© Affiche Exposition
Musée suisse de l'appareil photographique Grande Place, 99 CH-1800 Vevey Suisse
Pourquoi cette exposition ?
En 2009, Peter Olpe, designer et graphiste, homme d’images aux multiples facettes, arrivait au terme de sa carrière d’enseignant et de directeur adjoint de la Schule für Gestaltung de Bâle. Souhaitant réorienter ses activités professionnelles, il cherchait un lieu idoine et a sollicité notre institution pour y déposer le fruit de ses nombreux travaux autour de la photographie au sténopé: une collection de 90 appareils qu’il a conçus et fabriqués au gré de ses expériences.
L’appareil à sténopé où l’objectif est remplacé par un trou minuscule n’est pas ici un objet industriel mais une pure création en totale osmose avec les images qu’il produit. Ces boîtes, véritables modèles réduits d’architecture, parfois équipées de plusieurs sténopés tel un bâtiment aux multiples fenêtres conservent la trace de la lumière au sein des espaces ainsi créés. Chaque boîte est conçue pour une intention bien précise, voire pour la lumière d’un lieu choisi.
Le projet d’une exposition accompagnée d’une publication au moment du don de cet ensemble prit aussitôt corps. Elargissant le propos, Peter Olpe a confié ses boîtes à capter la lumière à divers artistes photographes qui nous livrent chacun les fruits de cette rencontre. Ils sont plus d’une trentaine à avoir relevé ce défi… Leurs travaux sont visibles dans l’exposition sous forme d’une projection.
Le Musée suisse de l’appareil photographique dont la vocation première est de présenter l’outil du photographe, mais aussi son utilisateur et les images que produit ce couple homme et machine, se réjouit tout particulièrement de faire découvrir à son public l’extraordinaire travail de Peter Olpe, ensemble d’une esthétique et d’une cohérence remarquables qui occupe une place bien particulière dans le paysage photographique suisse, et qui n’a que rarement été montré en Suisse romande.
Qu’est-ce que le sténopé ?
La formation de l’image du paysage extérieur au travers d’un petit trou – le sténopé - dans une chambre obscure est un phénomène connu bien avant notre ère; Aristote, philosophe grec du IVe siècle avant J.-C., le constatait sans toutefois l’expliquer.
Il faut attendre les IXe et Xe siècles pour à nouveau entendre parler des effets du sténopé; dès le XIe siècle, astronomes et opticiens décrivent l’usage qu’ils font de la camera obscura.
C’est au XVe siècle que Léonard de Vinci explique le phénomène de manière rationnelle, en voici sa définition :
«Lorsque les images des objets éclairés pénètrent par un petit trou dans un appartement très obscur, recevez ces images dans l’intérieur de l’appartement sur un papier blanc situé à quelque distance du trou: vous verrez sur le papier tous les objets avec leurs propres formes et couleurs. Ils seront diminués de grandeur; ils se présenteront dans une situation renversée, et cela en vertu de l’intersection des rayons. Si les images viennent d’un endroit éclairé par le soleil, elles vous paraîtront comme peintes sur le papier, qui doit être très mince et vu par derrière. Le trou sera pratiqué dans une plaque de fer aussi très mince.»
La vision particulière, due à une image nette de bout en bout, que produit le sténopé, et son utilisation fort simple ont bien sûr donné rapidement envie aux photographes de se servir d’appareils où l’objectif est remplacé par ce fameux petit trou.
Un appareil photographique à sténopé se présente sous la forme d’une boîte dont l’une des faces est percée du fameux petit trou. La première formule pour déterminer son diamètre fut énoncée par l’autrichien Joseph Pretzal en 1857. La profondeur de champ quasi infinie due à l’absence de lentille, alliée à un temps de pose long permettent de réaliser d’étonnantes prises de vue…
L'image inversée qui se forme sur la surface opposée au trou peut se capturer sur un support photosensible comme du papier photographique. Du fait qu’une bonne définition de l’image nécessite un trou le plus petit possible et des plus précis, seule une petite quantité de lumière est admise dans la chambre noire par ce procédé. Il fallut donc attendre que plaques et films deviennent suffisamment sensibles pour voir apparaître ce type de photographie.
