Ruby Tuesday, digital C-print, 50 x 60 inches, 2011 © RICHARD MOssE
Centre culturel irlandais 5, rue des Irlandais 75005 Paris France
Mois de la photo 2012 Maison européenne de la Photographie 5/7 rue de Fourcy 75004 Paris France
On dit que Napoléon était daltonien et que le sang, pour lui, était aussi vert que l’herbe. Extrait d’« Unrecounted » de W.G. Sebald
Depuis des siècles, le Congo défie et s’impose face à l’imaginaire occidental. Photographe irlandais de renommée internationale, Richard Mosse saisit le conflit qui y règne actuellement en s’appropriant le Kodak Aerochrome, un type de film infrarouge couleur employé autrefois pour la surveillance militaire. Initialement développé pour la détection du camouflage, ce film de reconnaissance aérienne enregistre un spectre invisible de lumière infrarouge, transformant le vert du paysage en de vives teintes de couleur, lavande, pourpre et fuchsia.
Le film infrarouge a également trouvé des applications civiles auprès des cartographes, agronomes, hydrologues, archéologues, révélant les subtils changements du paysage. A la fin des années 60, cette technique a été utilisée pour illustrer les pochettes d’albums de musiciens rock tels Jimi Hendrix ou les Grateful Dead, entrant peu à peu dans l’imaginaire populaire comme une palette d’expériences psychédéliques (du grec psyché – âme et dēloûn - visible ou manifestation de l’âme) pour devenir finalement associé à une esthétique kitsch.
The Blue Mask, Lake Kivu, Eastern Congo, digital C-print, 48 x 60 inches, 201 © Richard Mosse
Au cours de ses voyages dans l’est du Congo, Mosse a photographié des groupes de rebelles qui changent constamment d’allégeance, bataillant de façon nomade dans une jungle guerrière où les embuscades et les massacres sont fréquents et les violences sexuelles systématiques. Ces faits tragiques ont un besoin urgent d’être racontés mais ne sont pas faciles à décrire. Comme Joseph Conrad un siècle avant lui, Mosse a découvert une situation de conflit ineffable des plus perturbantes, d’une réalité tellement criante qu’elle confine à l’abstrait, à la limite de l’indicible.
Dans son extraordinaire série d’essais sur l’Afrique, L’Ombre du Soleil, Ryszard Kapuscinski nous rappelle que « la richesse de toutes les langues européennes réside dans leur capacité à décrire leur propre culture, à représenter leur propre monde. Quand ces langues s’aventurent à faire de même à propos d’une autre culture, elles montrent leurs limites, leurs manques et une faiblesse sémantique ».
Cette exposition Infra propose une façon radicalement différente de représenter un conflit aussi complexe et insoluble que celui de cette guerre sans fin au Congo. Le résultat en est un grossissement fiévreux du reportage traditionnel, une mise en exergue d’une tension entre art, fiction et photojournalisme. Infra entame un dialogue avec la photographie qui commence telle une méditation sur le documentaire en tant que genre, mais s’achève comme une obsédante élégie à cette terre ravissante mais ravagée.
Le catalogue Infra, photographs by Richard Mosse a récemment été publié par la Fondation Aperture et le Pulitzer Center on Crisis Reporting, avec une préface d’Adam Hochschild.
Colonel Soleils Boys, North Kivu, Eastern Congo, digital C-print, 2010 © Richard Mosse