Conférences du 09/11/2005 au 09/11/2005 Terminé
Mercredi 9 novembre 2005 à l'auditorium du Louvre.
> Entrée libre dans la limite des places disponibles.
En collaboration avec Thomas Y. Levin*, Princeton University
« Notre société n'est pas celle du spectacle, mais de la surveillance ; sous la surface desimages, on investit les corps en profondeur ; derrière la grande abstraction de l'échange,se poursuit le dressage minutieux et concret des forces utiles ; les circuits decommunication sont les supports d'un cumul et d'une centralisation du savoir ; le jeudes signes définit les ancrages du pouvoir ; la belle totalité de l'individu n'est pasamputée, réprimée par notre ordre social, mais l'individu y est soigneusement fabriqué,selon toute une tactique des forces et des corps.»
Michel Foucault, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, 1975
Si, comme certains ont pu le soutenir, les photographies de la prison militaire d'Abou Ghraib marquent le moment où l'image numérique est devenue partie prenante de l'histoire de la photographie (dans sa capacité à documenter, à provoquer un débatcritique), elles constituent aussi le tout dernier chapitre d'une relation de longue date entre la photographie et les prisons. Parmi ses nombreuses fonctions, la photographie a servi – depuis son invention même – de technologie du contrôle de l'Etat, intimement liée aux pratiques de l'administration pénitentiaire. Depuis le cliché d'identité qui atoujours marqué le passage du seuil de la prison et les techniques de classificationproto-biométriques par la photographie, instaurées par Alphonse Bertillon, grâceauxquelles l'Etat a considérablement augmenté son habilité à identifier et à poursuivre les criminels, la photographie s'est présentée comme une véritable technologie du pouvoir, de la surveillance et de l'emprisonnement. Et cependant, la photographie peut aussi devenir l'instrument inverse, parvenant à éclairer la situation critique des prisonniers, à révéler les abus de pouvoir et les conditions inhumaines d'incarcération. Cette dimension de la photographie comme témoin accusateur connaît, avec l'image numérique et ses conditions particulières de production (par exemple les téléphones mobiles avec appareil photographique intégré), et de dissémination(notamment lecyber-espace), une évolution certaine. L'imagerie numérique permet-elle de réévaluer ce que Christian Phéline a nommé « l'image accusatrice » ?
* Thomas Y. Levin est théoricien de la culture et des médias.
Ses essais sur l'esthétique, le film, les médias sont parus entre autres dans "October, Texte zur Kunst", Les Cahiers du Musée national d'art moderne". Il a participé à l'exposition sur les Situationnistesorganisée au Centre Pompidou en 1989 et a été le commissaire de l'exposition « CTRL [Space] : Rhetorics of Surveillance from Bentham to Big Brother » au ZKM (Zentrumfür Medientechnologie, Karlsruhe) en 2001, dont il a aussi dirigé le catalogue.
Il propose dans ce colloque une réflexion sur les implications de la photographie dans lesystème carcéral et les retournements militants de l'image : depuis la photographie judiciaire au XIXe siècle, jusqu'au pouvoir contestataire de la photographie d'auteur et du photoreportage. La question du médium et de ses évolutions à travers les techniquesdu film, de la vidéo et du numérique, ainsi que la capacité des artistes à interroger lerôle de l'image dans les pratiques du contrôle de l'Etat, sont partie prenante d'un débat ancré dans l'actualité.