La photographie au sténopé continue de fasciner les photographes d’aujourd’hui, preuve en sont les travaux de Peter Olpe et les images étonnantes qu’il a suscitées…
Fabriquer un sténopé est fort simple, l’utiliser est fascinant! On peut réaliser une photo avec un appareil fabriqué dans un simple carton – bien étanche à la lumière - équipé de film ou de papier photographique qui donnera un négatif dont on peut tirer ensuite une image positive. Autre appareil à sténopé qui a fait ses preuves : la boîte de conserve ! De par sa forme cylindrique, le sténopé-boîte de conserve offre une image à la perspective particulière fort intéressante.
© Christian Vogt
Qui est Peter Olpe ?
Peter Olpe est un homme d’images au sens large du terme : sa formation de designer et de graphiste le mène à l’enseignement, mais aussi à la recherche et à la création : très tôt fasciné par toutes les formes de jouets optiques, il allie créativité et rigueur pour régulièrement publier le fruit de ses travaux pour le plus grand bonheur des passionnés de cette forme d’images. Il manie également le crayon et la plume avec un talent non moins certain...
Naissance à Zurich en 1949, dessinateur depuis l’enfance
Etudie à la Schule für Gestaltung de Bâle de 1966 à 1970. Formation de graphiste, entre autres chez Armin Hofmann. Ses premiers contacts avec la photographie datent de cette époque
Exerce comme graphiste dès 1970 : conception de publications et d’affiches
Enseigne dans cette Ecole dès 1972 : dessin, photographie, film d’animation et design graphique dans le cadre des cours de base
Membre de la direction du département graphisme et design dès 1990
Responsable de la formation continue en graphisme de 1990 à 1999
Dirige la formation de base dès 2001
Nommé directeur adjoint de la Schule für Gestaltung jusqu’en 2009
Professeur invité à la Rhode Island School of Design (USA), à la Universidad Anahuac, Mexico et à la Ohio University/Athens (USA).
Explore la photographie au sténopé dès 1978. Il conçoit et fabrique lui-même ses appareils. Il a réalisé de nombreuses expositions et publications autour de ce thème.
Dès 1983, conception et édition d’appareils à sténopé de divers formats à monter soi-même, ainsi que de jouets optiques. Ces objets ont été vendus à des milliers d’exemplaires dans les musées, boutiques de design et commerces spécialisés tant en Europe qu’aux USA et au Japon.
Dès 2009, bureau consacré à des projets visuels.
Peter Olpe évoque sa relation au sténopé
« La fascination pour les images est comme un courant électrique dans les méandres de ma perception. Je suis curieux de savoir comment sont réalisées leur forme et leur matérialité. Le contenu ne m’intéresse qu’accessoirement. Je dois toujours m’en approcher, pouvoir distinguer leur surface, les traces des outils ; même celles laissées par le tout petit pinceau. (…)
Contrairement à de nombreuses personnes de mon âge, je n’ai pas abandonné le dessin à l’adolescence, bien que j’aie eu une distance critique suffisante par rapport à mes travaux pour remarquer que je ne pouvais pas représenter la perspective de façon aussi renversante que les anciens maîtres ou les experts contemporains de la bande dessinée. (…).Pour les besoins de la représentation de l’espace, j’ai découvert au cours de ma formation professionnelle la photographie – elle réglait cet aspect d’elle-même. La photographie est devenue ma seconde passion. (…)
L’ « intérêt lié au dessin » appliqué à la photographie détournait mon attention vers ce qui se passe dans l’appareil : vers l’instant où la lumière exerce une action sur le plan de projection ; semblable au moment où la pointe du crayon glisse sur le grain du papier. Cela m’a incité à attacher plus d’importance à la construction de l’appareil et au processus de formation de l’image qu’à ce qui est devant elle et qui pourrait être représenté. Après quelques tentatives avec de simples lentilles convergentes pour remplacer l’objectif, j’ai trouvé avec le sténopé l’appareil idéal. (…)
J’ai tenu entre les mains mon premier sténopé personnel au début des années 1960 dans l’escalier menant au jardin de la maison de mes parents. M. Schmutz, mon professeur à l’école secondaire pour garçons de Bâle – il sera plus loin à nouveau question de lui –, nous a expliqué comment construire une camera obscura à partir d’une boîte à chaussures et d’un morceau de papier de soie. Au début, je ne voyais rien, fixai le papier calque avant de reconnaître soudain les silhouettes des arbres qui se dessinaient sur le ciel clair. Les arbres allaient et venaient sur le papier de soie car je tenais la boîte sans les mains devant mon visage. Ma curiosité était éveillée. (…)
