© Karlheinz Weinberger
Galerie Esther Woerdehoff 36 rue Falguière 75015 Paris France
Il a été acteur et témoin. Le travail méconnu de Karlheinz Weinberger est enfin présenté à Paris, à la Galerie Esther Woerdehoff. Au fond de la cour, la blancheur de la salle illumine les quarante-deux clichés de la série The Rebels du photographe suisse.
En marge. C'est ainsi que l'on pourrait qualifier son œuvre. Le travail présenté ici est le fruit d'une rencontre avec les demi-durs, jeunesse suissesse marginale, au style affirmé, dénotant du conformisme des années 60. A travers des portraits, en extérieur ou dans son appartement, Weinberger a réussi à apprivoiser ces jeunes zurichois, en capturant leur quotidien, leur vie en lisière d'une société bourgeoise. Dans une époque où la différence n'était guère acceptée, faisait peur, ces derniers défient les conventions dans leurs tenues, leur code vestimentaire, d'inspiration outre-atlantique. On est frappé par ces scènes de vie, où un minot joue avec un pistolet, comme si l'arme était factice. Où encore par cette jeune fille -seule portrait en couleur de la série- pleine de défiance et de crainte, comme si elle portait le poids du regard d'une société conservatrice. Ele connaitra d'ailleurs un destin tragique en se défenestrant quelques semaines plus tard. C'est un fait, beaucoup de ces jeunes marginaux ont connu une mort prématuré, exceptionnelle, dans la continuité des excès de leur mode de vie. Ces groupes ont par la suite disparus durant la décennie suivante. Le cinéaste Adrian Winkler a essayé de retrouver ces demis-durs, pour savoir ce qu'ils sont devenus. Le plus jeune rebelle photographié à l'époque par Weinberger a 68 ans aujourd'hui.
C'est ce que nous apprend Patrick Schedler, ami et et témoin de la fin de vie de Karlheinz Weinberger, mort en 2006. Pendant six ans et jusqu'à la mort du photographe, il a participé à la dernière exposition du vivant de cet artiste méconnu. Il raconte aujourd'hui quel était le photographe, mais aussi quel était l'homme. Patrick Schedler, avec ses souvenirs et ses documents vintages personnels, jamais présentés auparavant, nous fait également entrer dans l'antre du photographe : son appartement, musée de sa vie. Partout des traces du passage de ces jeunes, du plafond griffonné à leurs noms aux négatifs que l'artiste gardait précieusement. Jusqu'à la fin de sa vie, son domicile sera le centre névralgique de son œuvre. En chaise et atteint de la maladie de parkinson, « il ne tremblait plus quand il tenait l'appareil », confie encore Patrick Schedler.
© Karlheinz Weinberger
Homosexuel assumé mais discret, Karlheinz Weinberger a commencé dans son univers de travail : l'usine Siemens. Il se fait offrir son premier appareil par son amant, à 16 ans et commence à immortaliser des ouvriers, sur son lieu de travail. Ode à la virilité, ces clichés ne sont pas dénués d'un certain homo-érotisme. D'après Patrick Schedler, Weinberger aimait non pas les beaux, mais « le beau » chez les hommes. Un tout qui transfigure ces silhouettes sales et burinés en mannequin d'un instant. Puis, il intègre le club gay le Cercle, où il prendra des photos pour le magazine gay Der Kreis, de 1943 à 1967. Un autre amant, que Weinberger fréquentera jusqu'à la mort de ce dernier, lui permettra de sortir de sa Suisse natale. « Karlheinz Weinberger était très grand, très charismatique », ce qui lui a permis d'approcher et fréquenter les personnalités fantasques et iconoclastes qu'étaient ces jeunes rebelles de Zurich, présentés dans cette exposition.
© Karlheinz Weinberger
Aux côtés des tirages vintages et les rééditions, on peut également s'arrêter devant l'ouvrage Jeans, rétrospective en fac/similé de l'oeuvre photographique complète de Weinberger. Ou encore sur l'extraordinaire travail de fourmi d'une étudiante qui, à force de patience, a retrouvé ses clichés réalisés pour le fanzine gay, à l'époque publiés sous le pseudonyme de Jim. Au final, c'est l'homme autant que l'oeuvre que l'on rencontre pendant cette exposition. Une vie riche, pleine de vie, de style, dont regorgeaient ces jeunes zurichois qui aujourd'hui ne choqueraient plus grand monde.
Mathieu Brancourt, le 14 février 2012.
The Rebels. Des gangs en blouson noir, des poseurs vêtus de jean et de gros ceinturons, des filles au brushing en choucroute, les jeunes rebelles que photographie Karlheinz Weinberger dans les années 1960 ont pour héros James Dean, Marlon Brando, Elvis et Marylin. Pourtant nous sommes au fin fond de la Suisse alémanique, devant une génération que la société traditionnelle et conservatrice rejette en les appelant les "Verlaustan" (couverts de vermine) et qui se surnomment eux-mêmes les "Halbstaker" ou demi-durs.
Karlheinz Weinberger (1921-2006), réalise ses premières photos dans un club gay clandestin de Zurich “Der Kreis” et les publie dans le magazine du même nom. Formé en autodidacte il rencontre ces groupes de jeunes à la fin des années 1950 et les photographie dans le studio de son appartement ou lors de leurs escapades dans la campagne suisse. Ces jeunes qui s’approprient en décalage les codes de la Fureur de Vivre et se bricolent des tenues créatives et provocantes trouvent un admirateur en Karleinz Weinberger. Le photographe les suivra plusieurs années, ce qui lui permet de s’échapper de son morne quotidien d’employé à l’inventaire d’une usine et d’accepter sa propre part de singularité. Longtemps ignorée, cette œuvre d’une vie nous dévoile avec beaucoup de tendresse et une pointe d’ironie, cette génération en quête d’identité, qui s’est construit une contre-culture originale à base de pastiche et de récupération.
© Galerie Esther Woerdehoff