© Robin Hammond, Panos Pictures, pour le Prix Carmignac Gestion du photojournalisme
Chapelle des Beaux-Arts de Paris 14 rue bonaparte 75006 Paris France
L’exposition à la chapelle de l’École des Beaux-arts de Paris
En 2011, le Prix Carmignac Gestion du photojournalisme exposait les tirages noir et blanc de Massimo Berruti, représentant le quotidien des Lashkars, en parfaite harmonie avec les moulages et les sculptures de l’ancienne église du couvent des Petits-Augustins, la chapelle des Beaux-arts, partie la plus ancienne de l’école.
En novembre 2012, le reportage en couleurs de Robin Hammond sur le Zimbabwe s’expose dans ce même lieu qui doit son origine à Marguerite de Valois (1553-1615), plus connue sous le nom de « Reine Margot ».
A nouvelle exposition, orientation différente. Les copies de chefs-d’œuvre de la peinture et de la sculpture de la Renaissance ponctuent la visite, s’inscrivant dans une scénographie où un lieu, des photographies et du son sont unis dans un seul mouvement. Le rythme des propositions d’accrochage des images de Robin Hammond associe portraits subtils, série de photographies prises de l’intérieur d’une voiture, évocations de la vie au quotidien axées sur l’économie du kukiya-kiya (en shona, langue bantoue du sud parlée par 75 % des habitants du Zimbabwe). Ce dernier se réfère à de multiples formes de « faire faire », ce qui signifie trouver des astuces pour survivre.
© Robin Hammond, Panos Pictures, pour le Prix Carmignac Gestion du photojournalisme
Certains observateurs ont évoqué la « normalisation de l’anormal », en soulignant que pour le gouvernement déclencher l’imprévu était devenu une véritable marque de fabrique: l’expropriation des terres avec l’atteinte à la dignité et la perte d’identité qu’elle implique, est symptomatique de la situation tout comme le désastreux système de santé.
Nathalie GALLON
© Robin Hammond, Panos Pictures, pour le Prix Carmignac Gestion du photojournalisme
Le reportage de Robin Hammond
« Le 18 avril de cette année, le Zimbabwe a célébré ses 32 ans d’indépendance. Un évènement normalement joyeux, mais dont en réalité peu de Zimbabwéens avaient de raisons de se
réjouir. La liberté promise 30 ans plus tôt ? Aujourd’hui une situation d’oppression. La démocratie pour laquelle les Noirs s’étaient battus jusqu’à la mort ? Une dictature. Et l’indépendance gagnée après 100 ans de colonialisme ? Une soumission face à un régime brutal.
Grâce au soutien du Prix Carmignac Gestion du photojournalisme, c’est ce bilan que je suis parti illustrer au Zimbabwe – 32 ans de violence dans un pays sur le déclin.
J’ai beaucoup voyagé pendant les mois passés là-bas. Je devais veiller à toujours conserver une longueur d’avance sur les informateurs, la police, les agents des renseignements et
les soi-disant vétérans de guerre aujourd’hui corrompus par le gouvernement Mugabe.
Les forces de l’ordre m’ont arrêté à deux reprises. J’ai passé 26 jours en prison, puis j’ai finalement été déporté et fiché comme « immigrant interdit ».
Mes échanges avec les autres prisonniers n’ont fait que confirmer ce que je pensais déjà des Zimbabwéens : ils sont véritablement l’un des peuples les plus amicaux du monde. Mais c’est au moment où la police m’a interrogé que j’ai compris pourquoi ce pays vit dans la terreur.
© Robin Hammond, Panos Pictures, pour le Prix Carmignac Gestion du photojournalisme
Avant de purger ma peine, j’appréhendais leur peur de manière très rationnelle, mais après, je l’ai ressentie sur le plan émotionnel.
La peur et la mort vont de pair au Zimbabwe. Dès le début de son mandat, le président Mugabe a refermé avec brutalité sa main de fer sur le pays. Avec l’opération gouvernementale
Gukurahundi, lancée dans les années 1980 pour balayer l’opposition et instaurer un État à parti unique, il a assassiné 20 000 Ndébélés.