Mes premiers orifices de prise de vue étaient réalisés de façon instinctive, avec la pointe d’un compas, la durée d’exposition était grossièrement évaluée et imparfaitement contrôlée car elle dépendait de nombreux facteurs que je ne connaissais pas, par exemple la sensibilité à la lumière du papier photographique, la quantité de lumière sur l’objet photographié et la dimension de l’ouverture. Les photographies étaient par contre passionnantes et belles. J’aimais tout particulièrement celles qui étaient sous-exposées avec leur dessin léger et leurs contours fins. La lumière n’avait pas fait une gravure dans la couche, mais l’avait seulement effleurée et laissé qu’une fine trace. (…)
Construire un appareil me met dans un état paradisiaque. J’en suis conscient, j’« invente » quelque chose qui a déjà été inventé des milliers de fois, et pourtant, chaque nouvel appareil sorti de mes mains est un petit voyage d’exploration, tout comme un nouveau dessin auquel je m’attaque. La joie du bricoleur est alors à son comble. Le bricoleur est un peu comme un ermite dans sa grotte ; il est accroupi dans son atelier et ne touche que ce qui se trouve dans son champ de vision et à portée de main. À ce moment-là, il n’a pas connaissance des choses situées à l’extérieur. (…)
Nous avons régulièrement voyagé. Les sténopés pour pellicule en bobine m’accompagnaient et j’en construisais souvent spécialement pour un nouveau voyage ; un format particulier par exemple ou bien un angle de vue. Je dessinais aussi en parallèle pendant les vacances. Les phases alternaient, la photographie ou le dessin prenant à tour de rôle l’avantage, mais ces occupations sont comparables car l’intuition et le hasard jouent dans les deux cas un rôle essentiel. (…)
Mon premier appareil photographique de vacances, que j’ai emporté au lac Majeur en 1978, était équipé d’une pellicule 24 × 36. Il ne fonctionne qu’entre mes mains et la moindre prise de vue est autant un défi logistique qu’un combat avec le transport du film. Mais l’image prise dans le port de Luino avec les bateaux sur l’eau a servi d’étincelle initiale: je me suis enflammé pour la photographie de voyage au sténopé. (…)
Chaque appareil est une création originale. Je les fabrique pas à pas de l’intérieur vers l’extérieur selon le principe de Matriochka – comme une poupée russe que l’on ouvre et dans laquelle on découvre une autre semblable, mais plus petite ; si l’on ouvre celle-ci, on trouve une troisième plus petite et ainsi de suite. Mes appareils sont également construits en couches, plusieurs boîtes qui s’emboîtent étroitement. Je peux ainsi obtenir d’une part l’étanchéité à la lumière et, d’autre part, une sorte de carapace nécessaire en voyage. (…)
Le point de départ de chaque nouvel appareil à sténopé est un dessin technique qui indique les principales dimensions en plan et en élévation et qui m’aide, au cours de la construction, à ne pas perdre des yeux le cheminement de la lumière depuis l’orifice jusqu’au film. Dans le même temps, la forme et l’apparence extérieure de l’appareil sont souvent l’aboutissement d’idées spontanées.»
Esztergom © Peter Olpe
Une exposition en deux volets
La collection d’appareils à sténopé
Un premier espace est consacré à l’exposition de la collection d’appareils à sténopé, objets du don de Peter Olpe. Une longue vitrine se développant tout autour de l’espace d’exposition présente la majeure partie de ces merveilleuses boîtes à lumière, à hauteur d’œil, de manière à pouvoir apprécier toute la finesse des détails de construction et la décoration dont Peter Olpe a agrémenté certains modèles.
Le principe de la photographie à sténopé, des documents d’étude (esquisses, plans…) montrant la manière de travailler de l’auteur, ainsi que des images prises avec tel ou tel appareil accompagnent cet te présentation.
L’ensemble d’appareils à sténopé que Peter Olpe offre au Musée suisse de l’appareil photographique représente un total d’environ 90 objets, produits entre 1978 et 2011 :
moyen format, 6x6 ou 6x9 cm, 1997 – 2001
appareils pour film 135, 1978
appareils pour film 120 (6x4 à 6x18 cm), 1980 – 2011
appareils pour film 120, « manipulés », 1995 – 2000
appareils pour film fabriqués par des élèves de la Schule für Gestaltung dans les années 1980
appareils pour plan-film fabriqués par des élèves de la Schule für Gestaltung, 1980 - 2000
Points de vue
Cette section de l’exposition présente sous forme de projections l’ensemble des travaux des artistes photographes sollicités par Peter Olpe, qui ont relevé le défi de la photographie au sténopé.
