British Vogue, Londres, 1967 © Helmut Newton Estate
Grand Palais Galeries nationales du Grand Palais Champs-Elysées 75008 Paris France
«I'm gonna beat the system», ou comment Helmut Newton a révolutionné le monde de la photographie de mode.
Au Grand Palais ce vendredi 23 mars, la salle principale se remplit peu à peu. Plus que quelques minutes avant l’arrivée de June Newton, qui vient présenter la rétrospective consacrée à l'oeuvre de son mari, organisée du 24 mars au 17 mai. L’expectative est à son comble. A l'affût, photographes et journalistes cherchent les meilleures places. D’autres, trop impatients, se délectent devant les photographies exposées aux murs.
La tension grandit à l'approche de l’épouse du King of Kink (« le roi des pervers», un surnom qui lui vient de la parution, en 1976, de son album photo érotique White Women). Clics, flash, chuchotements et grands sourires l’accueillent chaleureusement.
June Newton, heureuse de voir le projet se réaliser, répond avec plaisir aux questions des journalistes. Le début d’un voyage captivant à travers « la meilleure des expositions » de son défunt mari. Un voyage guidé et éclairé par la femme du roi du “porno chic” mais pas seulement. Entre autres, José Alvarez, directeur des Editions du Regard, qui a partagé une amitié de plus de trente ans avec Helmut Newton, Jérôme Neutres, conseiller du Président de la Réunion des musées nationaux - Grand Palais ou encore Philip Pavel, directeur général de l'hotel Château Marmont à Los Angeles. Tous sont présents pour l’inauguration de cette grande exposition rétrospective à Paris, « où l’on voit toutes les facettes de Helmut » assure l’australienne. La première depuis la disparition du photographe allemand dans cette ville qu’il a tant aimée pour ses monuments, son charme, la mode et ses femmes...
© Actuphoto
«Sans les femmes, sans les femmes nues, le monde n’existerait plus»
Vivre près de soixante ans avec la même personne se ressent fatalement. June Brunell (de son nom de jeune fille) sera ainsi « cette maîtresse femme, compagne de fer aux yeux de velours - l’organisatrice de son existence, la scénariste de ses images, l’éditrice des ses ouvrages » explique Jérôme Neutres. De Paris à Los Angeles, de Milan à New York, de Biarritz à Monte-Carlo, Helmut et June vivaient et travaillaient ensemble. Leur vie : concevoir et réaliser des milliers de clichés. Et surtout, trouver la femme ! « Ses femmes à lui sont puissantes, séductrices, dominatrices. Jamais glaciales, mais toujours impressionnantes », raconte Jérôme Neutres.
Devenue elle-même photographe sous le pseudonyme d'Alice Springs, Jude Newton, qui anime la Fondation Helmut Newton à Berlin, a commencé par être l'une de ces femmes qui peuplent l'oeuvre de l'artiste. En 1947, l'actrice australienne fait sa connaissance en posant comme modèle pour lui. Elle l'épouse un an plus tard. « Sans les femmes, sans les femmes nues, le monde n’existerait plus » aime-t-elle affirmer.
Lorsqu’elle est interrogée sur son rôle en tant que femme de photographe, c’est avec amusement qu’elle répond « Moi aussi, je suis photographe ! Après, chacun son style...». Afin d’expliquer la répartition des rôles dans le couple fusionnel qu’ils formèrent, elle raconte plus sérieusement qu’ « il travaillait vite et savait toujours ce qu’il voulait faire», avant d’ajouter en toute modestie qu’elle n’était que « le navigateur ». M. Neutres précise qu’un jour, à Los Angeles, Helmut Newton a tout résumé de leur situation : « Moi je fais les photos, toi, tu t’occupes de tout ». La plus grande inquiétude de sa femme ? « lorsque Helmut a commencé à photographier des fleurs », s’esclaffe-t-elle.
