© Bertrand Meunier
« Né en 1965, Bertrand Meunier photographie l'humain dans ses confrontations quotidiennes. Elles peuvent être personnelles : ainsi « L'Homme Eloigné » dit sur cinq ans la proche disparition d'un père. Elles peuvent être universelles, comme dans « Hub Side Down » où Bertrand révèle cette folie de la ville globale dans laquelle il voit les individus uniformément cohabiter. Parallèlement, c'est en saisissant sur plusieurs années une France méconnue qu'il révèle celle, discrète, avec ses villes anonymes, ses industries que l'on croyait éteintes et ses humains qui ont tant à dire ».
Pour son exposition « Je suis d'ici », Bertrand Meunier a choisi de se pencher sur la France car de nombreux questionnements l'obsèdent « comme l'aménagement, du territoire, la défiguration de nos campagnes par les zones pavillonnaires (…), les travailleurs les plus vulnérables, ceux dont on ne parle jamais ». Le photographe a passé une grande partie de sa vie à l'étranger (Chine, Pakistan, Afghanistan, etc.) avant de décider, il y a deux ans, de se consacrer à son pays d'origine « afin de voir ce qui s'y passait » et de découvrir le mode de vie des populations périurbaines. Il explique qu'il n'a pas choisi les lieux au hasard. En effet, il s'est installé dans le périurbain des petites villes moyennes et a commencé à interroger ses habitants afin d'en apprendre plus sur le monde ouvrier. Il prend l'exemple de Mulhouse ou de Virson car « Mulhouse a été pour moi comme un grand résumé de ce qui se passe actuellement en France : désertification d'un centre ville, agrandissement de la banlieue mulhousienne, des kilomètres et des kilomètres de pavillons à l'extérieur de Mulhouse, problèmes d'immigration ». Cette désertification pose problème aux habitants sur le plan du travail et du lien social. En effet, de nombreuses personnes souhaitent s'installer à la campagne pour la tranquillité, avoir leur propre pavillon, mais aussi parce qu'ils n'ont pas les moyens de se payer un logement en ville. Or, vivre à la campagne rime avec isolement. Les gens doivent parcourir de longues distances afin de se rendre sur leur lieu de travail et la hausse des prix du carburant n'arrange en rien la situation. Puis vient le problème des enfants qu'on ne voit jamais lorsqu'ils sont collégiens ou lycéens car ils ne peuvent être que pensionnaires. Bertrand Meunier ajoute « qu'on a peut être tous rêvé d'aller habiter en Province au calme avec les petits oiseaux, mais quand vous voyez le quotidien que vivent ces gens, ils passent la moitié de leur temps en voiture (…), ils n'ont pas un moment de répit (…) et au lieu de rouler à 90 ils roulent à 110 parce qu'à l'aller ça leur fait gagner 10 min et au retour 10 min, donc c'est 20 min de gagnées ».
© Bertrand Meunier
Lorsqu'on lui demande si ces gens souffrent, Bertrand Meunier affirme que oui. Dans les Hautes Landes, « un milieu qui vote PS », il y a beaucoup d'usines sur le plastique ou le recyclage du bois mais ces dernières rencontrent des problèmes et procèdent donc à de nombreux licenciements donc « ce sont des gens qui vivent avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête ». Nombreux sont ceux qui perdent le travail et doivent parcourir des kilomètres pour en retrouver un qu'ils ne sont pas sûrs de garder.
Cette France dont on ne parle jamais fascine le photographe, il le dit lui-même : « moi je suis touché par ces gens-là, c'est une sorte de fierté, on ne parle jamais d'eux ». Mais ces personnes communiquent-elles entre elles ? Oui, lors des fêtes du village par exemple comme « l'Eté Dansant ». « Oui, il y a un lien social, oui ces gens-là ne vivent pas enfermés complètement chez eux, les ouvriers ont des relations entre eux, surtout ceux qui sont syndiqués ou pas, ils se voient le samedi, le dimanche, il y a le foot, il y a un lien social entre eux très fort, ce n'est pas quelque chose d'inexistant (…) l'ouvrier, le pauvre Français dont on ne parle jamais, c'est un être humain qui parle, il a des avis, il a des amis, je veux dire il faut le dire, franchement on a l'impression que c'est une bête étrange, oui c'est un mec qui part en vacances un petit peu, c'est vrai qu'il vote, il va au resto, il parle, il se bourre la gueule, c'est un mec normal, il vit avec moins de 1 100 euros par mois ».
© Bertrand Meunier
Bertrand Meunier a également échangé avec d'anciens employés de chez Peugeot-Citroen, à côté de Mulhouse, qui sont assez nostalgiques : « quand j'ai parlé avec les plus anciens, c'est toujours cette nostalgie de l'ancien, dire que c'était mieux avant je n'en sais rien, mais en tous les cas j'ai rencontré le président des retraités de chez Peugeot-Citroen, il était syndiqué FO, il parlait des barbecues au sein de l'usine, oui il y avait un lieu d'échange qui était énorme qu'ils essayent de faire perdurer mais qui s'écroule avec les intérimaires tout simplement ». A présent, lorsque le patronat licencie, il embauche des intérimaires qui restent environ six semaines, ce qui nuit au lien social et à la « culture du risque qui n'est pas transmise ».
Bertrand Meunier n'a pas fait le tour de la question car il pourrait « y travailler des années. Mais je me donne encore deux ou trois ans. J'ai envie d'explorer aussi le décalage entre ce qui fait rêver les gens et leur réalité : une société qui n'a plus que le PMU ou l'obsession des people pour rêver est une société qui va mal ».
© Bertrand Meunier
Photos et vignette © Bertrand Meunier
Vanessa Voisin