© Boris Mikhailov
Suzanne Tarasiève - LOFT19 Passage de l'Atlas / 5, Villa Marcel Lods 75019 Paris France
La Criée place Honoré Commeurec - Halles Centrales 35000 Rennes France
Suzanne Tarasieve - rue Pastourelle 7 rue Pastourelle 75003 Paris France
Les deux espaces de la galerie Suzanne Tarasiève à Paris, à Belleville et dans le haut-marais (Passage de l'Atlas et rue Pastourelle respectivement), présentent deux séries du photographe ukrainien Boris Mikhailov, aujourd'hui âgé de soixante-quatorze ans.
La série Tea, Coffee, Cappucino, à voir rue Pastourelle et réalisée entre 2000 et 2010, est présentée pour la première fois en France ; on y voit les carrefours de la ville ukrainienne de Kharkov et leur faune. Mikhailov documente, à la volée, les mutations du régime soviétique : tout devient business à l'arrachée, tout se vend, du café à la criée ("Avant cette date, personne ne buvait de cappucino") aux enfants, selon les dires du photographe. Kharkov regroupe une galerie de personnages perdus, déchiquetés, à moitié SDF à moitié fous, dans ce qui ressemble à la cour des miracles d'un monde qui s'écroule, confus, mouvementé et avant tout, pauvre.
Sa série rejoint le mot de Diane Arbus - "montrer ce qui sans moi ne serait pas vu" : si ce qui caractérise le travail de Mikhailov, c'est bien l'absence de retenue de ses sujets, leur totale exposition et sa proximité avec eux, on ne peut s'empêcher de penser que seul le photographe ukrainien, et ce depuis des années (et ses séries By the ground, 91 At dusk, 93, Case History, 1997), les porte à notre connaissance en nous faisant passer les portes d'un univers baroque et déchaîné. On a du mal à croire, à vrai dire, à la permanence de ce monde qui semble perpétuellement au bord de l'effondrement, cette place à moitié construite et ses bâtiments instables bordés de caniveaux remplis de boue ; mais c'est la grande force de la série que de nous le montrer à la fois comme un moment voué à disparaitre et comme une part consistante et révélatrice de la société slave contemporaine.
Au loft 19, superbe espace à l'abri d'un passage derrière Belleville, Mikhailov présente un projet totalement différent : la série I am Not I, une quinzaine de grands autoportraits réalisés au début des années 90, parodiant les nus du XIXème et les poses de héros capitalistes, dans lesquels le photographe s'expose, maniant des accessoires comme une épée, un godemichet, un tabouret... Anti-héros grotesque et vieilli, Milkhailov se présente alors comme un échec, celui de l'ex-URSS à croire à de nouvelles idoles.
On notera aussi, dans les deux espaces de la galerie Suzanne Tarasieve, la présence de nombreux livres publiés par le photographe, notamment Yesterday's Sandwitch chez Phaidon, dans lequel il superpose des images du bloc soviétique des années 60 et d'autres plus personnelles, produisant des collages inattendus, à la grande force graphique.
Antoine Soubrier, le 26 janvier 2012.
La Galerie Suzanne Tarasieve a le plaisir de vous annoncer la quatrième exposition de lʼartiste ukrainien Boris Mikhailov, présentée simultanément à la galerie (7 rue Pastourelle) et au LOFT19, du 14 janvier au 10 mars 2012.
Rue Pastourelle : Une partie de Tea, Coffee, Cappuccino a été présentée en 2007 pour la Biennale de Venise dans le pavillon ukrainien. Cette série, prise entre 2000 et 2010, forme un ensemble de 177 photographies présenté pour la première fois en France dans son intégralité. Les clichés sʼinscrivent dans la continuité des trois séries By the ground en 1991, At dusk en 1993 et Case History en 1997. Ces derniers donnaient une image de la chute du régime soviétique. A Kharkov en Ukraine, lʼartiste photographie des scènes de rue pour confronter son regard à la réalité sociale de son pays. Aujourdʼhui, « tout peut être acheté et vendu, même les enfants ». Une nouvelle ère est née, celle du business.
Boris Mikhailov se rappelle de ces femmes qui ont commencé à déambuler avec des poussettes pleines de marchandises, en criant « Tea, Coffee, Capuccino ». Cʼest un véritable signe de notre époque. Avant cette date, personne ne buvait de Cappuccino.
La série commence sur des personnes assises à des arrêts de tram, lieu privilégié pour observer le passage du temps. Pendant de nombreuses années, le tram véhiculait les moins aisés et les plus vulnérables. Les voies de tram disparaissent, les naufragés du régime soviétique aussi. Kharkov rajeunit, théâtre de lʼémergence des nouvelles couches sociales, de businessmen, « de petites gens dans un système globalisé ». Une foule de produits bon marché sʼest imposée, créant un nouveau quotidien en plastique coloré.