Dans sa préface au catalogue, Pascal Bruckner évoque « l'irruption du militarisme prussien dans l'univers de la mode ». Le commissaire de l'exposition confirme qu'Helmut Newton a très vite cherché à s'inscrire dans l'histoire de l'art. « Ses grands nus des années 1980 étaient faits pour être exposés dans les galeries et il est le premier, avec Richard Avedon, à avoir fait de grands tirages en pied. Comme il a été le premier à transformer des polaroïds en œuvres d'art ». Et pour cause : Les "Grands Nus" des années 1980 sont particulièrement saisissants. Ils lui ont été inspirés par des photos d'identité judiciaire de terroristes réalisées par la police allemande. Les femmes nues dans des poses guerrières toisent le spectateur. Elles arrivent (1981), qui présente un grand quadrille de femmes conquérantes, en version habillée, puis déshabillée, marque également les esprits. Ce photographe mythique est décrit par son entourage comme quelqu’un de très cultivé et d’extrêmement drôle, féru de cinéma et de littérature. Sans oublier de mentionner « sa rigueur prussienne ».
«Il a cassé les tabous, percé un territoire. Les autres ont suivi »
Le monde des années 1920 et 1930, les cabarets berlinois, Marlene Dietrich et Lotte Lenya, le futurisme russe, La Bande à Baader, La Grande Illusion... Autant de références cinématographiques et artistiques qui foisonnent à travers le travail de M. Newton. Il rend hommage à La Mort aux trousses d'Alfred Hitchcock en 1967, avec une jeune femme en bottes blanches se faisant pourchasser par un avion, affuble ses mannequins de prothèses médicales en 1977 ou encore photographie un poulet les cuisses écartées en 1994. Ses grandes photos ultra-composées comme Bergstrom, au-dessus de Paris (1976) « rappellent la Vénus de Velasquez », note Jérôme Neutres.
Son entourage retiendra toujours « une absence totale de snobisme » dans ses clichés toujours simples, dans lesquels aucune double lecture n’est envisageable. La photographe australienne déclare qu’« il a cassé les tabous, a percé un territoire. Ce sont les autres qui l’ont suivi ». Energie, puissance et mouvement caractérisent ses modèles. « C’est un voleur né, un kidnappeur (...) mais surtout un maniaque sexuel » relate-t-elle.
Buste aux liens, Ramatuelle © Helmut Newton Estate
« Il avait toujours son appareil à côté de lui », poursuit-elle. A croire qu’il dégainait plus vite que son ombre telle une sorte de Lucky Luke, un boîtier en guise d’arme. Sa plus belle arme avec la femme de sa vie, aussi souriante et drôle que lui. José Alvarez explique « qu’il partait le matin travailler gai comme un pinson et rentrait toujours ravi de son travail ». Ses autres proches confirment : « c’était formidable de travailler avec lui et ses séances photos l’étaient aussi ».
Helmut Neustädter naît le 31 octobre 1920 à Berlin. Il a un demi-frère, Hans, né du premier mariage de sa mère. Par le biais de ce frère aîné, il rencontre vers 1927 Erna la Rouge, prostituée célèbre aux cheveux roux, aux cuissardes rouges et à la cravache, souvenir qu'il relatera souvent comme étant sa scène primitive.
« Son inspiration, il la puisait dans les photos-souvenirs, les clichés de paparazzis, les scènes de films, reprend Jérôme Neutres. Dans les années 1960, la photo de mode vendait du rêve. Lui s'est mis à offrir du fantasme ». Et comme Helmut Newton ose tout, son imagination tant vagabonde que débordante choquera et fascinera dans les années 70 avec ses modèles nues posant dans les rues et ses photos sans retouches, débordant du cadre volontairement, notamment grâce à ses mises en scène impeccables.
«I'm gonna beat the system » dit-il un jour à sa femme durant une séance photo. Sa manière de contrer le système ? prendre toujours quelques clichés en plus de ses commandes et provoquer en toute liberté. « J'adore la vulgarité. Je suis très attiré par le mauvais goût, plus excitant que le prétendu bon goût, qui n'est que la normalisation du regard. Les mouvements sado-maso, par exemple, me paraissent toujours très intéressants. J'ai en permanence dans le coffre de ma voiture des chaînes et des menottes, non pas pour moi mais pour mes photos ». Ainsi est né le "porno chic", mettant en scène de grandes bourgeoises dénudées au bord d'une piscine ou dans des hôtels de luxe pour les plus grands magazines de mode tel que Vogue Paris, Vanity Fair, et aussi pour de grandes icônes de la mode comme Yves Saint -Laurent. « Une bonne photographie de mode doit ressembler à tout sauf à une photographie de mode, disait-il. À un portrait, à une photo souvenir, à un cliché de paparazzi ».