- Nouvelles Perspectives sur l'histoire de la Photographie carcérale 9h45 Ouverture du colloque Par Thomas Y. Levin, Princeton University, et Marcella Lista, musée du Louvre 10h Remarques sur l'histoire des stratégies photographiques de capture du criminel Par Susanne Regener, Danish University of Education, Copenhague Susanne Regener est historienne des médias. Par une approche anthropologique de la culture visuelle, elle développe une étude des technologies et des idéologies de l'identification, depuis l'anthropométrie du XIXe siècle jusqu'aux « vision-machines » contemporaines. Outre son principal ouvrage," Fotografische Erfassung: Zur Geschichte medialer Konstruktionen des Kriminellen" (Wilhem Fink Verlag, Munich, 1999), elle est l'auteure de nombreux essais sur les images produites par la criminologie, parus dans larevue "Crime, Histoire et Sociétés", et dans divers ouvrages collectifs, dont : « FacialPolitics : Bilder des Bösen nach dem 11. September », "Das Gesicht ist eine starke Organisation" (dir. P. Löffler/L. Scholtz), Cologne, 2004. 10h40 Figures photographiques du criminel en Italie, de la criminologie à la policed'identification (1880-1930) Par Ilsen About, EHESS, Paris/IUE, Florence Ilsen About est historien, chercheur à l'École des Hautes Études en Sciences Sociales(Paris) et à l'Institut Universitaire Européen (Florence) ; il prépare un doctorat sur les pratiques policières d'identification en France et en Italie (1890-1940) et étudie les usages de la photographie signalétique dans les discours criminologiques et les servicesde police scientifique. Ses recherches portent également sur les photographies descamps de concentration ; il a contribué au catalogue de l'exposition "Mémoire des Camps" (Hôtel de Sully, Paris, 2001) et est commissaire de l'exposition "La Part visible des camps : les photographies du camp de concentration de Mauthausen" (Hôtel de Rohan, Paris, jusqu'au 28 novembre 2005). 11h20 Une chambre noire en prison : photographies par les prisonniers, JolietPenitentiary, Etats-Unis, 1890-1920 Par Noam M. Elcott, Princeton University Critique d'art basé à New York, Noam Elcott prépare un doctorat en histoire de la photographie à l'université de Princeton. Ses recherches portent particulièrement sur la photographie sans caméra dans l'avant-garde, en tant que frontière entre l'art et la technologie dans l'entre-deux-guerres. Il a récemment dirigé à l'université de Princeton le colloque « The Ends of Tradition ». On compte parmi ses publications un essai sur larelation entre la photographie et le texte dans les œuvres de W. G. Sebald (GermanicReview, Summer 2004) et plusieurs articles sur les intersections de la photographie etdes nouveaux médias dans l'art contemporain. 12h Portraits dans la durée : images vidéo de prisonniers et de gardiens Par Fiona Tan, artiste, Amsterdam, auteure de l'installation vidéo Correction (2004), en discussion avec Thomas Y. Levin Née en Indonésie d'un père chinois et d'une mère Australienne, Fiona Tan a suivi des études d'art en Allemagne et aux Pays-Bas. Elle mêle dans son travail ses propresimages (photographie et film) et des documents d'archives, afin d'explorer le sujetcomme identité et mémoire. Au-delà de l'image, son œuvre joue avec la perception dans la durée, en mixant et en transformant les images et en leur assignant une nouvelle place, un nouveaux rôle et un nouveau point de vue.Questionnant la tradition de la photographie judiciaire et de ses usages par le système carcéral, son installation vidéo Correction aborde de manière critique les notionsd'identité et de représentation. - Témoignage et activisme par l'image 14h30 Images de la révolte : témoignages et diffusion en France, en Italie et aux Etats-Unis dans les années 1970 Par Philippe Artières, CNRS/Centre Michel Foucault, Paris Philippe Artières est chercheur en histoire au CNRS (CHR-EHESS), chercheur associé à l'IMEC et directeur du Centre Michel Foucault. Ses recherches portent sur la documentation de la vie carcérale aux XIXe et XXe siècles, et sur les liens entre médecine et criminologie. Parmi ses principales publications autour de ce sujet : le recueil "Le Livre des vies coupables. Autobiographies de criminels (1896-1909)", Paris, 2000 ; le recueil "Le Groupe d'information sur les prisons : archives d'une lutte, 1970-1972", Paris, 2003 ; le collectif "Gouverner, enfermer : la prison, modèle indépassable ?" (co-dirigé avec Pierre Lacousmes), Paris, 2004 ; l'étude sur les tatouages et la criminologie d'Alexandre Lacassagne, "A Fleur de peau : médecins, tatouages ettatoués : 1880-1910", Paris, 2004. 