© Mirela Popa – Mer de glace, 2012 - Tirage argentique - 210 x 175 cm
Galerie Municipale Jean-Collet 59, avenue Guy-Môquet 94400 Vitry-sur- Seine France
Avant-propos
Mirela Popa développe un travail où passé et présent, expérience personnelle et contextes géographiques se mêlent étroitement. Les territoires qu’elle parcourt et qu’elle imagine à partir des récits familiaux, sont intimement liés à ses œuvres. L’invasion de l’Europe par mon père, composée de mille éléphants de cristal, retrace les multiples voyages hors de Roumanie de son père afin de faire commerce de ces petits objets. Impossible de ne pas penser à Hannibal franchissant les Alpes à dos d’éléphant pour marcher sur Rome face à ces photographies de grands formats, où chaque trace de pas dans la neige nous invite au voyage et à outrepasser les frontières ; le long des steppes infinies de la Mongolie, dans l’émerveillement permanent de ces lieux, réduits à l’état minéral.
Mirela Popa, née en 1975 à Sibiu en Transylvanie (Roumanie), est intégrée à l’équipe nationale de gymnastique. A quatorze ans, son corps abimé, elle y renonce. Elle rejoint la France et intègre l’école des beaux-arts de Dijon où elle développe un travail autour du corps crucifié, notamment en peinture. A partir de 1998, Mirela Popa s’attache aux binômes Est-ouest et passé- présent, à travers la photographie et l’installation et la performance. Inséparable de l’histoire récente de la Roumanie, son œuvre se présente comme une biographie, sélective et orientée. Mirela Popa vit et travaille à Paris. Dans cette oscillation, de cette hésitation entre deux lieux, deux histoires, elle construit son œuvre.
© Mirela Popa – Mer de glace, 2012 – Diptyque - Tirage argentique - 210 x 175 cm
Nomade et sédentaire
Des steppes de la Mongolie à la Mer de glace, l’exposition « Migration » que l’artiste Mirela Popa, présente à la galerie municipale de Vitry-sur-Seine, est un étonnant raccourci d’une série d’épopées qui n’ont cessé au cours des siècles de nourrir les imaginaires. Ces épopées sont résumées en une étonnante image métaphorique de l’invasion de l’Europe par les éléphants sous la forme de milliers de figurines en verre, figurines que l’on pourrait supposer excavées de très anciennes tombes puniques.
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L’exposition "Migration" est le reflet d’une réalité fictionnelle préexistante des traces de l’histoire, de sédimentations successives rendant visible, ce qui s’est dérobé à la vue mais qui a perduré dans un imaginaire associé aux récits les plus terrifiants et les plus fantastiques et pour reprendre une expression de Walter Benjamin, " d’un inconscient de la vue ".
Il semble que l’artiste ait été le témoin de ces grandes épopées d’où paradoxalement si peu de traces de l’humain perdurent à l’exception de ces villes improbables bâties au milieu de la steppe, anticipation d’une archéologie du futur.
Mirela Popa ne se livre pas à des représentations idéales, à des images idylliques de la relation de l’homme au monde qui l’environne mais elle réintroduit dans un processus autobiographique l’imaginaire qui a conduit l’homme à investir ces espaces. Les sillons neigeux à peine perceptibles, là ou Hannibal et ses compagnons sont supposés avoir approché le col du Clapier, symbolisent tout autant la vanité humaine que la transmission mémorielle de leurs exploits. L’intrusion de la modernité architecturale dans les steppes mongoles, métaphore des tensions millénaires entre sociétés sédentaires et nomades exclue cependant toute construction mythologique et poétique.
© Mirela Popa – Mer de glace, 2012 – Diptyque - Tirage argentique - 210 x 175 cm
Les propositions artistiques de Mirela Popa s’éloignent des paysages de convention ou des paysages pittoresques. Elles entretiennent des liens particuliers avec l’histoire et avec le temps. En ce sens ses paysages deviennent fiction renvoyant à l’imaginaire et au miroir de soi. Mirela Popa participe selon l’expression de Montaigne à une « artialisation du paysage » mais dans une relation particulière à la mémoire. La détestation des steppes, domaine des nomades, la détestation des univers minéraux et glacés des hauts sommets par les sociétés urbaines, ont marqué durablement l’histoire de l’humanité, les unes renvoyant aux fléaux de dieu, les autres symbolisant la malédiction divine et les souffrances infinies.
Cette omniprésence de l’histoire dans l’œuvre de l’artiste renvoie à la question du rapport entre tradition de la représentation selon des modèles de la peinture du XIXe siècle et la modernité de la photographie qui n’est pas sans similitude avec la photographie allemande. Elle contribue selon une méthode diachronique à un enchevêtrement des historicités et à la transformation des sociétés. Elle fait référence à des traces indiciaires, traces de pas dans la neige, chemins tracés dans la steppe, où les sens sont volontairement ou involontairement cachés.
William Saadé, 2012
in catalogue Migration Mirela Popa
© Mirela Popa – Ulaanbaatar, Mongolie 2010 - Tirage argentique couleur contrecollée sur aluminium – 100 x 120 cm
Photos et Vignette © Mirela Popa