Boris Mikhailov documente la réalité. Tea, Coffee, Cappuccino est un témoignage de cette époque. « Je voulais voir sʼil était possible de montrer un maximum dʼaspects de cette période, un peu à la manière dʼune peinture historique, mais en utilisant le support de la photographie documentaire. » Boris & Vita Mikhailov – Kharkov, Mars 2010
Boris Mikhailov est né en 1938 à Kharkov en Ukraine. Il vit et travaille à Berlin et à Kharkov. Cette année, une première rétrospective en Allemagne sera présentée en février 2012 à la Berlinische Galerie. En 2011, deux expositions monographiques lui ont été consacrées à la TATE Modern de Londres (jusquʼau 31 mars 2012) et au MOMA de New York, tandis que le Palazzo Grassi accueillait son travail durant la biennale de Venise.
« Le photographe n’est pas un héros »
Au LOFT19, Boris Mikhailov a sélectionné une quinzaine de photographies de la série I am not I, 1992. Dans cette série d’autoportraits, l’artiste prend des poses faussement athlétiques ou contemplatives rappelant les nus du XIXème siècle.
Il devient un improbable sex-symbol grâce à une mise en scène surjouée : l’usage d’une lumière dramatique, d’une pellicule noir et blanc et d’un format d’affiche fait ironiquement référence aux photos des vedettes de Hollywood qu’on idéalise.
I am not I a été produite entre les séries By the Ground, 1991 et At Dusk, 1993 : Boris Mikhailov souhaitait se concentrer sur de nouveaux sentiments, une nouvelle vie. Avec la chute du soviétisme, le capitalisme commençait : un nouvel héros devait alors apparaître. « Mais comme je l’ai déjà dit, le héros en Union soviétique n’était pas possible, il était déjà bousillé par l’idéologie. Il y avait eu des héros, des gens qui s’étaient jetés sur les mitrailleuses, mais on finissait toujours par plaisanter en racontant que quelqu’un les avait poussés. Il ne pouvait donc y avoir qu’un antihéros. Cette série est dédiée à ce nouveau antihéros, au nouveau capitalisme. »1
Boris Mikhailov joue dans I am not I avec les différentes représentations du héros : ce jeu est personnel, intime, provocateur et lié à la lente agonie du soviétisme.
Du 20 janvier au 11 mars 2012, La Criée présente pour la première fois en France la série Salt Lake du photographe ukrainien Boris Mikhailov. Datant de 1986, cette série de 50 photographies nous transporte dans une Ukraine soviétique au bord de l’implosion, où la douceur de vivre avait pour cadre les berges d’un lac cerné par la pollution industrielle.
À propos de la série « Salt Lake » : En 1986, Boris Mikhailov se rend sur les berges d’un lac au sud de l’Ukraine. Son père, habitant la région dans les années 1920, s’en souvient comme d’un lieu très fréquenté par la population locale, persuadée des vertus thérapeutiques de ses eaux chaudes et salées. Le photographe, curieux de voir si cet endroit existe toujours y découvre que les habitudes n’ont pas changé mais que le lac est désormais cerné par les cheminées d’usines, les entrepôts en briques aux tuyaux de taille industrielle qui y déversent leurs eaux usées. Tout au long de l’année, les familles se rassemblent sur le rivage et vu de l’extérieur, on pourrait croire à un Baden-Baden soviétique.
L’une après l’autre, Boris Mikhailov capture ces scènes étranges, nous donnant à observer une population insouciante se baignant dans ces eaux troubles, indifférente au paysage chaotique alentour. Les hommes trapus et les femmes en bikinis les cheveux attachés par des foulards, se prélassent, semblent profiter allégrement du moment présent. On aperçoit ici des corps étendus bronzant au soleil, là un groupe de femmes discutant joyeusement. Le calme qui se dégage de cette série en devient l’élément pictural et peut évoquer certaines photographies d’Henri Cartier-Bresson prises au moment des premiers congés payés en France ou encore la toile de George Seurat Un dimanche après-midi à l’île de la Grande Jatte.
Salt Lake dépeint une union soviétique méconnue voire secrète et pour cause, cette série ayant été réalisée de manière clandestine, comme beaucoup de travaux de Mikhailov. Un contexte dans lequel la population semble faire fi de son environnement, du moins le tolère surement faute d’alternative, afin de pouvoir profiter d’une liberté même furtive.
Ces gens avaient-ils le choix dans leurs lieux de détente, se posaient-ils la question d’un ailleurs meilleur quand le meilleur était peut-être déjà de pouvoir avoir cette liberté?
Découvrir cette œuvre aujourd’hui nous engage dans un travail de mémoire, similaire peut-être à celui que le photographe a fait, revenant sur les traces de son père. On ne peut s’empêcher de la resituer dans le temps, un an avant la catastrophe de Tchernobyl, trois ans avant l’effondrement du système soviétique. L’Histoire confère à Salt Lake une valeur de témoignage précieux qui démontre la justesse et la permanence du regard que l’artiste porte sur son temps.
« Là, il y a une sorte de jeu où l’ancien et le nouveau se mélangent. [...] Ça prolongeait une vieille idée que j’avais eu avant : on est à la fois là et pas là. À la fois on est aujourd’hui, et on est il y a très longtemps. 1»