15h10 Projection : Les Prisons aussi (extraits), 1973, film nb., réal. Hélène Châtelain et René Lefort Suivie d'une discussion avec Hélène Châtelain, réalisatrice Ecrivaine et cinéaste, Hélène Châtelain a consacré plusieurs travaux aux problématiques de l'univers carcéral, jusqu'à son dernier film, "Goulag" (2005), qui associe à des images d'archives des entretiens avec des survivants des goulags soviétiques. "Les Prisons aussi", réalisé en 1973 avec René Lefort, est un document audiovisuel unique qui restitue l'esprit des actions du Groupe d'Information sur les Prisons, fondé en 1971 par MichelFoucault : la parole est donnée aux détenus et aux surveillants, l'opinion des passants dela rue est sollicitée à propos des conditions de détention et de l'agitation qui a conduitaux révoltes de 1971. Mêlant images fixes de photoreportage, entretiens filmés et vues extérieures de divers établissements pénitentiaires en France, le film met à l'épreuve, par l'image, les tabous et des interdictions qui masquent la réalité carcérale. 15h50 Projection : Ich glaubte Gefangener zur sehen, [Je croyais voir des prisonniers],2000, film vidéo, coul. et nb., 25 mn, réal. Harun Farocki Présentée par Hubertus von Amelunxen, Ecole européenne supérieure de l'Image,Angoulême/Poitiers Harun Farocki est un artiste établi à Berlin. Formé à la dramaturgie, au journalisme etaux sciences sociales, fondateur de la revue Filmkritik, et enseignant à l'Ecolesupérieure d'art de Berlin, il a développé depuis la fin des années 1970 une œuvre filmique engagée. "Ich glaubte Gefangener zur sehen" est un montage critique d'images récupérées à partir de différentes sources visuelles qui documentent la réalité carcérale : images de surveillance vidéo, films didactiques pour la formation des gardiens deprison, images numériques permettant de tracer les déplacements des détenus. Plus récemment, ses oeuvres ont été produites aussi pour la télévision et en tant qu'installations dans des expositions multimédias. Fondateur et directeur de l'Ecole internationale pour les Nouveaux médias de Lübeck, Hubertus von Amelunxen est théoricien de l'image, particulièrement de laphotographie. Il a été l'éditeur de la revue Fotogeschichte et commissaire de plusieurs expositions de photographie. Ses travaux reposent sur une approche transdisciplinaire des nouveaux médias, ouverte sur le champ politique et social. Il a notamment participé au catalogue "Face à l'Histoire 1933-1996. L'artiste moderne devant l'événementhistorique" (Centre Pompidou, Paris, 1996), et publié "Theorie der Fotografie IV, 1980-1995" (Munich, 2000) ; "Allegorie und Photographie : Untersuchen zur Französischen Literatur des 19. Jahrhundert" (Mannheim, 1992) ; (avec Andrei ugica)"Television/Revolution. Das Ultimatum des Bildes" (Marburg, 1990). 16h30 Abou Ghraib, des images arrachées au désastre. Pouvoirs de la transmission en régime numériquePar André Gunthert, EHESS, Paris Historien de la photographie, André Gunthert enseigne à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, où il a créé le laboratoire d'Histoire visuelle contemporaine. Il est le fondateur et rédacteur en chef de la revue Etudes photographiques, éditée par la Société française de photographie (Paris). Ses travaux, portent sur l'historiographie de la photographie et s'intéressent aux croisements les plus récents des technologiesnumériques et des usages iconiques. Il propose ici une réflexion sur les usagespolitiques de l'image numérique, à partir du cas médiatique et juridique desphotographies de la prison militaire d'Abou Ghraib, diffusées au printemps 2004, déjàévoqué dans « L'image numérique s'en va-t'en guerre. Les photographies d'AbouGhraib », Etudes photographiques, n°15, Octobre 2004. 17h10 La colonie pénitentiaire : les territoires occupés Par Ariella Azoulay, Bar Ilan University, Tel Aviv Ariella Azoulay enseigne la culture visuelle et la philosophie contemporaine.Commissaire des expositions « The Angel of History » (2000, Hertzelya Museum ofArt, ad Hamishkan Le-Omanut, Ein Harod) et « Everything could be seen » (2004, UmEl Fachem Art Gallery), elle est l'auteur de divers films documentaires, dont I alsoDwell Among Your Own People : Conversations with Azmi Bishara (2004). Ses travauxsur la photographie, notamment son dernier ouvrage, Death's Showcase : The Power ofImage in Contemporary Democracy (MIT Press, 2003), interrogent les problèmes de réception, et notamment l'instrumentalisation de l'opinion publique par l'image et sadiffusion. 17h50 Débat > Voir le site : http://www.louvre.fr/llv/auditorium/liste_evenements.jsp?nature=audit_nature_2&bmLocale=fr_FR