Mais ce n’était qu’un début. Il a également commandité l’invasion et la destruction des fermes, et ainsi causé l’appauvrissement de millions de fermiers, la migration de 700 000
pauvres urbains, l’effondrement économique du pays, l’assassinat des partisans de l’opposition… et bien plus encore. Une litanie de crimes contre son propre peuple qui fait aujourd’hui souffler un vent de désespoir sur une population réduite en 2008 à l’espérance de vie la plus faible du monde.
J’ai rencontré des survivants de l’opération Gukurahundi et photographié des camps de torture en ruines où de nombreux Zim- babwéens ont trouvé la mort. L’ossature délabrée de serres qui cultivaient jadis des roses pour les fleuristes européens me rappelaient les cages thoraciques des mourants à qui j’ai rendu visite dans un établissement humanitaire de soins palliatifs dans la capitale Harare. Les zones industrielles et leurs usines silencieuses, témoins d’un passé bruyant, animé et productif, conféraient au lieu une atmosphère
fantomatique, renforcée par des milliers de voitures délabrées et leurs carcasses rouillées laissant difficilement imaginer leurs nombreux passagers d’autrefois. Et ces orphelins,
tellement nombreux, après la mort ou le départ en Afrique du Sud de leurs parents, restent à la charge de leurs grands-parents épuisés qui se rapprochent chaque jour un peu plus de l’heure fatidique.
© Robin Hammond, Panos Pictures, pour le Prix Carmignac Gestion du photojournalisme
Lorsque je commençais à les questionnersur ce qu’ils avaient enduré, le sourire sur le visage des Zimbabwéens s’effaçait. Leur accueil chaleureux se transformait en un murmure étouffé. Leur regard s’assombrissait et commençait à guetter les oreilles indiscrètes autour d’eux. Leur seul credo : toujours se méfier des informateurs, ne jamais faire confiance à personne.
À cause de cette peur ambiante, j’avais du mal à photographier ces victimes et leurs vies tragiques, et la censure des médias ne rendait que plus périlleux mon reportage sur les
conséquences du régime.
J’ai sillonné des milliers de kilomètres au Zimbabwe. Compte tenu de la conjecture précaire, j’étais souvent contraint de prendre mes photos depuis la voiture. Mais de cette expérience est née une série de clichés mettant en exergue ce magnifique pays luxuriant et sa tragédie – un jardin d’Eden devenu véritable enfer pour la majorité de son peuple, entouré de terres fertiles et merveilleuses mais pourtant affamé.
D’autres facteurs ont également influencé mon reportage sur le terrain. Je voulais capturer l’essence de ce passé violent, de ces évènements qui en grande partie n’ont laissé aucune séquelle physique. J’ai décidé de retracer toutes ces atrocités en images au travers des voix de leurs survivants. J’ai réalisé une série de portraits de Zimbabwéens, qui ont choisi de sortir de l’ombre dans une tentative désespérée pour rompre le silence dans lequel on les a emmurés.
Cinq mois dans le pays, des milliers de kilomètres parcourus et des centaines de personnes rencontrées m’ont permis de mieux comprendre la problématique de ce magnifique pays plein de contradictions et de souffrance.
© Robin Hammond, Panos Pictures, pour le Prix Carmignac Gestion du photojournalisme
Mis à part la mort de nombreux innocents, la plus grande perte du Zimbabwe, un pays rongé par la terreur, est sa liberté. Avant la fin du gouvernement blanc, de nombreux Zimbabwéens étaient déjà morts pour leur liberté, et leur combat continue encore aujourd’hui. À différence que les victimes d’aujourd’hui ne seront pas commémorées dans des chansons ou sur des monuments. La voix des Zimbabwéens a été étouffée de force, et les valeureux qui tomberont des mains de leurs oppresseurs pour défendre leur liberté mourront en silence et disparaîtront à jamais de l’histoire.
« Auprès des générations à venir, leur souffrance et leurs blessures collectives seront passées sous silence. »*
* référence au poème de Chenjerai Hove “A Poem for Zimbabwe”.
Photos et Vignette © Robin Hammon