais aussi son recours régulier à l'iconographie religieuse, à celle des mythes et des légendes, prétextes à une représentation, allégorique, de ces expériences. Jusqu'alors, l'atmosphère irréelle et mystérieuse des images de l'artiste, procédant en partie du noir et blanc, d'un certain "sfumato" (relavant d'une technique d'éclairage originale qui fut longtemps sa signature) et de mises en scène tenant parfois de l'expressionnisme ou du surréalisme suggérait plutôt cette lecture, sans jamais l'asséner ni même l'autoriser entièrement.
Jusqu'à un certain point, l'esthétique picturale des nouvelles photographies en couleur, qui facilite et souligne l'invocation des imageries chrétienne et légendaire (puisque c'est en grande partie la peinture qui a forgé, ou du moins fixé celles-ci) peut également servir cette interprétation. Jusqu'à un certain point ... Car même atténuée, même dénaturée, la couleur confère plus de réalité, de matérialité au sujet. Et pour la première fois, certains modèles de William Ropp semblent respirer derrière le masque, la personne apparaître derrière le rôle. Leur beauté, aussi charnelle que spirituelle, est bien de ce monde. t l'on sait, à les contempler, si l'on assiste à une transfiguration ou à une incarnation. Ces yeux vacants laissent tant de place à la chair ...
Géraldine Schrepfer.
Photos et Vignette © William Ropp.