Neuf photographes, actuellement en troisième année d’étude de photographie dans une école d’arts appliqués – MJM Graphic Design – ont développé un projet personnel sur un an, en vue de cette exposition. Leur travail et la démarche d’accompagnement ont concouru vers un seul but : l’exposition, et les enjeux qu’elle sous-entend.
Neuf photographes, donc neuf projets qui mettent en tension une approche contemporaine, originale et personnelle de leur sujet. Chacun travaille avec la conscience d’une problématique, tant photographique à proprement parler, que conceptuelle.
La qualité de leurs travaux, leur enthousiasme pour développer ces projets, ainsi que le désir d’être novateurs dans leurs approches, nous conduisent les exposer et à les soutenir, afin qu’ils entrent en contact avec le monde de l’art et de la photographie, en leur donnant une première chance.
En s'appuyant sur les connaissances acquises au cours de trois ans de formation, chacun a pu se libérer des contraintes techniques pour développer un regard sur le monde. C'est dans cette optique de construction d’identité, tant personnelle que photographique, qu’ils ont travaillé cette année. La diversité des projets, mais aussi leur pertinence, sont des atouts pour une exposition qui met en avant le travail de ces jeunes photographes. Ensemble, mais avec leurs regards propres, ils partagent un engagement, mais aussi les questions soulevées par leur génération. Si leurs préoccupations divergent, ils suivent tous la même direction : le désir de s'exprimer par et pour la photographie.
Caroline Azambourg, Girls and Giggles
© Caroline Azambourg
On oublie trop souvent l’origine du mot anglais pin-up. Littéralement, « qu’on accroche ». Oui, ces filles accrochées aux murs pour le plaisir de ces messieurs. C’est dans les années 1930 que les pin-up explosent, représentantes du plaisir simple et de la féminité absolue.
Les courbes arrondies et les formes généreuses de ces icônes les hissaient au rang d’ultime objet de fantasme éternel et de fascination érotique. Un érotisme suggéré, aguichant mais jamais aguicheur. Caroline a décidé « d’épingler » plusieurs pin-up d’aujourd’hui, esclaves de la représentation que l’imagerie fait de la femme actuellement. Les bons vivants n’ont plus leur place dans ce monde, et malgré le soupçon de féminisme qui reste en chacune d’elles, la mode de la maigreur les fait tomber dans leurs vices obscurs.
Elle brise la barrière femme/pin-up - réel/irréel, en transposant son imagerie teintée de rockabilly, de rétro, et de sa fascination pour le célèbre modèle Betty Page, dont la frange brune a définitivement modifiée sa vie.
Caroline Borocco, Vestiges passés
© Caroline Borocco
L’urbexophilie est l’exploration de lieux abandonnés. Lieux éphémères en attente de réhabilitation ou de destruction. Pourrissant au milieu de la ville ou de la campagne, le temps s’est arrêté entre ces murs. Ils sont souvent à l’abri des regards, isolés du monde actuel, mais parfois la vie autour d’eux continue comme s’ils étaient des bâtiments fantômes. Une fois à l’intérieur, tout bascule, l’exploration nous fait passer d’un monde à l’autre. Cette pratique répond à la curiosité de voir le passé.
Quelles sont les répercussions, en ville ou à la campagne, de la fermeture des lieux de travail, des usines ? Qui dit perte d’emploi dit recherche d’un nouveau travail, et parfois la nécessité de changer de lieu de vie. L’absence de travail peut provoquer le non rachat des maisons et donc l’abandon de celles-ci. De plus, le départ des familles peut également induire la fermeture des lieux de loisirs. Il existe donc un lien social entre tous ces abandons.
A travers des lieux empreints d’une vie qui n’est plus, mon voyeurisme photographique décrit les traces du passé, figées dans la poussière ou dans lesquelles la nature reprend ses droits.