Pour la majorité d’entre eux, ce fut l’occasion d’explorer un nouvel outil souvent imprévisible, extraordinairement ludique, éminemment créatif de par la simplicité de son usage, véritable retour aux sources …
Peter Olpe a pris contact avec divers artistes photographes de Suisse et d’ailleurs et leur a proposé le marché suivant : ils recevaient de sa part un appareil à sténopé et s’engageaient à lui remettre un ensemble d’images faites avec celui-ci. Ces «points de vue» sont présentés dans l’exposition sous forme de projection et publiés dans le catalogue qui l’accompagne. A titre de remerciement, l’appareil leur a été offert…
Ils sont plus d’une trentaine à avoir joué le jeu et le résultat est saisissant …
Hirofume Abe, Japon
Bruno Aeberli, Suisse
Georg Aerni, Suisse
Thomas Bachler, Allemagne
Laurence Bonvin, Suisse
Rownak Bose, Suisse
Patricia Cue, Mexique / USA
Aïm Deüelle Lüski, Israël
Marianne Engel, Suisse
Ruth Erdt, Suisse / Pays-Bas
Bethany de Forest, Pays-Bas
Jim Goldberg, USA
Andrea Good, Suisse
Shi Guorui, Chine
Volkmar Herre, Allemagne
Clemens Klopfenstein, Suisse / Italie
Peter Knapp, Suisse / France
Cyril Kobler, Suisse
Herlinde Koelbl, Allemagne
Tobias Madörin, Suisse
Ryuji Miyamoto, Japon
Werner von Mutzenbecher, Suisse
Taiyo Onorato / Nico Krebs, Suisse
Marja Pirilä, Finlande
Marc Räder, Allemagne
Eric Renner / Nancy Spencer, USA
Alex Silber, Suisse
Alec Soth, USA
Jürg Stäuble, Suisse
Joël Tettamanti, Suisse
Oliviero Toscani, Italie
Antonio Turok, Mexique
Gregory Vines, Suisse
Christian Vogt, Suisse
Franz Werner, Suisse / USA
Renatus Zürcher, Suisse
Niki Zurek, Allemagne / USA
Quelques photographes nous livrent leurs impressions après avoir expérimenté le sténopé :
Hirofume Abe :
« Je confie à cet appareil suisse le soin d'observer de petits détails dans mon espace vital tokyoïte immédiat. Sa façon de fixer directement des images à l’aide d'un petit orifice est unique et particulière car les choses sont souvent déformées et floues sur les images qu’il génère. Parfois, tout devient presque incontrôlable, mais c'est alors que j'éprouve vraiment du plaisir avec mon appareil. »
Thomas Bachler :
« J'aime ces pauses brèves : le regard furtif sur le motif directement à travers l'appareil photographique – ainsi, on ne perd pas de temps. Flâner comme un touriste à travers sa propre vie, laisser l'appareil prendre les photos et, en triant les photos le soir, profiter des souvenirs fugitifs un verre de rosé à la main... des moments inoubliables. »
Rownak Bose :
« Un appareil photographique sur mesure – quel luxe ! Avec l'appareil de Peter, je suis soudain devenu plus flexible et en plus, grâce aux discussions, bien plus inspiré par la conception de cet appareil. Le travail au sténopé m'apporte une grande satisfaction car, malgré tous les préparatifs et les calculs, on obtient toujours une image surprenante. Le hasard est pour moi un partenaire essentiel qui influence un détail de l'image ou qui m'offre au bon moment, grâce à Peter Olpe, un appareil. »
Volkmar Herre :
« Depuis longtemps, la contemplation de la nature m'inspire et m'invite à célébrer d'une manière esthétique, avec la camera obscura, des processus d'images. Sur l'île familière de Rügen dans la Baltique, des images complexes, ambigües et souvent mystérieuses se forment au niveau de la mer, des falaises crayeuses, des pierres et des arbres. De par la transformation opérée par le temps, tout est pénétré de silence. Un guide pour trouver le silence en soi. »
Clemens Klopfenstein:
« Par chance, Peter m'a envoyé cette petite boîte avec le trou ! Il écrit que je dois photographier avec elle. Cela me sort aussitôt de la déprime. Je n'ai encore jamais travaillé avec une telle chose: découpé dans du carton, recouvert de lin, un petit trou et basta. Pas d'inventeur ! On devrait ressentir soi-même l'œil de la petite boîte. L'œil ? – ce n’est qu'un TROU. Et le trou fait une image carrée. Après presque soixante ans, VOIR EN CARRE !!! Je suis électrisé : après tous les Pentax, Nikon, Bolex, Eclair, Arris, la petite boîte sans nom m'impose le carré. (…)
La petite boîte demande de la lumière en criant ! Elle veut beaucoup, beaucoup de lumière ; au mieux du soleil éblouissant. Sur la notice il est écrit : « un temps d'exposition d'une seconde ». Cela n'est pas exact – chez nous, la petite boîte avale trente secondes de soleil dehors, l'aspire à l'intérieur et se goinfre pendant deux longues minutes à la chétive lumière artificielle. Nous restons tous tranquilles, sacrifions à la petite boîte deuxminutes de vie figée. (…)
