
Tonle Sap, 1998 © Gérard Manset
La Galerie VU' accueille comme "artiste-invité" Gérard Manset, compositeur et écrivain . Pour ceux qui connaissent ses albums et les apprécient, il n’est pas besoin de présenter cet être à part, personnage qui n’a d’obscur dans l’univers de la chanson française que sa propension à ne pas apparaître car le reste est lumineux et que l’on reconnaît à travers une œuvre, qu’elle soit musicale, littéraire ou cinématographique.
Il s’agit ici de photographies et de voyages. Le voyage comme la nécessité d’une géographie symbolique, mue par le besoin d’un autre monde; s’éloigner de la vieille Europe, qui se délite, engoncée dans une suffisance morne pour aller vers des pays éclatants où tant d’énergies se déploient. Manset s’y retrouve là, avec son appareil photo qui est sans doute le compagnon de voyage idéal pour qui voyage seul. Des appareils et des films dont il aime la mécanique, la matière et les noms, Nikon, Pentax, Kodak, Fuji, ou bien simplement « pelloches » comme cette fameuse et défunte kodakrome qui rendait, comme aucune autre, la transparence de la lumière de ces lieux qui en sont gorgés.
Cusarare, Sierra Tarahumara, Mexique, 2010 © Gérard Manset
Cette époque, où Manset voyageait des années 70 aux début des années 90, évoque les films qui s’entassent dans les sacs, jusqu’au retour, les développements et les tirages ensuite au labo. Le temps de la photographie comme le temps du voyage, faits de lenteurs et d’attentes.
Autant de situations et de noms qui renvoient à une époque où les avions pouvaient encore porter des hélices dans des aéroports à moitié vides... Les images révélées ensuite sont comme un carnet de notes, prises sans calcul, véritable prolongement de la perception par l’action. Impulsives.
En 2011, il a rassemblé ses images, organisées sans unité de temps ni de lieux, pour en faire un livre, Journées ensoleillées, un titre qui évoque un temps passé, un temps d’enfance où il faisait toujours beau. De ce corpus, constitué d’une centaine de photographies, la Galerie VU' en a extrait une quarantaine, portées par l’évocation étrange que suscite certaines de ses images. La sélection s’opère guidée par l’éloquence muette des objets - le couteau sur la table, le manège désagrégé, le ventilateur arrêté, l’avion aussi beau et brillant qu’un jouet, le juke-box dans un café désert - par l’espace silencieux des chambres vides qui jalonnent le récit comme autant de cailloux qui finiraient par construire une maison, par l’enfant qui dort ou l’autre dont le sourire sublime est furtif comme un coup de vent.
Kingston, 1981 © Gérard Manset
A parcourir le monde, à revenir sur les mêmes pistes en y cherchant de nouvelles lumières, dans cette quête insatiable de l’ailleurs, du beau dans son essence même, Manset n’empêche pas la nostalgie de s’épandre sur ses images, comme un voile léger et opaque sur les choses. Comme s’il savait déjà dans ces années-là qu’il photographiait un monde qui n’existera plus. Que cela soit le sien ou celui d’une époque, le tout est lié. On cherche une histoire, on trouve une géographie singulière et poétique du monde. Le ressort de tout cela est peut-être la réaction d’un nomade contre le statisme, sédentaire ou autre. Et les nomades n’ont pas d’Histoire.
San José, 1983 © Gérard Manset
Cette exposition est aussi une histoire commune d’amis communs, d’accords tacites et immédiats comme avec Patrick Le Bescont, qui, dans son sillage, en a fait un livre, La Terre endormie, poursuivant ainsi une autre idée du voyage. Et également Patrick Tanguy, présent depuis l’origine, qui avec un calme indéfectible, une bienveillante sagacité et une grande diligence a assuré, entre autres, tous les détails techniques et logistiques.
Vignette : Tonlé Sap, 1998 © Gérard Manset