Marie-Louise Dufay, Condition(s) corporelle(s)
"Fascinée par le corps et ses multiples représentations, j’ai voulu approfondir mon introspection sur le rapport qu’entretient l’être humain vis-à-vis de celui-ci.
Dans les sociétés occidentales modernes, le rapport au corps est héritier de la morale judéo- chrétienne, qui sépare le corps et l’esprit. L’enveloppe charnelle est assimilée au péché, elle est immanente et disparaît après la mort. L’âme lui survit, elle est transcendante et éternelle. Quelles que soient les croyances, notre rapport au corps est marqué par cette dichotomie.
Quel sens a le corps séparé de son esprit ? Quel sens conserve-t-il, dès lors qu’il est dépouillé de la substance qui l’anime et plus loin, de l’environnement, de l’endroit et de la culture dans lesquels il « vit » ?
En poussant ce raisonnement, on peut même considérer que, dès lors que l’on a vidé le corps de son esprit, plus rien n’empêche de le « démembrer ».
C’est cette tension de notre rapport au corps dans notre société que je veux interroger et cela, en tournant autour de lui, ou en le contournant. L’ambition de ce projet est de faire parler le corps par l’image ; de rendre compte de son état dans l’espace, de sa condition dans une situation ou un lieu ; de faire parler ce corps gorgé d’effervescence, de perception : de vie." ML Duray
© Marie-Louise Duray
Laetitia N. Dupont, Du portrait au salon
Notre apparence est jugée en permanence, on y attache donc une grande importance. Elle reflète notamment notre niveau de vie, notre classe sociale. Et dans la conjoncture actuelle de crise financière, elle nous permet de « sauver les apparences ».
En revanche, notre lieu de vie ne peut être façonné. Cet espace privé est directement lié à notre classe sociale, sans artifice.
En opposant dans ces diptyques portraits de familles et intérieurs, on contredit ces préjugés. « Alors, à qui appartient ce salon ? »
© Laetitia N. Dupont
Camille Faure, Créativité urbaine
Prendre la rue pour Médium... L'alliance de la créativité et de la ville... L'énergie d'une génération optimiste et dégrisée... La rencontre de l'Artiste et du Béton... Le Milieu Urbain ou l'épanouissement d'une expression artistique... Parfois, à l'abri des regards car considéré comme illégale... Parfois, délibérément exposée aux yeux de tous car création ultime...
Dans cette série d'images, le portrait côtoie la mise en scène, tout en ajoutant au cadrage une dynamique et une énergie du mouvement, afin de retranscrire le plus fidèlement la puissance qui émane de ces artistes.
La notion de fluidité est importante pour exprimer photographiquement la vitalité liée à la création. Pour ce faire, la décomposition du mouvement du corps est essentielle, ce qui est donc retranscrit par la surimpression et la pose longue...
Le tout, dans l'idée de voir ici une alternative à la vidéo et à la fixité de la photographie.
© Camille Faure
Hélène Moreau, Pari racial
La ségrégation raciale apparaît dès 1865 aux Etats Unis et en Afrique du Sud. Elle séparait les personnes de couleur différente dans leurs activités et dans tous les actes de leur quotidien. Elle dictait même les rapports humains. En 1954, la Cour Suprême la déclare inconstitutionnelle. Au cours des vingt années suivantes, elle disparaît officiellement.
Cependant, le terme de race reste aujourd’hui d'usage dans certains milieux, et le racisme se manifeste encore sous des formes plus ou moins directes.
De nos jours, on parle d’un racisme « à l’envers ». L’appellation même de racisme « anti- blancs » est contestée, la spécification de couleur n’étant pas nécessaire. Quelles que soient les personnes concernées, le racisme est le même.
Ce projet photographique traite de cette question de manière fictive, afin d’éveiller les consciences.