Helmut Newton aimait autant la mode qu'il détestait les effets de mode ou l'idée que l'on se fait de la mode, glamour mais figée, codifiée. Mais il n'oubliera jamais le Berlin de son enfance, celui du début des années 1930 « où il arrivait que l'on rencontre des femmes nues sous leur manteau de fourrure »...
Ambrine Benyahia, le 28 mars 2012.
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Depuis la mort d’Helmut Newton (1920 – 2004), aucune rétrospective du photographe n’a eu lieu en France, pays où il a cependant créé une partie majeure de son œuvre, notamment en travaillant pour l’édition française de Vogue. Sulfureux, parfois choquant, l’œuvre de Newton a cherché à restituer la beauté, l’érotisme, l’humour, parfois la violence que sa sensibilité lui permettait de relever dans les rapports sociaux des mondes qu’il fréquentait : la mode, le luxe, l’argent, le pouvoir.
L’exposition réunit plus de deux cents images, quasi exclusivement des tirages originaux ou vintage réalisés sous le contrôle d’Helmut Newton : polaroïds, tirages de travail de divers formats, œuvres monumentales. Elle sera enrichie d’archives de presse, ainsi que d’un film réalisé par June Newton, épouse du photographe pendant soixante ans et elle-même photographe : Helmut by June.
Le propos s’inscrit dans un parcours rétrospectif et thématique. Présentant les grands thèmes newtoniens : mode, nus, portraits, sexe, humour, l’exposition entend montrer comment s’est constituée, bien au-delà de la photographie de mode, l’œuvre d’un grand artiste. Une œuvre qu’il n’a eu de cesse de libérer de toute contrainte imposée, alors qu’il travaillait le plus souvent dans un cadre de « photographie appliquée » à la mode et aux portraits. Une œuvre éminemment classique en ce sens qu’il s’inscrit dans une perspective artistique très large. Un œuvre qui fait l’expérience de la liberté, dans ses thèmes comme dans ses formats. Une œuvre qui donne à voir une vision nouvelle et unique du corps féminin contemporain.
Catherine Deneuve, Paris 1976 © Helmut Newton Estate
On a dit d’Yves Saint Laurent qu’il avait par ses créations donné le pouvoir à la Femme. On pourrait dire la même chose d’Helmut Newton, qui accompagna longtemps et intimement – ce n’est pas un hasard – la démarche du premier. Nues ou en smoking, les femmes de Newton sont puissantes, séductrices, dominantes, jamais glaciales mais toujours impressionnantes, voire intimidantes. Ce sont des femmes qui, fortes de leur révolution sexuelle, assument la pleine liberté de leur corps, sans heure ni cadre, ouverte à tous les fantasmes. Ce sont des femmes riches, qui ont conquis le monde et son argent, et vivent dans un raffinement extrême, de leurs robes à leur lit. Luxe, classe et volupté : tel pourrait être l’adage de la Femme newtonienne. Quand Newton publie un livre intitulé Un monde sans hommes, il formule l’expression visionnaire d’une société où les femmes ont conquis assez de pouvoir pour parvenir, le cas échéant, à se passer des hommes. L’exposition ne s’attache pas à l’unique représentation de la Femme par Newton, mais restitue les divers champs, parfois plus secrets, de son travail. Conçue par June Newton et ponctuée de citations du photographe, elle est aussi, à double titre, Newton par Newton.
Galerie sud-est (entrée avenue Winston Churchill). Une exposition organisée par la Réunion des musées nationaux – Grand Palais avec l’aimable participation de Mme June Newton, Monte-Carlo, et la Fondation Helmut Newton, Berlin
© textes : Grand Palais
Elle, 1968 © Helmut Newton Estate
Vignette : British Vogue, Londres, 1967 © Helmut Newton Estate