© Nadège Gaillard
Centre musical Fleury Goutte d'or - Barbara 1, rue de Fleury 75018 Paris France
« Chaque homme possède sa part d'antimatière. Il suffit qu'il regarde son ombre.
C’est comme si je traçais une ligne dans le paysage du 18ème arrondissement. Une ligne qui court de la Goutte d’Or à Abbesses, des rues pavées du Sacré Cœur à Marx Dormoy, en passant par la rue du Poteaux et la Place Clichy.
Entre août 2010 et novembre 2011, j’arpente le quartier, j’en fais mon territoire. Je suis cette ligne, ces rues que j’ai en commun avec ces passants, et je m’arrête sur les silhouettes originales que je croise. Je fais un casting sauvage, à la recherche d’allures excentriques, de personnalités hors du commun.
Portraits des gens de mon quartier, rencontres improvisées. Je croise leur regard et je les invite à se faire photographier. Je leur donne rendez-vous devant un mur et j’installe mon studio dans la rue. Je m’approprie, portes, gouttières, fenêtres et façades. Je cadre. Une heure pour shooter. Le temps m’est compté.
Ces personnages de la rue sont accompagnés, surveillés, protégés ou menacés par leurs ombres qui se détachent de manière franche et illusoire sur les murs délavés du quartier. Un jeu s’amorce alors entre le modèle et son ombre. Ce sont deux facettes du même individu qui traduisent une certaine représentation que chacun donne de soi. Le corps en mouvement face à sa réplique projetée sur la surface du mur. Comme une figure en relief face à son antimatière insaisissable. L’ombre sans couleur en dit autant que les corps bariolés.
L’intrigue vient après, venant du modèle avant tout, et de son ombre portée, du dialogue entre les deux entités. La plupart du temps, je n’ai aucune idée du jeu que le personnage va initier avec son double. C’est la part d’improvisation, le hasard heureux que je veux laisser à mes photographies.
Le dialogue de ce tandem est ponctué de mes salves :
- Vous pouvez sauter comme ça ? - Court ! ... En regardant vers la gauche ! ... Les bras collés au corps ! ... Les mains dans les poches ! Leurs gestes doivent être expressifs et leurs regards aux aguets, car non loin de là leurs pendants se moquent d’eux.
Si l’ombre de tout un chacun marche à ses cotés tous les jours, les ombres de ceux là ont pris la fuite et narguent leurs propriétaires.
De leurs corps essoufflés, de ces gestes répétés, je me délectais, car je savais que l’énergie qu’ils avaient donnée sortirait à l’image»
Nadège Gaillard
Nadège Gaillard est photographe et vit dans le 18ème arrondissement. Après s’être spécialisée dans la photo de mode masculine, elle se tourne vers le reportage à caractère social. C'est ainsi qu'en 2010, elle crée l’association Focus Mundi dont l’objectif est de permettre à des populations démunies de s’exprimer au travers de la photographie, et part au Pérou afin de monter des ateliers photos destinés aux enfants des rues. Puis, elle initie en 2011 à Paris un projet mettant en scène son quartier et ses habitants, inspirée par les personnalités hors du commun. Elle nous livre un reportage singulier, photographiant les allures excentriques de la rue, en y apportant un trait surréaliste et poétique par un jeu d’ombres improbables. « De leurs corps essoufflés, de ces gestes répétés, je me délectais, parce que je savais que l’énergie qu’ils avaient donnée sortirait à l’image. » www.focusmundi.com (modèle : Iya traoré)
Photos et vignette : © Nadège Gaillard