Puis enfin les tirages : toutes les images avec une netteté atténuée, comme peintes, telle une image et non une photographie transparente comme du verre. Un flou tendre, permanent, depuis tout près jusqu'à très loin, pastellisé de façon homogène. A la manière de Bonnard, de Seurat. Réparti de façon impressionniste, démocratique, une grandezza galante tissée sur toute l'image.
C'est quelque chose de tout à fait nouveau. Je suis sauvé – et remets le couvercle dessus. »
Peter Knapp:
« Mes fenêtres sont mes « appareils à sténopé » (…) J'étais très fier de mon idée de placer le sténopé – 6 × 12 cm chargé avec un film à grain extrêmement fin – devant mes trous. Une preuve que mes fenêtres sont des découpes.
Peter Olpe estimait que je ne m'étais pas vraiment donné beaucoup de peine !
J'ai donc fait une autre tentative sur une idée qui n'en était en réalité pas une : nature morte. Puisque le sténopé ne présente pas de problème de profondeur de champ, je posai des objets qui traînaient dans l'atelier 10 à 15 centimètres devant l'appareil photo 6 × 6 chargé avec un film négatif Fuji. Les prises de vue n'ont rien de particulier, mais la netteté est surprenante. Je ne peux vraiment rien pour la précision ! C'est plutôt : « Bravo Peter Olpe » qui a créé le bon trou pour la distance focale donnée. (…)
Personnellement, j'aime plutôt l'imparfait, le hasard, l'expérimentation. Je me décide donc pour une double exposition des arbres. Avec le sténopé, on ne sait jamais vraiment ce que l'on fait. Encore moins avec un changement de lieu entre deux expositions – et le va et vient de la petite plaque noire (déclencheur). J'étais sûr d'une chose : sur les douze images du film, je n'obtiendrai que trois surimpressions. Le résultat n'est pas surprenant ; tout juste mystérieux dans le meilleur des cas. (…) »
Gregory Vines :
« La camera obscura – bien plus qu'une maison pleine de lumière. Lorsque William Henry Fox Talbot publia 24 photographies dans The Pencil of Nature, il annonça fièrement qu'elles avaient été réalisées sans la moindre aide d'un artiste. Au fil des années et des décennies, la photographie est devenue une industrie jouant un rôle social et politique. En effet, la première annonce publicitaire utilisant une photographie remonte à 1843 ! Contrairement à Talbot, je pense que la photographie au sténopé est l'activité qui est la plus étroitement liée au dessin. – Pourquoi ? « Dessiner » avec un sténopé est un acte d'observation, non de focalisation ; de saisie et non de tirage ; de recueil et non de constat. Étant donné que l'observation établit une relation entre l'observateur et l'objet observé, la photographie au sténopé s'oppose à la réalisation d'instantanés et à la vision du monde à travers un écran. Frederick Franck (The Zen of Seeing, Alfred A. Knopf, 1973 , chirurgien maxillo-facial et artiste, écrit : « J'ai appris que je n'ai jamais vraiment vu ce que je n'ai pas dessiné. » Le dessin et la photographie au sténopé tournent autour de l'intimité de la fabrication des images. C'est ce que révèle clairement la méthode de photographie au sténopé – en commençant par la construction de l'appareil, le « carnet de croquis ». La mise en place du film devient un rituel précédant l'acte. Les préparatifs pour l'exposition du film sensible à la lumière correspondent au début du processus de dessin. Étant donné qu'il n'y a aucun viseur au travers duquel regarder, on est plus conscient de ce que l'on « dessine ». On développe une conscience de l'environnement et les yeux, les pensées et les instincts se focalisent là autour. On accorde plus d'attention au lieu et aussi – naturellement – à l'emplacement précis de l'appareil. On réfléchit sur les ombres et la lumière, on calcule le temps d'exposition et (quand on fait comme moi) on compte les secondes à voix haute. Cela ne correspond pas à la méthode de la photographie digitale où l'on tient l'appareil photo à longueur de bras et où l'on se contente d'appuyer. Au contraire, l'utilisation d'un appareil photographique reflex muni d’un objectif constitue même un acte discret d'espionnage ! La photographie au sténopé peut devenir un événement très public – rien à voir avec un instantané rapidement fait et suivi d'une retraite en secret. On éveille d'ailleurs souvent l'intérêt des passants.
