Mashad. Iran, 2000 ©Succession Didier Lefèvre / imagesandco.com 2012
Galerie le Lieu, Maison de la mer Galerie Le Lieu Hôtel Gabriel - Aile Est Enclos du Port 56100 Lorient France
Didier Lefèvre (1957-2007) était reporter-photographe. Il a accompagné, en 1986, une mission de Médecins Sans Frontières en Afghanistan. Cette mission fut à la fois son premier grand reportage et l’origine d’un amour indéfectible pour ce pays, où il est retourné sept fois. Entre 2003 et 2006, une trilogie en bande dessinée intitulée Le Photographe (éditions Dupuis), élaborée avec Emmanuel Guibert et Frédéric Lemercier, a raconté cette mission en mêlant les photos et les mots de Didier, le scénario et les dessins d’Emmanuel, les couleurs et la mise en page de Frédéric. Traduit en treize langues, diffusé en français à plus de 300 000 exemplaires, couronné d’une dizaine de prix internationaux, Le Photographe a contribué à faire connaître les images d’un homme qui disait : « Bien photographier, c’est simplement s’améliorer humainement ». Les photographies exposées à la Galerie Le Lieu présentent les sept voyages que Didier Lefèvre a fait en Afghanistan, de 1986 à 2002. Elles seront accompagnées de reproductions de planches de la bande dessinée.
« Avant d’être photographe, j’étais pharmacien. Spécialité : biologie. Les études m’ont passionné. La pratique beaucoup moins. En 1984, Médecins sans frontières m’envoie installer un laboratoire de bactériologie dans un hôpital clandestin de la guérilla érythréenne. Au retour, coup d’état au Soudan, l’aéroport de Khartoum est fermé. J’étais le seul bonhomme avec un appareil, l’Agence France Presse m’a acheté les photos. Plus tard, je suis retourné en Erythrée avec une équipe de cinéma. Pour y faire des photos. Je n’ai plus jamais refait de biologie. MSF m’envoyait en reportage, je rencontrais des gens formidables, je rapportais des histoires à raconter.
A montrer. Petit à petit, je devenais photographe. L’Afghanistan, à cette époque, c’était comme le Liban pour la génération précédente, et le Vietnam pour celle d’avant. La guerre, l’aventure. Quand MSF m’a proposé en 1986 d’y partir, je n’ai pas hésité. C’est peu de dire que ce voyage m’a marqué. Avec le recul des ans, il prend des allures d’expérience initiatique. Encore maintenant, j’y fais souvent intérieurement référence. Depuis cette époque, je vis dans mon rêve, je suis photographe. Je réalise des reportages qui me tiennent à cœur, d’autres qui me sont commandés... Bref, un professionnel.
J’aime retourner aux mêmes endroits, y passer du temps. Je suis retourné six autres fois en Afghanistan. Moins que je ne l’aurais voulu, avec en général du retard sur les événements. Suivre l’actualité en temps réel coûte beaucoup d’argent. Quelques jours de commande pour un journal, un matelas dans une maison amie me permettent de vivre plusieurs semaines sur place... Les premiers voyages étaient de vraies épreuves physiques : les montagnes, les semaines de marche à pied dans un pays impitoyable, aux conditions de vie moyenâgeuses. A partir de 1992, quand les moudjahedin entrent victorieux dans Kaboul, je découvre un autre Afghanistan, moins rural, au développement figé par les guerres. L’immense déception devant l’incapacité à gouverner de leurs leaders conduit la population à accueillir avec soulagement l’arrivée des taliban en octobre 1996. Le répit est de courte durée. Le pays se referme. Les Hazaras, l’un des plus anciens peuples d’Afghanistan, fuient alors les persécutions religieuses et ethniques, pour un asile bien précaire en Iran, le voisin de même confession shiite. Trois mois après la chute du régime de Kaboul, fin 2001, ils commencent à rentrer dans leurs villages dévastés, au pied des « falaises maudites », celles qui abritaient les boudhas millénaires avant leur destruction sacrilège.
Col d’Anjuman, Afghanistan, 1986 © Succession Didier Lefèvre / imagesandco.com 2012
Je dois à Emmanuel Guibert l’ardeur indispensable pour replonger dans mes carnets de notes. Nous avons enregistré sur cassettes plusieurs heures de conversations, passant du récit de voyage aux aptitudes comparées de la photo et du dessin. Nous avons évoqué nos expériences, l’admiration pour nos maîtres respectifs et ce que l’on peut en faire... Ce dialogue possède un ton particulier, fluide et gai malgré l’évocation de sujets parfois dramatiques, et en tout cas bénéfique pour passer à l’écriture. Les carnets s’entassaient dans des enveloppes, oubliés le plus souvent en compagnie de quelques pièces de monnaie locale, d’un ticket d’embarquement ou de cartes de visite. A côté des notes professionnelles, noms, dates, légendes, ils contiennent toutes ces choses vues que je n’ai pas su photographier, trop impalpables ou trop gênantes. Je voulais en conserver tout de même une trace, pour pouvoir y revenir un jour. Malgré tout, ce ne sont pas de vrais carnets intimes, j’avoue que je me censure en les écrivant, de peur que quelqu’un ne les lise... A vrai dire, je ne leur ai jamais accordé beaucoup d’importance, jusqu’au jour où j’ai commencé à disposer mes petits tirages de travail dans un grand album noir. Ce jour là, j’ai écrit autour de ces images les souvenirs qu’elles m’évoquaient, et je suis allé fouiller dans la boite aux enveloppes. Une fois écartées mes lamentations quotidiennes sur la solitude, la déprime et l’envie d’être ailleurs, il reste quelques moments sauvés in extremis de l’oubli par l’écriture ». Didier Lefèvre
© texte: Galerie Le lieu