Manuel A?lvarez Bravo, La hija de los danzantes, (La Fille des danseurs), 1933 e?preuve au platine-palladium tardive Collection Colette Urbajtel / Archivo Manuel A?lvarez Bravo, s.c. © Colette Urbajt
Jeu de Paume 1 Place de la Concorde 75008 Paris France
Manuel Álvarez Bravo, Un photographe aux aguets (1902-2002)
Loin des stéréotypes d’un surréalisme exotique et d’une vision “folklorique” de la culture mexicaine, l’exposition que le Jeu de Paume consacre à Manuel Álvarez Bravo restitue une vision contemporaine du travail de ce photographe mexicain bien connu du public français.
développée durant huit décennies, l’œuvre photographique de Manuel Álvarez Bravo (Mexico, 1902-2002) constitue un jalon essentiel de la culture mexicaine du XXe siècle. À la fois étrange et fascinante, sa photographie a été souvent perçue comme le produit imaginaire d’un pays exotique, ou comme une dérive excentrique de l’avant-garde surréaliste.
L’exposition veut dépasser ces lectures. Sans nier le lien avec le surréalisme ou les clichés liés à la culture mexicaine, cette sélection de 150 images vise à mettre en lumière un ensemble spécifique de motifs iconographiques dans le travail de Manuel Álvarez Bravo : les reflets et trompe-l’œil de la grande métropole ; les corps gisants réduits à de simples masses ; les volumes de tissus laissant entrevoir des fragments de corps ; les décors minimalistes à l’harmonie géométrique ; les objets à signification ambiguë...
L’exposition porte ainsi un nouveau regard sur cette œuvre, sans la restreindre à un ensemble d’images emblématiques avec leur lecture stéréotypée. Cette approche dévoile des aspects peu connus de sa photographie, d’une pertinence et d’une actualité remarquables.
des images qui se muent en symboles ; des mots qui deviennent des images ; des objets qui agissent comme des signes ; des reflets qui deviennent des choses. À la manière de “syllabes” graphiques, ces thèmes reviennent de façon récurrente dans sa production photographique, de la fin des années 1920 au début des années 1980, imprimant à son œuvre une intention et une structure du regard bien éloignées de la rencontre fortuite du “réel merveilleux” mexicain. Au contraire, sa production constitue un discours poétique à part entière, autonome et cohérent, patiemment élaboré au fil du temps.
Or c’est justement cela, le temps, qui donne son unité au tissu imaginaire de la photographie d’Álvarez Bravo. derrière ces images aussi poétiques que troublantes, telles des hiéroglyphes, se cache une intention cinématique permettant de rendre compte de leur qualité formelle, mais aussi de leur nature séquentielle : ne pourrait-on pas voir les photographies d’Álvarez Bravo comme les images fixes d’un film ?
Manuel Álvarez Bravo, Bicicleta al cielo (Bicyclette au ciel), 1931 épreuve gélatino-argentique moderne Collection Colette Urbajtel / Archivo Manuel Álvarez Bravo, s.c. © Colette Urbajtel / Archivo Manuel Álvarez Bravo, s.c.
L’exposition évoque cette hypothèse en confrontant ses images les plus célèbres à de courts films expérimentaux des années 1960, provenant de ses archives familiales. Sont également exposées une série d’images tardives à caractère cinématique, et une sélection de tirages couleurs et de Polaroïd. En partageant avec le public le processus d’expérimentation d’Álvarez Bravo, ce projet entend montrer que la qualité poétique de ses images procède d’une recherche permanente autour de la modernité et du langage. Sujette à l’ambiguïté sémantique, mais sous-tendue par une syntaxe graphique forte, sa photographie est une synthèse unique de l’expression locale mexicaine et du projet moderne. dès lors, son œuvre illustre bien la construction multiple du modernisme à partir d’une pluralité de visions, de poétiques et d’arrière-plans culturels, et non d’une pratique centrale.
Manuel Álvarez Bravo, Los agachados (Les Courbés), 1934 épreuve gélatino-argentique tardive Collection Colette Urbajtel / Archivo Manuel Álvarez Bravo, s.c
© Colette Urbajtel / Archivo Manuel Álvarez Bravo, s.c.
Muntadas, Entre/between
Artiste internationalement reconnu comme l’un des pionniers de l’art conceptuel et de l’art médiatique, Muntadas (Barcelone, 1942) interroge notre façon de regarder et d’interpréter. Le Jeu de Paume, en collaboration avec le Museo Nacional Centro de Arte Reina Sofía de Madrid, consacre à cet artiste pluridisciplinaire une exposition majeure intitulée “Entre / Between” retraçant sa prolifique carrière. Depuis les années 1970, il dévoile les liens qui constituent le tissu social complexe de la vie contemporaine, par le biais de multiples techniques : performance, vidéo, photographie, installation, multimédia, publication, Internet et art public.
Son œuvre, engagée dans une recherche approfondie et incisive sur des situations politiques et des problématiques culturelles, explore notamment des notions comme la relation entre espace public et sphère privée, les flux d’informations dans le paysage médiatique et la dynamique de l’architecture officielle.
Muntadas, This Is Not an Advertisement, Times Square, New York, 1985 Photographie : Pamela Duffy © Muntadas
Le titre de l’exposition “Entre / Between” évoque une position de léger retrait, un “entre-deux“ dont Muntadas se sert pour poser certains problèmes politiques et culturels de notre temps. L’ensemble de son œuvre élabore un discours sur les systèmes visibles et invisibles de communication et de pouvoir dans une société de plus en plus dominée par le spectacle des mass media, l’hyperconsommation et les progrès constants de la technologie. Cependant, le travail de Muntadas ne propose pas des narrations ou des solutions possibles.
