Qui ne s’est pas fait photographier par Seydou Keïta n’a pas été bien photographié. Voilà, selon le photographe,
ce que disaient de son travail les habitants de Bamako. Le grand portraitiste malien, mort en 2001, avait raconté sa vie à André Magnin et un texte tiré de leurs entretiens précède les photos dans ce livre magnifique.
Seydou Keïta, qui n’a jamais appris la photographie, essaie dès l’âge de 14 ans un Kodak Brownie Flash offert par son oncle. Devenu professionnel, il choisira une chambre 13 x 18. Si ses premiers portraits sont plutôt tremblés –il se souvient d’avoir été battu par un mécontent–, il acquiert très vite une maîtrise exceptionnelle.
Son studio, ouvert en 1948 au centre de Bamako, se trouve en face de la prison, près de la gare. Au début, il envoie ses assistants à l’arrivée des trains racoler des clients, mais bientôt les gens se passent le mot: Seydou Keïta a le talent de toujours révéler la beauté, la majesté ou la grâce. “J’ai voulu donner de mes clients la meilleure image possible”, expliquait-il. Et de souligner: “A l’arrivée, la photo était très belle. C’est pourquoi je dis que la photographie est un art.”
Désormais, le samedi, on fait la queue à sa porte. Sur les murs du studio sont accrochés des portraits qui servent d’exemple pour choisir la pose, toujours travaillée, et le cadrage: debout, assis, en pied, en buste, de trois quarts. On peut apporter ou emprunter des accessoires –fleurs, costume, cravate, collier, vélo... L’artiste travaille à la lumière naturelle et ne réalise qu’une seule prise. Au départ, il utilise comme fond son couvre-lit à franges. Ensuite, le tissu change, orné de petites fleurs en 1955, de feuilles en 1956, puis d’arabesques, ou encore uni: le décor permettra de dater les images.
Nommé photographe officiel du Mali en 1962, le portraitiste ferme boutique. Au-delà de l’Afrique de l’Ouest, son œuvre remarquable reste ignorée. Jusqu’en 1991. Cette année-là, Françoise Huguier, qui anime un workshop à Bamako sur l’architecture coloniale, découvre Keïta et plonge dans ses archives. Alors, tout s’enchaîne: 1993, première exposition en France à l’initiative de Louis Mesplé; soirée aux Rencontres photographiques d’Arles; et, en 1994, présentation à la première Biennale internationale de la photo de Bamako que crée Françoise Huguier. En 1994 toujours, le Malien est exposé à la Fondation Cartier. Il sera, en 1995, le premier Africain à entrer, au numéro 63, dans la collection Photo Poche. Son nom, ses images font enfin le tour du monde. Le grand livre (27,5 cm x 37,5 cm) aux 400 photos rend aujourd’hui un vibrant hommage au père de la photographie africaine.
“Seydou Keïta. Photographs, Bamako, Mali 1948-1963”, éd. Steidldangin, 412 p., 98 euros.