© Morgane Tschiember
Fondation d'entreprise Ricard 12 rue Boissy d'Anglas 75008 Paris France
« L’œuvre de Morgane Tschiember est protéiforme. L’artiste tend à multiplier les techniques et les protocoles, mobilisés au service de ses expérimentations plastiques. Que ce soit le verre, le bois, le métal... rien ne résiste aux recherches de Morgane Tschiember. Peinture, sculpture, photographie et vidéo, Morgane ne va jamais là où on l’attend. Pour cette jeune femme née à Brest en 1976, rien n’est impossible. En travaillant sur les dimensions exagérées de ses sculptures, ainsi que sur une disposition spécifique, elle induit la visite, faisant ressentir au spectateur une mise en tension intérieure. »
« « En 1967 et en 1968, j’ai écrit une liste de verbes comme moyen d’appliquer des actions diverses à des matériaux quelconques. Rouler, plier, courber, raccourcir, raboter, déchirer, tailler, fendre, couper, trancher... Le langage structurait mes activités en relation avec des matériaux qui occupaient la même fonction que des verbes transitifs. » racontait Richard Serra au sujet de sa fameuse « Untitled (Verb List) ». Ce mode d'emploi pour écriture (plastique) automatique pourrait servir de script à toute l'œuvre de l'artiste française Morgane Tschiember, née en 1976 à Brest. Depuis une dizaine d'années, Morgane Tschiember explore les qualités performatives de matériaux à valeur ajoutée ou sans qualité (métal, mousse expansive, verre, plastique) qu'elle soumet à toutes sortes d'impacts. Chacune de ses œuvres cache ainsi, en sous-texte, une série d'actions efficientes et diverses : scier, tordre, souder, souffler, suspendre... A la manière de Serra qui revisitait le minimalisme rigoriste et autonomiste, Morgane Tschiember dévoile, ainsi, en creux le « faire » à l’œuvre derrière ses formes. Pas un hasard alors si ses sculptures, peintures en trois dimensions ou installations, affichent leurs points de suture. A l'image de ce « folded space » suspendu dans la première salle d'exposition. Réalisé d'après une maquette en papier pliée et dépliée selon une grille non orthogonale, ce mobile en métal décomposé puis ressoudé assume sa marque de fabrique et laisse transpirer la laitance noire produite par le métal en fusion. Suspendu à hauteur d'yeux il se laisse contempler, au propre comme au figuré sous toutes ses coutures. Ailleurs, c'est un nouvel ensemble de sculptures en verre boursouflées, greffées à même leur socle en béton qui livrent sans complexe leur secret de fabrication. Car ce qui fait surface (sensible) chez cette artiste qui aime citer dans le même temps Paul Thek et Michael Asher, c'est aussi l'expérience en filigrane d'un corps au travail : ici, celui du souffleur; ailleurs, celui du bâtisseur empilant inlassablement des parpaings de béton venus obstruer l’accès aux salles d’exposition. D’un corps, celui de l’artiste, qui ne rechigne jamais à se coltiner le gros œuvre et à se confronter à la mesure de l’espace comme c’est le cas, en bout de course de l’exposition, avec cette installation monumentale et immersive cousue de rubans transparents. C’est précisément dans ces marges, indéterminées et fécondes que se joue le travail de Morgane Tschiember, à la lisière d’un minimalisme habité et sensible, sur la crête des valeurs intrinsèques de matériaux et de pratiques réinvestis par l’artiste. « Tout ce qui est généralement caché lorsque l’on conçoit une pièce, est ici révélé et mis à nu », explique ainsi Morgane Tschiember, « Ainsi ce que l’on nomme défauts et contraintes est utilisé pour développer la relation physique à l'œuvre. Ce liant m’interpelle » ». Claire Moulène, mars 2012.
© Morgane Tschiember
Photo et vignette © Morgane Tschiember