Cette exposition ne se veut pas une rétrospective complète de la carrière de l’artiste, et elle ne suit pas une séquence chronologique typique. Elle propose plutôt un itinéraire s’appuyant sur l’idée de constellation pour relier thématiquement des œuvres de différentes périodes. Neuf constellations articulent ainsi le vaste champ des sujets explorés par Muntadas depuis quarante ans, créant un environnement qui incite le spectateur à se poser la question : “Qu’est-ce que je regarde ?“
Les projets de Muntadas répondent généralement à des conditions particulières de temps et de lieu ; ils abordent une multitude de contextes sociaux et, faisant appel à des médiums très divers, trouvent place dans une grande variété de lieux. En conséquence, la représentation de sa pratique dans une installation muséale, dans un temps et en un lieu nouveaux, génère un certain nombre de paradoxes et suscite de nouvelles traductions et réinterprétations. Mais ce processus de recadrage est précisément l’un des grands leitmotivs de l’artiste.
Muntadas, en collaboration avec Anne Bray, Media Eyes, Cambridge (Massachusetts), 1981 © Muntadas
Filipa César, luta Ca Caba inda (la lutte n’est pas Finie)
“Luta ca caba inda“ (La lutte n’est pas finie), titre de la proposition de Filipa César pour la cinquième édition de la programmation Satellite, peut être vu comme un ajout à son projet de recherche lancé en 2008 − et toujours en cours − sur les origines de la production cinématographique en Guinée-Bissau. L’intérêt de César pour ce pays est ancien et étroitement lié à l’histoire coloniale récente du Portugal. Lors de ses premiers voyages en Guinée, elle a cherché à démêler les racines du cinéma dans ce pays d’Afrique de l’Ouest en se penchant en particulier sur ses archives, dont l’état déplorable s’expliquait à la fois par les conditions climatiques locales et par l’instabilité politique persistante du pays.
Josefina Crato dans O Regresso de Amílcar Cabral (Le Retour d’Amílcar Cabral), 1976 © INCA Guinée-Bissau, José Cobumba, Josefina Crato, Flora Gomes, Sana N’Hada
L’histoire du cinéma guinéen commence pendant la guerre d’indépendance de onze ans menée contre le Portugal (1963-1974), lorsque Amílcar Cabral, chef du PAIGC (Parti africain pour l’indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert), envoie quatre jeunes Guinéens − Flora Gomes, Sana N’Hada, Josefina Crato et José Bolama Cobumba − à l’Institut cubain de l’art et de l’industrie cinématographique (ICAIC) pour y apprendre le cinéma. Pour Cabral, le cinéma est un instrument éducatif et un moyen de fédérer la bonne quarantaine de groupes ethniques du pays pour leur donner un but commun : l’indépendance et la formation d’une nation unie de Guinée-Bissau et du Cap-Vert. La stratégie politique de Cabral consiste alors à sensibiliser son peuple et le monde entier sur son combat en appuyant sur la puissance visuelle de l’image afin de créer une identité nationale nouvelle. Le cinéma est pour lui un outil politique, une façon de jeter les fondations d’une mémoire collective, d’écrire l’histoire d’une Guinée nouvellement libérée.
Prospère pendant quelques années après l’indépendance, le cinéma de Guinée-Bissau va cesser d’être une priorité gouvernementale après le coup d’État de 1980 et, avec le déclenchement de la guerre civile en 1998, il sera complètement abandonné. Il n’en reste que les films et les séquences archivés à l’INCA (Instituto Nacional do Cinema e Audiovisual da Guiné-Bissau). Des images documentaires tournées par Flora Gomes et Sana N’Hada entre 1972 et 1980, deux films réalisés par ces mêmes auteurs dans les années 1980, un ensemble de films issus de pays alliés (RDA, l’URSS, Cuba et Suède), plusieurs bandes audio et une série de copies vidéo d’œuvres cédées par Chris Marker composent ces archives uniques et inexplorées.
Grâce à une collaboration entre les réalisateurs Flora Gomes, Sana N’Hada et Suleimane Biai, l’INCA (Bissau), l’Arsenal (Berlin) et le Jeu de Paume, ainsi qu’avec le soutien du ministère allemand des Affaires étrangères, il a été possible d’entreprendre le transfert des images 16 mm sur un format numérique permettant de les présenter au public. En effet, du fait de leur mauvais état, les pellicules n’auraient pas supporté le passage dans un projecteur.
Pour l’exposition au Jeu de Paume, Filipa César propose une réflexion sur le processus complexe d’exhumation de ces archives et de recoupement entre faits et fictions, récits personnels et collaborations. “Luta ca caba inda” − titre repris d’un film inachevé de la fin des années 1970 et appartenant au corpus archival − est un essai poétique sur le combat qu’implique l’accès à des images d’un autre temps.
Née en 1975, Filipa César est portugaise et vit à Berlin. Son travail a été présenté entre autres au Mudam (Luxembourg), à la Haus der Kulturen der Welt (Berlin), à Arts Santa Mònica (Barcelone), à la Kunsthalle Wien (Vienne), à FormContent (Londres) et au SF Moma (San Francisco). Elle a participé à Manifesta 8 (Cartaghène), à la 29e Biennale de São Paulo, à la 12e Biennale d’architecture de Venise et à la 8e Biennale d’Istanbul.
Flora Gomes (à gauche) dans Guiné-Bissau, 6 Anois Depois (Guinée-Bissau, 6 ans après),1980 (film inachevé) © INCA Guinée-Bissau, José Cobumba, Josefina Crato, Flora Gomes, Sana N’Hada