© Hélène Moreau
Pierre Ollier, Carpe Noctem
Tout le monde connaît l’expression latine Carpe Diem : cueille le jour, qui nous invite à profiter de chaque instant comme s’il s’agissait du dernier. Ainsi, dans cette optique, chacun a ses moyens, ses manières, de jouir de ces petits moments privilégiés, qui embellissent le quotidien.
Il y a quelques années, tandis que de trop longues nuits d’insomnie chronique me faisaient pester, je réalisais que ne pas réussir à dormir, c'était aussi bénéficier de temps libre supplémentaire. Le cinéma et la musique occupèrent alors ces heures perdues.
Aujourd’hui, même si je ne suis plus insomniaque, j’ai encore dans la tête l’idée de ne pas avoir assez profité de ces moments, même s'ils n'étaient que semi-conscients. Alors, en faisant appel aux mécanismes de l'imaginaire et de la frustration, je veux cueillir la nuit : construire, et donc vivre, du non-vécu. Inventer un passé qui, pourtant, était à portée de main. Dans une démarche plasticienne, l'outil photographique intervient donc comme une fabrique à anti-souvenirs, telle une machine à créer de la mémoire fantasmée.
© Pierre Ollier
Anne-Sophie Poilleaux, Au pied de la lettre
© Anne-Sophie Poilleaux
La langue française évolue avec le temps, les époques, les modes.
Elle évolue même de plus en plus vite, et le vocabulaire d'une personne peut permettre de deviner son âge.
Certaines expressions ont traversé les siècles. Leur emploi est parfois tombé en désuétude, mais elles sonnent aujourd'hui avec un air de « déjà entendu ». Il arrive qu'elles nous soient familières et que, les prononçant, on s’aperçoive de leur étrangeté. Certaines demeurent d’ailleurs assez parlantes pour que l'on devine leur origine, mais beaucoup restent obscures, et on ne les aime pas moins.
Cette fascination pour le langage que l'on emploie couramment, mais sans forcément en connaître l'origine, a engendré en moi l'envie d'en faire une série de photographies, mettant en scène ces expressions françaises.
Le choix de ces expressions n'est pas totalement subjectif : n'ont été choisies que celles mettant des gens en scène, et retraçant des morceaux de vie de tous les jours.
Ce sujet illustre donc photographiquement ces raccourcis, de façon simple et imagée. Pour cela, ont été travaillés la signification et le sens propre, au pied de la lettre, pour appuyer le coté parfois incompréhensible de ces expressions.
Yueting Wu, Intimate Affairs
© Yueting Wu
Aujourd'hui, nous vivons dans une société dite de consommation. Le profit économique des agents se déploie et s'exploite au maximum tout autour de nous.
Nous, ces consommateurs.
Ce monde, entouré d'affiches 4x3 aux équilibres parfaits, aux courbes indomptables, aux décors enivrants et superficiels – surtout dans le domaine de la mode – ne relèvent pas de la réalité que nous fréquentons.
Baignant dans des dépenses stimulées par une propagande qui nous encercle, on rêve et on s'identifie à ces phénomènes qui ne cessent de croître, à ces décors irréalistes, à ces beautés sublimes aux regards vides.
Mais n'y a-t-il pas un écart entre ce qui nous entoure et ce que l'on nous impose à toute heure de la journée, dans la courbe d'une rame d'un métro ?
Oscar Wilde a dit : “Il est deux choses des plus émouvantes dans la vie : la laideur qui se sait, et la beauté qui s'ignore.”
La photographie a pour but initial d'enregistrer un moment inoubliable, dans ce monde rempli d'images, nous nous souvenons plus facilement des photos d'une laideur extrême que des sujets magnifiques. Car la laideur nous choque, nous surprend, nous interloque, nous marque. La beauté, le sublime, nous font rêver l'espace d'un instant, nous font débarquer dans les magasins, nous rendent intraitables avec notre identité, visuelle parfois. Mais si on enlevait le packaging, qui se cacherait derrière ces “Barbies” ?