L'autre aspect de l'« acte de dessiner » est l'image elle-même. C'est là que l'on trouve la douceur incomparable qui appelle de nombreuses associations. L'aura de la lumière qui perd en intensité vers les marges de l'image est une référence aux formes archétypales des illustrations photographiques. La simple perspective géométrique assure une profondeur de champ sans limites avec une répartition homogène de la netteté. Tels sont quelques- uns des résultats artistiques que les caractéristiques structurelles d'un appareil à sténopé peut donner. Ce sont ces propriétés qui me font voir la photographie au sténopé comme une sorte de processus graphique. Justement pas une photo sur papier brillant qui cherche à impressionner par sa perfection, mais une photo faite avec de la lumière, par la main de l'homme et qui nous remplit de sa chaleur. »
Lochkamera © Peter Olpe
Le catalogue de l’exposition
Peter Olpe a souhaité pérenniser l’exposition ainsi que l’ensemble de son travail sur la photographie au sténopé par un catalogue très complet publié par Verlag Niggli AG, maison spécialisée dans l’édition de livres d’art et d’architecture.
Cet ouvrage est cosigné par divers spécialistes auxquels Peter Olpe a souhaité donner la parole. Les textes sont publiés dans leur langue d’origine et accompagnés de traductions (allemand / français / anglais).
Il s’articule autour de 3 grands chapitres :
Points de vue
Les 37 artistes photographes invités disposent chacun de plusieurs doubles pages : y sont présentés une brève biographie, l’appareil à sténopé qu’ils ont reçu et un choix d’images représentatives de leur travail.
Atelier
Ce chapitre est consacré aux travaux de Peter Olpe. Il y explique sa démarche et présente divers volets de son travail :
- Dessin et photographie
- Images de voyages
- Projets divers
- Clients
- Enseignement à la Schule für Gestaltung de Bâle
- Appareils (croquis, plans et photographies)
Corpus des appareils
L’ensemble d’appareils à sténopé que Peter Olpe offre au Musée représente un total d’environ 90 objets, produits entre 1978 et 2010.
- Présentation d’une série d’appareils très particuliers, pour le moyen et le grand format, voire le format panoramique
- Appareils pour le film 135
- Appareils pour le film 120
Avec illustrations et descriptifs techniques
Peter Olpe, Out of Focus – La photographie au sténopé et les appareils à sténopé, Catalogue de l’exposition au Musée suisse de l’appareil photographique, Vevey, 2012
Brève bibliographie
Peter Olpe, Expériences avec des jouets optiques, Modèles d’éducation, TM Communication 21, 1987
Die Lochkameras von Peter Olpe, catalogue d’une exposition au Labyrinth, Bâle, 1992
Peter Olpe, Zeichnen und Entwerfen / Drawing as Design Process (cours de dessin à la Schule für Gestaltung de Bâle), Niggli Verlag, 1997
Peter Olpe, Die Lochkamera, Funktion und Selbstbau, Stuttgart, 1998
Peter Olpe et all., Loch statt Linse. Die Camera obscura in der aktuellen Schweizer Kunst, Kunsthaus Langenthal, 2003
Contribution à l’ouvrage de Eric Renner, Pinhole Photography, Rediscovering a Historic Technique, USA, 2000