Christophe Agou « développe depuis une vingtaine d'années : une exploration empirique et intuitive d'univers, de situations, d'êtres, qu'il appréhende par imprégnations progressives et dont il ne rend compte qu'au moment où il se sent entré en résonance intime avec eux. Agou semble habité par la seule mais entêtante quête des formes multiples et mouvantes de l'altérité. Passant avec une égale aisance du noir et blanc à la couleur, du paysage au portrait, du reportage au document, il ne privilégie aucun style, veillant à renouveler sans cesse les formes et les conditions de sa propre vision». (http://www.rencontres-arles.com/A11/C.aspx?VP3=CMS3&VF=ARL_190)
Originaire du Forez, une ancienne province de France située dans la partie centrale du département de la Loire, Christophe Agou vit actuellement à New York. Durant l'hiver 2002, il revient dans sa région natale pour y parcourir ces abruptes territoires dont il n'a rien oublié. « J'ai pour mon pays d'enfance, le Forez, un amour infini. C'est cette province de France aux paysages exacerbés, de ces humbles destins, de ces joies, de ces peines humaines et de ces silences assourdissants que je suis allé m'enivrer ».
Il y fait la connaissance de familles d'agriculteurs dont il devient proche et au fil des visites régulières il commence sa série Face au silence, un livre qui aura demandé huit années de travail. Le résultat est de toute beauté, les photographies sont poignantes, humaines et silencieuses.
© Christophe Agou
« Les silences me parlent.... De village en village, ferme après ferme, je découvre des hommes et des femmes modestes et singuliers : Claudette aux yeux pétillant de bleu et aux lèvres maquillées de rouge. Jeannot, sentimental et révolté, me rappelle Charlie Chaplin. Babette, son épouse, est amoureuse et déborde de tendresse. Raymond est généreux, timide et solitaire. Depuis le départ de son frère, Jean a du chagrin. Je remarque une ombre de mélancolie dans les yeux de Mathilde. Lucien « chasse son cafard » en jouant de l'harmonica. Vaillants, réalistes, ils ne se font pas trop d'illusions. Amoureux de leur campagne, ils vivent loin de ce monde en perpétuelle métamorphose, où il faut être le meilleur et produire toujours plus ».
© Christophe Agou
Au fil des années, Christophe Agou explique que la confiance, les échanges et les conversations prennent place. Il les écoute du regard avec un grand respect, il devient invisible à leur yeux et peut ainsi photographier la réalité de leur vie, sans artifices et sans mensonges. Il s'attache à leurs voix, à leurs gestes et à leurs mondes... « le rituel de signer le pain avec le couteau avant le repas, la soupe épaisse qui refroidit dans l'assiette, la boîte à pilules hebdomadaire à faire et refaire, les restes de midi dans le tiroir à pain, le rouge cristallisé au fond des verres, le lait brûlé sur le fourneau, le va-et-vient incessant de leurs animaux. J'aime leurs mains noueuses, leurs rides leur franc-parler, leur bon sens ».
© Christophe Agou
Face au silence est un documentaire sensible et poétique qui nous plonge dans un monde loin de la frénésie des villes si bien qu'on se retrouve dans un univers coupé du temps. Les images sont puissantes et émotionnelles. Le temps d'une lecture on déconnecte de notre réalité pour y découvre une autre réalité, celle des habitants des campagnes. Le travail de Christophe Agou est surprenant, on est à la fois dérouté et déconcerté, impressionné et subjugué. La rédaction d'Actuphoto ne peut que plébisciter ce travail magistral qui a reçu le 1er prix de l'édition européenne de photographie en 2010, courez vite découvrir Face au silence édité aux éditions Actes Sud.
Alexandra Lambrechts, le 9 janvier 2012.